Lévitique
19:1-2,17-18
1
Corinthiens 3:16-23
Matthieu
5:38-48
Cher frères et soeurs,
Soyez
saints, soyez parfaits.
Voilà
ce que nous demandent ces textes. Encore faut-il comprendre ce que
cela veut dire. Parce que le côté tordu de l’âme
humaine a vite fait de transformer ce que la Bible demande et rendre
la vie impossible à des fidèles qui alors se
sentiraient infidèles, si infidèles, trop infidèles.
Ce qui fait tomber les hommes, les croyants, les disciples, le peuple de l’Ancien Testament comme l’Eglise, c’est cette compréhension humaine de ce que demande Dieu.
Je commencerai par un morceau de verset qui ne se situe pas dans nos textes du jour, mais dans l’évangile de Luc : Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite.
On pourrait ainsi comprendre ce que Jésus demande dans le sermon sur la montagne. Ce qu’il nous demande paraît si difficile, aussi difficile que de passer par une porte étroite, très étroite. Ce que nous demandent les commandements de la loi de Moïse ou les prophètes est aussi difficile. Alors, allons-nous vers l’échec ?
Compris comme cela, comme quelque chose que nous devions atteindre par nos efforts, c’est effectivement impossible. Mais heureusement ce n’est pas ce qui nous est dit, ce n’est pas ce qui nous est demandé.
Cette
sainteté, cette perfection qui nous est demandée, il ne
nous est pas demandé de l’atteindre par nous mêmes.
Et même, ça voudrait dire quoi, que l’on a réussi
à atteindre la sainteté, la perfection, ou même
que l’on s’en est approché ? Quand pourrions-nous
le dire ?
Soyons
honnêtes. Nous en sommes loin.
Mais
alors, il faut en faire quoi de ces textes ?
Les
regarder de plus près.
Reprenons
d’abord le passage de Matthieu. Chaque morceau est construit de
la même manière : une première partie qui
commence par : vous avez entendu qu’il était dit et une
réponse qui commence par : mais moi je vous dit.
Vous
avez entendu qu’il était dit, c’est à dire
en fait : vous avez ouï dire. Parce qu’en réalité
Jésus ne leur dit pas : il est écrit, mais bien : vous
avez ouï dire. Et la nuance est importante, et vérifiable.
D’ailleurs, le texte auquel il est fait allusion n’est
pas exactement ça, il ne dit pas exactement ça. Par
exemple, nulle part dans l’Ancien Testament on ne trouve qu’il
faut haïr son ennemi.
Le piège dans lequel tombe facilement le fidèle, c’est de vouloir compter, comptabiliser ce qu’il fait de bien. Mais aussi comptabiliser la vengeance. Alors Jésus retourne le raisonnement. Vous voulez compter : alors si on vous demande, si vous oblige, si on vous force à faire un mille, un kilomètre, un bon bout de chemin, alors faites-en deux. Si on veut vous prendre votre tunique, au lieu de vous venger en prenant la tunique du voleur, tunique pour tunique, au lieu de cela, vous donnerez aussi votre manteau. La mathématique de la vengeance est cassée, brisée, retournée. Même si on peut moins facilement aimer ceux qui nous aiment, on peut encore facilement classer les gens en deux catégories, les sympathiques et les antipathiques. Et d’ailleurs, aimer les sympathiques, ça on peut faire, sans trop de soucis. Aimer les antipathiques, c’est plus délicat. Pourtant Jésus va au-delà : aimez vos ennemis, ceux qui vous maudissent bénissez-les, ceux qui vous maltraitent ou vous persécutent, priez pour eux. C’est du lourd, c’est du brut. Mais ça n’est pas naturel du tout. Ça peut même paraître stupide, absurde, complètement déraisonnable.
Et non seulement c’est déraisonnable, mais ça n’est pas mesurable. Je ne peux pas tenir de comptabilité. Il y a des budgets ordinaires, mais ici nous sommes dans l’extraordinaire, l’inappréciable, le genre d’attitude qu’on ne peut pas mettre dans un CV, qu’on peut difficilement raconter dans une biographie.
Mais
c’est en fait ce que veut nous dire Jésus.
Soyez
parfaits ne veut pas dire : efforcez-vous d’être
parfaits. Cela veut dire : comportez en personne parfaite.
Oui,
bien sûr, je sais, il n’y ici personne qui soit parfait.
Nous le savons tous. Et pourtant, Jésus nous dit :
comportez-vous en personne parfaite, en homme parfait, en femme
parfaite.
Ce
qui signifie qu’il nous décrit comme parfaits. Ce mot
veut dire en fait quelque chose comme adulte, accompli, comme
quelqu’un dont l’objectif est atteint.
Mais
si nous savons tous que nous en sommes loin, et nous le savons,
comment pouvons-nous nous comporter en personnes parfaites ?
Simplement parce que Dieu à travers Jésus nous voit
comme des personnes parfaites, il nous considère parfaits,
mieux il nous déclare parfaits. Ceux qui s’en remettent
à Jésus le Christ, à sa mort et à sa
résurrection, ceux-là sont parfaits, proclamés
parfaits par une décision divine, exactement comme un tribunal
déclare un accusé innocent.
Pour
Dieu, les disciples de son Fils sont des justes, des justifiés,
des pécheurs peut-être, sûrement, mais justifiés.
C’est cela la justice de Dieu.
Mieux
que cela, nous sommes non seulement des justes, des parfaits, mais
aussi des saints. Parce que là aussi, au Lévitique,
c’est la même chose. Soyez saints signifie en fait :
comportez-vous en saints.
C’est
plus facile à comprendre quand on comprend le sens du mot
hébreu Qadosh. C’est bien sûr le sens que l’on
donne habituellement au mot français saint. Mais c’est
bien plus. La racine veut dire : mettre à part, donc consacré,
mis de côté pour un but précis. Le peuple
d’Israël a été mis de côté, mis
à part par Dieu pour être son témoin parmi les
nations, une nation de prêtres pour Dieu. Mais ça, il ne
l’a pas compris. Il est intéressant de noter un autre
sens de cette racine qui peut nous paraître incongru. Le mot
désigne aussi les prostituées. En fait au départ
le mot désignait aussi les personnes, hommes ou femmes,
consacrées à une divinité païenne et dont
une des tâches était d’êtres des prostitués,
des prostitués sacrés. C’est resté, même
en hébreu contemporain. Il n’y a pas loin de la sainte à
la prostituée, tout dépend de la raison de la
consécration, de son objectif.
Dieu a donc choisi, d’abord un peuple, celui d’Israël, et ce choix reste, et ensuite il s’est choisi un autre peuple aussi parmi les nations, l’Eglise, chacun de vous. Vous êtes parfaits, parce que Dieu vous déclare tels, et vous êtes saints parce que vous êtes choisis, élus, consacrés, consacré pour porter l’Evangile, pour vivre l’Evangile.
Alors,
comportez-vous en saints, que vous êtes, en parfaits, que vous
êtes.
Il
s’agit d’une attitude. Il ne s’agit pas de bonnes
actions que l’on pourrait noter sur un agenda, cocher sur une
liste : ça j’ai réussi, ça j’ai
raté. C’est un état d’esprit, un état
d’âme. Ce que Jésus nous demande, ce que Dieu nous
demande tient de l’extraordinaire, de l’incommensurable,
du déraisonnable. C’est du pas naturel qui nous est
demandé, du pas vérifiable. Il s’agit pour nous
de nous dépasser. Et quand parfois, on réalise ce qui
s’est passé, on est un peu comme Renaud de La Villénie
après son record du monde : on n’y croit pas.
Un tel comportement, s’il n’est pas naturel, ne paraît pas sage à ceux qui nous entourent, complètement déraisonnable. Mais comme le dit Paul : Tout est à vous et vous êtes à Christ et Christ est à Dieu.
Vous êtes saints, vous êtes parfaits, et même, vous êtes le temple de Dieu et l’Esprit de Dieu habite en vous.
C’est
complètement fou. Je sais que suis pécheur. Je sais
aussi que je peux aller vers Dieu pour me repentir et être
pardonné. Et voilà que je suis tout de même,
malgré cela, au dessus de cela, saint et parfait, et même
le temple de Dieu.
Si
je suis le temple de Dieu et si j’abrite, si je loge le
Saint-Esprit, alors il y a peut être des choses que je devrai
éviter, pour me comporter en saint, en personne consacrée,
en parfait, en juste que Dieu déclare que je suis.
Et
si je n’ai pas su éviter des échecs, je sais que
Dieu est fidèle et juste pour me pardonner, et pour me
rétablir. Il est fidèle dans son alliance et juste par
la croix de son Fils.
Mais aussi, c’est peut-être alors parce que je porte Dieu comme on porte la lumière que je suis rendu capable de ces choses extraordinaires qui me sont demandées.
Alors donc, vous qui êtes le temple de Dieu, soyez saints, soyez parfaits.
Amen.