Poitiers (Beaulieu), 16 novembre 2014

Matthieu 25:14-30

Chers frères et soeurs,

voici une parabole que tous les habitués de nos lieux de culte connaissent ou pensent connaître.

Ce que je vais vous dire ce soir vous paraîtra peut-être évident ou alors surprenant. Mais il en est ainsi de tous les textes bibliques qui sont commentés et prêchés tous les dimanches ou dans les différents commentaires ou méditations que nous lisons peut-être chaque jour.

La Bible est une trésor d’où nous sortons des richesses anciennes ou nouvelles pour nourrir notre vie spirituelle. Et c’est à chaque fois une découverte, parce que ce qui nous aide à vivre aujourd’hui est différent de ce qui nous aidera à vivre demain et de ce qui nous a aidé à vivre hier.

Cette parabole, si elle suit celle des dix jeunes filles et peut par certains aspects lui être reliée, ne peut pas être limitée à un aspect eschatologique. Ce qu’elle a à nous dire dépasse largement une annonce de la fin des temps et de la récompense finale des fidèles. Je vais essayer de vous montrer ce qu’elle a à nous dire sur notre manière présente de vivre notre foi. Car c’est bien de cela que je veux vous parler, de la foi. On peut d’ailleurs aussi regarder la parabole précédente avec ce même regard. Vous pourrez y penser après.

Une parabole donc, c’est à dire une histoire qui veut porter un message, un peu comme une fable de La Fontaine qui porte sa morale. Sauf qu’ici, il faut un peu creuser pour trouver le message.

Quatre personnages : un homme, un homme libre, riche, et qui a des esclaves. On a longtemps traduit par le mot “politiquement correct” de serviteurs. Et puis trois de ses esclaves.

L’homme, le maître donc, s’apprête à partir en voyage. On trouve la même figure dans beaucoup de parabole.

Il appelle ses esclaves. Il les appelle, comme l’Eglise est appelée. C’est la même racine.
Il donne de l’argent, beaucoup d’argent, à ses esclaves. La plupart des traductions disent qu’il leur confie cet argent. Mais pour le sens de la parabole, je préfère en rester au fait qu’il leur donne cet argent. D’ailleurs, il ne leur donne pas la même chose à chacun. Trois poids, trois mesures. Le talent est au départ une mesure de poids, de poids d’argent métal, en général. C’est vraiment beaucoup d’argent. Donc, le premier reçoit cinq talents, le second deux et le dernier un seul. Et cela suivant leur capacité, leur force, leur dynamisme. Et il part. Il les laissent devant leur responsabilité. Sans date d’échéance.

Il y a débat sur la place du mot Aussitôt. Est-ce le maître qui part aussitôt, ou le premier esclave qui se met tout de suite en marche ? Ça n’a pas beaucoup d’importance mais peut expliquer des différences de traduction.

Le premier, si ce n’est pas immédiatement de toutes façons assez vite, se met au travail. Il travaille avec cet argent qu’il a reçu. Il fait travailler cette somme importante, ou il l’investit ou il l’utilise pour travailler. Le résultat de ses efforts est le doublement de son capital.

Le second fait le même chose.

Le troisième, qui n’a reçu qu’un seul talent prend une autre direction. Il s’éloigne, comme le maître. Et puis il cache cet argent. Il ne l’utilise pas. Il le met dans la terre, mais il ne germera pas. Il ne produira rien. Il faut déjà noter que l’argent qu’il cache n’est pas le sien, c’est l’argent de son maître. En fait, cet argent, il ne l’a pas vraiment reçu, il ne l’a pas vraiment pris pour lui. C’est toujours l’argent de son maître. Il ne peut pas le risquer.

On peut observer que dans l’original grec, ce participe, reçu, n’est pas au même temps pour les deux premiers et pour le troisième. Pour les deux premiers, c’est l’aoriste. C’est fait, il ont reçu l’argent. C’est du passé. Mais pour le troisième, si je comprends ce qu’en dit la grammaire que j’ai consultée, il a bien reçu cet argent, mais c’est indiqué au parfait, c’est à dire que les effets sont encore présents, le don n’est pas encore effectif, pas vraiment. C’est encore l’argent du maître. N’oubliez pas que le texte dit que l’argent qu’il cache, c’est bien l’argent de son maître.

Longtemps après, le maître revient. Il n’est pas dit si son retour est une surprise comme dans d’autres paraboles, ou s’il était attendu.

Et il les convoque, ces esclaves-là, ceux auxquels il a donné, ou confié, c’est selon, une partie de sa fortune. Et il les convie à ce qu’on appellerait aujourd’hui un débriefing. Je ne crois pas qu’il soit venu avec son comptable pour vérifier ce qu’avaient fait les trois esclaves de son argent. Il voulait savoir où ils en étaient de la gestion de leur pécule, de leur gros pécule.

Le premier raconte qu’il a gagné cinq talents, en plus, et il les montre. Tu m’avais donné cinq talents, en voici cinq autres.
Le maître le félicite. Tu as été bon et fidèle, confiant. Je sais que je peux t’établir sur beaucoup plus.
Et l’invitation est donnée : entre dans la joie de ton maître. Ce qui s’oppose à l’attitude du troisième qui s’était éloigné pour caché l’argent.

Même chose pour celui qui avait reçu deux talents.

Comme les deux premiers, le troisième s’approche. Il pense connaître cet homme qui est son maître. Et cette connaissance le conduit à la crainte, la peur et la défiance. Il n’a pas cru que cet argent lui était donné comme quelque chose de vivant, quelque chose à faire vivre, à, faire travailler, à travailler, alors il l’a enterré, comme quelque chose de mort. Quelque chose de mort qui n’était pas à lui, qui n’était pas de lui, qui était du maître, au maître. Il a eu peur de perdre ce qui lui brûlait les doigts. Il dit bien qu’il est allé caché le talent du maître, et lui demande de reprendre ce qui est à lui.

Mais pour le maître, cet argent était à l’esclave, puisque plus tard il demande qu’on lui enlève, qu’on lui reprenne pour le donner au premier.

Le maître le décrit. Mauvais, pas forcément méchant, mais bien mauvais, inefficace, paresseux, toi tu n’as pas travaillé. Si tu avais peur de travailler toi même, tu aurais pu faire travailler cet argent en le confiant à des banquiers. Et, s’il est à moi, je l’aurais récupéré avec des intérêts.
Tu es inutile, c’est à dire que tu n’as été utile à personne, ni à moi, ni à toi, ni même à la vie économique. Puisque tu veux t’éloigner, puisque tu as peur et que tu n’as confiance ni en toi, ni en aucun autre, fut-ce moi ou même les banquiers, eh bien éloigne-toi, va dehors. Tu comprendras peut-être dans les pleurs et les grincements de dents tout ce que tu as manqué, tout ce à côté de quoi tu es passé.

On associe souvent le maître de cette parabole à Dieu ou à Jésus.

On peut reprendre cette clé. Dieu nous appelle, nous son Eglise, nous ses enfants, nous ses disciples. Il nous confie des talents. On peut bien sûr appliquer à ce mot son sens contemporain de talent, de capacité. Mais je crois c’est plus que cela. Il nous confie des responsabilités. Il nous équipe pour cela, et il attend que nous nous mettions au travail.

Il ne faut pas que nous nous cachions derrière notre petit doigt, que nous mettions notre tête dans le sable, que nous niions nos dons, nos capacités, nos visions même. Il nous demande d’être fidèles, confiants. Confiants parce que lui est fidèle, parce que ce travail est accompagné des moyens de l’accomplir. Il nous faut entrer dans son travail pour entrer dans sa joie, et non pas nous éloigner pour ensuite se trouver jetés, rejetés, en dehors de ceux qui sont appelés.

Connaître Dieu, penser connaître Dieu, être capable d’en parler, ça n’est pas suffisant. Ça peut amener à la crainte, à la peur, et non pas à la confiance, à la fidélité, à la foi.

Faire fructifier ce qui a été donné, avec confiance et fidélité, avec foi, voilà ce qui mène à la joie, ce qui fait entrer dans la joie.

Les jeunes filles sages du passage précédent ont elles aussi eu cette sagesse, cette foi, cette prudence, cette espérance qui leur a permis d’entrer, alors que les autres sont restées dehors.

On dit en général que celui qui n’avance pas recule.
On peut dire ici que celui qui ne travaille pas, qui ne fait pas travailler ce qu’il a reçu, celui-là s’éloigne, que son talent disparaît, s’enfouit.
Alors que celui qui au-delà de la connaissance se met au travail, se met à valoriser le don, les talents confiés, celui-ci se retrouve à l’intérieur, au coeur de l’action, au coeur de l’Evangile, au coeur de l’Eglise, dans la joie du salut et la vie de la foi.

Amen.

(Philippe Cousson)

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