Poitiers, Beaulieu, 21 février 2016

Luc 9:28-36

Chers frères et soeurs,

Voici un récit présent dans les 3 évangiles dits synoptiques. Il a beaucoup de choses à nous dire, en particulier sur Jésus lui-même. C'est la question à laquelle nous allons essayer de répondre : qui est Jésus ? Quel titre lui donner ? Cette question n'est pas théorique ou rhétorique. Elle a trait à la relation que nous pouvons avoir avec lui.

Prenons le récit.
Jésus se retire pour prier avec ses disciples les plus proches, comme il le fera avant d'être arrêté. Jésus se retire souvent pour prier, seul. Mais il arrive qu'il ait besoin de soutien dans la prière. Et pourtant ici le soutien est bien faible, comme il sera aussi à Gethsémané. Les disciples s'endorment. La prière est quelque chose de très important, d'essentiel pour Jésus, de vital. La prière est-elle vitale aussi pour nous ? Jésus se retire pour prier, pour ne pas être dérangé, distrait. Notre prière nécessite-t-elle aussi ce retrait, cette mise à l'écart ? Savons nous échapper à la distraction ? Et ce moment seul avec Dieu, au calme, est-il un moment d'éveil pour une conversation active, ou a-t-il tendance à devenir un moment d'assoupissement, ou l'esprit s'évade au lieu de se concentrer ?

Jésus est donc parti prier, sur une montagne. Sur cette montagne, il se passe quelque chose de surprenant. Son visage change. Le visage, c'est ce qui exprime ce qui vient de l'intérieur, la vie spirituelle. On dit que les yeux sont le miroir de l'âme. Je dirais plutôt cela du visage, ou de la face, ou plutôt des faces, puisque en hébreu le mot est toujours au pluriel. Se rencontrer face à face, c'est se dévoiler, se révéler. Un autre a vu son visage ainsi transformé, Moïse, quand il rencontrait Dieu, sur le Mont Sinaï. Et en parlant avec Dieu, Jésus parlait aussi avec Moïse et Elie. Comment les apôtres les ont-ils identifiés, on ne le sait pas. Mais de toutes façons, ce qui est important, c'est qu'ils représentent ici les Ecritures et l'histoire des relations des hommes avec Dieu, du peuple avec Dieu. Moïse, c'est la Loi, la Torah. Elie, c'est les prophètes, le rappel de cette loi bafouée, et les avertissements ignorés. Parler avec Dieu, être en face de lui, c'est aussi écouter sa Parole, lire les Ecritures, dialoguer avec Moïse et Elie. Et Jésus est alors la conclusion de tout cela, le résumé, l'accomplissement. Les trois parlent de son exode, de son passage ici bas et de son départ, de sa mort, et de l'accomplissement qui sera effectué à Jérusalem, à Pâques. C'est à dire que les Ecritures, comme les comprendront ensuite ses disciples, parlent, dialoguent avec Jésus et sa vie, parlent de Jésus, dévoilent qui il est et ce qu'il doit accomplir pour les hommes et pour la création, ce qu'il a accompli.

Les apôtres se sont assoupis. Est-ce un songe ? Rêvent-ils ? La lumière, les conversations les réveillent. Ils sont troublés, surpris, étonnés. Le tableau est effectivement impressionnant. Une sorte de rencontre du 3e type. Pierre propose de faire durer ces instants exceptionnels. Il propose de construire des tentes, des cabanes, des souccoth, comme pour cette fête qui commémore le temps de l'Exode du peuple dans le désert. Mais ce n'est pas le moment. Comment vivons-nous les moments d'intimité avec le Seigneur, avec sa parole, les moments de prière et de méditation ? Est-ce que nous avons envie de nous attarder ? Est-ce que ces moments sont comme des sommets de notre vie ?

L'évangile de Luc utilise plusieurs mots différents qui sont tous traduits par Maître. Ici, quand Pierre s'adresse à Jésus, quand il dit Maître, il dit : celui qui est au-dessus, le supérieur, comme au travail. C'est le mot qui est toujours utilisé dans cet évangile à l'occasion d'un miracle, comme pour indiquer la puissance manifestée. Luc utilise d'autres mots, aussi traduits par Maître, chacun avec un usage particulier. Quand des collecteurs d'impôts s'adressent à Jean-Baptiste, quand Simon le Pharisien s'adresse à Jésus, quand d'autres encore s'adressent à lui, ils utilisent le mot qui veut aussi dire enseignant. Dans les paraboles, Jésus utilise le mot Seigneur. Par contre, les autres évangiles utilise dans le même récit d'autres mots. Matthieu fait dire à Pierre : Seigneur, et Marc lui fait dire : Rabbi. Pour résumer, à chaque fois que dans son récit, Luc indique que Jésus accomplit des choses exceptionnelles, les apôtres s'adressent à lui comme à quelqu'un qui est au-dessus d'eux, qui leur est supérieur. Dans la suite de son récit, dans le livre des Actes des Apôtres, Luc nous montre que les apôtres sont aussi rendu capables de ces choses. Où est notre audace ?

Pierre est interrompu par une nuée qui les enveloppe tous. Cette nuée rappelle encore l'Exode où elle signifiait la présence de Dieu. Souvenez-vous, la colonne de nuée le jour et la colonne de feu la nuit qui allait devant le peuple, ou qui le protégeait de ses ennemis en se plaçant derrière lui. Souvenez-vous de la nuée qui couvrait le Sinaï quand Moîse y est monté. Ici aussi cette nuée indique la présence de Dieu. Et une voix se fait entendre, qui nous dit quelque chose de Jésus. "Celui-ci est mon Fils, celui que j'ai choisi. Ecoutez-le". Vous qui écoutiez les Ecritures, maintenant écoutez celui qui accomplit, qui contient les Ecritures, Jésus. Jean dira qu'il est la Parole. Moïse et Elie ont disparu puisque Jésus englobe les Ecritures. Est-ce que nous cherchons à écouter Jésus quand nous nous plongeons dans la lecture et la méditation des Ecritures ? Est-ce que nous voyons Jésus derrière ce texte que nous lisons ?

C'est beaucoup pour les disciples. C'est trop pour les disciples. Ce qu'ils ont vu sur la montagne leur reste un mystère, et jusqu'à la Croix et le tombeau vide, ils ne reparleront pas de cet épisode, de cette expérience. Ils auront alors compris qui est Jésus, ou au moins en auront une idée plus précise, bien au-delà du Jésus, homme, qu'ils auront côtoyé. Jésus est bien plus qu'un maître, un rabbi, quelqu'un qui enseigne des disciples, il est même plus que le Messie. Mais il leur faudra la Croix, la résurrection et le don de l'Esprit pour comprendre qui était celui qu'il avaient accompagné durant ces quelques années et pour en devenir les témoins.

Et pour nous, quelle a été notre rencontre avec Jésus ? Quelle a été notre première rencontre avec lui ? Comment sont les rencontres successives que nous avons avec lui ? Comment nous apparaît-il dans la prière ? Comment nous apparaît-il dans la lecture et la méditation des Ecritures ? Est-il pour nous ce maître puissant et supérieur, ou simplement le maître, le sage qui enseigne, le rabbi, ou alors le Seigneur comme dans les paraboles ? Ou bien, nous endormons-nous en sa présence, sans voir qui il est, sans même s'apercevoir qu'il était là, qu'il est là ? N'est-il pas ce Fils choisi qui est venu accomplir les Ecritures pour notre salut par la croix et le tombeau vide ? Et s'il est ce Fils choisi, comprenons-nous alors qu'il a été envoyé ? Comprenons-nous qui l'a envoyé ? Comprenons-nous pourquoi il faut l'écouter ? Comprenons-nous vraiment à qui nous avons à faire ?

Alors, au lieu de lui construire des cabanes, même si ce sont des cabanes commémoratives, au lieu de rester au même endroit, d'en rester aux mêmes sensations, avançons à ses côtés comme les Israélites qui s'apprêtaient à quitter l'Egypte et ont entamé leur Exode. Il nous prend avec lui si nous l'écoutons, si nous faisons attention à lui, sans être distrait, sans être en retrait. Et alors, ainsi mis en route, nous pourrons, comme il le demande à la fin de cet évangile, être ses témoins, les témoins de ce qu'ils ont vu, de ce qu'ils ont vécu, de ce qu'ils ont reçu.

Amen.

(Philippe Cousson)

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