Poitiers, Beaulieu, 16 mars 2014

Matthieu 17:1-9
Genèse 12:1-8
2 Timothée 1:8-10

Chers frères et soeurs,

nous voici face à un épisode connu, entendu, rapporté par les trois évangiles dits synoptiques. En fait, ce récit est rempli, farci pourrait-on dire, d’allusions à ce qui est notre Ancien Testament, mais aussi sans doute à des allusions à la culture de l’Antiquité.

Nous allons essayer un peu de le décoder, mais pas à la manière de Dan Brown, pour voir un peu ce que ces éléments peuvent nous dire aussi de la foi des apôtres et de la personnalité de Jésus.

Et puis nous verrons quelles sont les questions qui peuvent légitimement se poser à nous. Les deux autres textes du jour seront aussi là pour nous fournir des éléments complémentaires.

Nous sommes ici en présence d’un récit d’une ouverture entre deux mondes, un passage ouvert, une porte ou l’outre-monde communique avec le notre. C’est moins romanesque que ce qu’on peut trouver dans nos littératures de science fiction ou de fantastique, mais il y a quelque chose de ça.

Vous avez peut-être déjà noté, ou alors vous le verrez en relisant ce texte, que presque tous les sens sont concernés : la vue, l’ouïe et même le toucher. Il s’agit pour les apôtres d’une expérience sensorielle. Ils ont ainsi expérimenté cette survenue du monde d’ailleurs, du ciel. En tout cas c’est ce que nous racontent les évangiles.

Première chose, le visage de Jésus, sa face, brille, resplendit. Rappelez-vous le visage de Moïse après qu’il ait rencontré Dieu. Mais on veut nous dire plus, Jésus lui-même est Dieu. Comme le dit la fin de l’Apocalypse, là où est Dieu, il n’y a plus besoin de soleil.
Le visage, la face, les faces comme le dit en hébreu le texte de l’Ancien Testament, c’est ce qui se voit, ce qui se montre d’une personne, d’une personnalité, c’est une vitrine, c’est pas là que quelqu’un se dévoile, se révèle. Mais, comme une vitrine, c’est aussi une limite, une frontière, avec deux côtés, ce qui est devant et ce qui est derrière, ce qui est dedans et ce qui est dehors.

Jésus, qui appartient aux deux mondes se révèle ainsi à ses disciples, mais aussi leur marque que cette ouverture n’est pour l’instant que provisoire. Jésus a une mission à accomplir dans ce monde ci.

La scène se passe sur une montagne, lieu privilégié de la rencontre avec la divinité, de la théophanie. Et sur cette montagne on retrouve à côté de Jésus Moïse et Elie. Pourquoi ceux-là ? Parce qu’ils représentent notre Ancien Testament, ils représentent ceux qui sont venus parler de la part de Dieu, ils représentent la Loi et les prophètes. Jésus se pose donc en continuateur de la Loi et des prophètes, il est l’accomplissement des paroles de Moïse et d’Elie. Il n’est pas un nouveau mode de relation à Dieu, mais bien la suite, le noeud, l’objectif, le summum de l’Ecriture dans sa totalité. Il la reprend et l’accomplit. Ce moment, ce lieu, les deux à la fois, sont le point de rencontre non seulement entre deux mondes, mais entre deux phases du salut. Mais attention, ces deux mondes ne sont pas vraiment séparés dans l’espace et ces deux phases ne le sont pas non plus dans le temps. On peut d’ailleurs se demander si le temps et l’espace ont un sens dans cette histoire.

Mais pour Pierre, il y a bien ici un temps et un lieu. Alors, il propose d’installer cette événement en construisant trois cabanes. Encore un rappel des textes anciens. La fête des cabanes, ou le peuple en souvenir de l’exode se construit des cabanes de branchages. Ou encore, Abram arrivant dans cette qui lui a été promise commence en construisant des tentes.
On s’installe, on se protège. Mais de quoi Pierre voulait-il protéger ses invités ? Ou bien voulait-il les garder, les retenir ?

Mais la véritable couverture, la véritable protection est fournie par la nuée qui surprend les apôtres. Là aussi, le rappel est frappant. Durant l’exode, le peuple était accompagné par Dieu soit dans une nuée le jour, soit dans une colonne de feu la nuit. La nuée marque donc la présence de Dieu.

Pour l’instant la vue du visage de Jésus, la vue de Moïse et d’Elie n’a pas effrayé Pierre ni les apôtres. Il en va tout autrement de la voix. A la voix, ils tombent face contre terre, ils cachent leurs visages. Y aurait-il quelque chose qu’ils ne voudraient pas montrer ? On se souvient d’un autre récit où l’homme, au son de la voix de Dieu se cache. Rappelez-vous d’Adam et Eve dans le jardin. Ils ont peur, comme les apôtres.

Pourtant, ce que dit la voix n’est pas vraiment effrayant : Celui-ci est mon Fils bien aimé en qui j’ai mis toute mon affection, écoutez-le. Ce n’est pas une parole de menace, c’est une invitation, un appel. Mais cela ne suffit pas à les relever.

Alors, Jésus les touche. Pour rétablir le contact, la confiance, pour chasser la peur, il faut un contact physique, il faut le toucher, il faut que Jésus les touche. Jésus les touche et leur parle. On peut imaginer que c’est avec une voix rassurante. Levez-vous, n’ayez pas peur. Vous étiez effrayés, il n’y avait pas de raison. Je suis là, c’est bien moi, tel que vous me connaissez. Levez-vous. Verbe qui pour ceux qui ont écrit ce récit dans les Evangiles est porteur d’un sens plus vaste puisque c’est le même mot que Jésus utilise deux versets plus loin pour parler de sa résurrection, de son relèvement d’entre les morts. Jésus demande à ses apôtres de ressusciter. Ils étaient morts de peur.

Ils lèvent les yeux, et il ne voient plus que Jésus. Son visage est normal, ses visiteurs ont disparu, la nuée n’est plus là. Un écrivain dirait que la porte s’est refermée. Restent le souvenir, les sensations ressenties, ce qui a été vu, ce qui a été entendu, ce qui a été presque touché du doigt.

Jésus leur demande de n’en parler à personne, mais comment auraient-ils pu en parler ? Comment raconter ? Il leur a fallu la mort et la résurrection de Jésus pour commencer à appréhender ce qui s’était passé et essayer de donner un sens à tout ça.

Comme nous le dit la deuxième épître à Timothée, la grâce nous a été donnée en Jésus Christ, mais avant les temps éternels. Quand je vous disais, que le temps et l’espace sont différent dans ce monde de l’amour de Dieu. Et cette grâce a été manifestée maintenant par l’apparition de notre Sauveur Jésus-Christ. Si cette porte, cette fenêtre, cette vitrine, a été ouverte pour que les apôtres voient et entendent, la véritable théophanie, la véritable manifestation de Dieu a eu lieu en un temps et un lieu donné, parce que c’est ainsi que fonctionne notre monde. Pourtant la grâce éternelle veut y être présente ici et maintenant, partout et toujours.

Et nous ? Jésus nous conduit-il sur quelque montagne ? Qu’est-ce qui se passe quand à un lieu à l’écart, pas nécessairement une montagne, quand à un moment à l’écart, je me retrouve en présence de Jésus ? Ce moment est-il pour moi comme une fenêtre vers cet autre monde, vers cette manifestation de la grâce éternelle ?

Jésus invite tous les croyants à mettre de côté de tels moments. Nous avons toujours besoin de l’entendre nous dire : lève-toi, n’aie pas peur.

Et le non-croyant, comment voit-il Jésus ? Quelles sont les références culturelles qui lui permettent de se forger une image, un visage, qui pour lui est celui de Jésus ? Quelles sont ses attentes ? Et ce Jésus-là qu’il imagine est-il celui qui peut combler ses attentes ? Quels peuvent être les refus de le voir, de l’entendre, qui peuvent empêcher cette rencontre ?

Les images que nous forgeons de Jésus, ou même de Dieu, sont aussi des moyens de parler de nous en plein et en creux, en ombre et en lumière.

Celui qui dit, malgré une quasi certitude historique, que Jésus n’a jamais existé, dit aussi que pour lui ce visage-là n’a rien à dire au sien, sinon peut-être des choses qu’il ne veut pas entendre. Celui qui dit qu’il était un sage, dit aussi qu’il admet des paroles de sagesse, mais pas d’invitation à le suivre. Ceux-là ne le cherchent pas vraiment. Trop de choses personnelles sont en jeu.

Aller à la rencontre, à la recherche de Jésus, c’est aussi aller à sa propre recherche, c’est reconnaître qu’on a besoin d’être relevé. Et celui qui cherche Jésus, celui qui cherche Dieu, s’aperçoit avec surprise que c’est Jésus qui l’attendait, qui le cherchait, qui même le conduisait à l’endroit et au moment de la rencontre. C’est ainsi que se manifeste la grâce éternelle du Fils bien aimé. Ecoutons-le.

Amen

(Philippe Cousson)

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