Poitiers, Beaulieu, 13 avril 2014, Rameaux

Matthieu 20:29-21:11


Chers frères et soeurs,

vous connaissez sans doute cette chanson que chantait Edith Piaf : Emportés par la foule, qui nous traîne, nous entraîne...

Nous voici dans ce récit face à un comportement de foule qui emporte, qui accompagne Jésus.
Mais d’ailleurs, selon l’évangéliste, Jésus utilise pour cette foule des signes qu’elle connaît bien, puisqu’ils sont des références bibliques.

Il y a donc la foule, il y a aussi Jésus, il y a deux aveugles au bord du chemin, il y a les disciples, qui sont ici discrets, peut-être un peu dépassés, et il y a ces deux animaux, ces bêtes de somme. Et puis à la fin les habitants de Jérusalem.

On peut légitimement se demander si cette foule est bien là pour Jésus, à cause de lui. Il est plutôt vraisemblable qu’ils s’agit de pèlerins qui simplement suivent le même chemin que Jésus, passant par la Pérée puis par Jéricho pour rejoindre Jérusalem fêter la Pâque sans traverser la Samarie. Comme la fête approche, ils sont de plus en plus nombreux à l’approche de la ville de David. Mais on sait que Jésus ne voyageait pas seul. Il était accompagné de ses disciples, de ses disciples proches, mais aussi de bien d’autres. Et toute cette troupe était bruyante. L’esprit de la fête commençait à emplir les esprits. Plus que quelques kilomètres, pardon quelques stades.

Jésus marche dans cette foule bruyante. Il y a au bord du chemin, à la sortie de la ville de Jéricho, des aveugles, assis là, pas pour regarder la foule, plutôt pour mendier. Il était sans doute de bon ton en se rendant en pèlerinage de faire quelque aumône. Et puis, voilà que s’il ne voient pas, ils entendent encore bien, et ils entendent qu’il s’agit de Jésus qui passe. Comment connaissent-ils Jésus ? Quelle est sa réputation ? Suffisamment bonne pour qu’ils se permettent de l’apostropher. Ils se mettent à crier. Et pas n’importe quoi. “Fils de David” Même les aveugles au bord du chemin lui attribue un titre messianique. Mais, le Messie qui les intéresse, eux, c’est le Messie qui peut les guérir, les tirer de cette situation où on ne voit pas d’issue. “Fils de David, aie pitié de nous”. C’est en fait ce qui est encore souvent redit dans certaines liturgies : “Kyrie Eleison” “Seigneur, prend pitié”. Sauf que pour eux, ce n’était pas une liturgie, mais un appel au secours, adressé à celui dont la réputation était une promesse.

La foule veut aller à Jérusalem, et ces deux criards vont retarder le flux. Alors, on les fait taire. On ne veut pas gâcher la fête. Mais les aveugles n’en ont rien à faire. Ils crient de plus belle.
Et Jésus s’arrête. La fête peut attendre un peu.

Il les appelle. Il leur demande de formuler leur voeu, précisément, même s’il sait déjà ce que c’est. Que nos yeux s’ouvrent ! Jésus ne se contente pas de parler, il les touche. Ils seront guéris, leurs yeux s’ouvriront, et ils seront touchés et le suivront, s’ajoutant à la foule qui monte à Jérusalem.

L’évangéliste nous rapportera aussi un cri, de la foule cette fois, à propos de Jésus quand il approchera de la ville, mais avant, il nous installe dans une image des écritures anciennes. Il situe cette montée de Jésus, sa dernière arrivée à Jérusalem, comme une révélation, une manifestation de sa nature, de sa mission. Pour cela, il fait référence à un verset du prophète Zacharie “Voici, ton roi vient à toi, monté sur un âne”.

On voit ainsi Jésus qui envoie deux disciples dans le village proche détacher une ânesse et son petit. Si on vous demande, vous direz que le Seigneur en a besoin. Peut-être Jésus connaissait-il ce village, et les ânes du village, et peut-être aussi le propriétaire des ânes était-il disciple ou ami. Mais ceci n’est pas important. Ce qui l’est, c’est que ainsi, Jésus dispose de la monture prophétique du roi qui vient prendre son trône à Jérusalem. Jésus manifeste ainsi sa royauté. L’évangéliste indique ainsi que ce Jésus qui monte au milieu des pèlerins est le Messie, le Roi.

Maintenant, la foule est devant et derrière. On étend son manteau sur les animaux, sur le chemin, on étale des branchages, autant de signes, autant de reconnaissance de la royauté de celui qui entre dans la ville.
Et cette foule est maintenant dans la joie. Est-ce parce que la ville est toute proche ? Est-ce parce qu’elle reconnaît en Jésus le Messie ? En tout cas, maintenant elle crie. Elle crie même presque exactement ce que criaient les deux aveugles quelques heures plus tôt. “Hosana, fils de David” Hosana, c’était le cri pour le roi, celui qui allait sauver, délivrer le peuple.
Et en période d’occupation étrangère, romaine, ce type de comportement, de cris, pouvait provoquer une suspicion, un doute, une enquête. Cela pouvait même gêner fortement ceux qui s’accommodaient de la situation politique.

Toujours est-il que la population de la ville, attirée par ces manifestations en est émue, elle tremble. Qui est-il ? On dirait que Jésus n’était pas connu ici. Et la foule ne présente plus Jésus comme roi, comme Messie, mais comme prophète, le prophète de Nazareth en Galilée. Pourquoi y a-t-il nécessité de donner ces précisions ?

En tout cas le décor est planté. Jésus entre à Jérusalem en Messie, en roi, en prophète, et il le fait en utilisant les gestes symboliques que tout le monde juif d’alors comprend.

On sait pourtant quelle va être l’attitude de la foule quelques jours plus tard. Parce qu’il y a sans doute eu un énorme malentendu. Sans doute moins avec les deux aveugles qu’avec la foule qui accompagnait Jésus. Ils espéraient sans doute une forme de libération du joug romain, au moment de la commémoration de la libération de l’Egypte. Et ce n’est pas ce qui est arrivé.

Si les aveugles ont eu leurs yeux ouverts, la foule est restée aveugle à la vraie nature de Jésus, et à sa mission. Ils l’ont bien identifié comme sauveur, mais comme sauveur du peuple d’Israël, pas comme sauveur du monde, pas comme leur sauveur. Et cet aveuglement était évident, frappant le jour du vendredi saint.

Ils n’ont pas compris qui était Jésus. La réponse de la foule était bien incomplète, même presque administrative.
Et pourtant, Jésus nous est présenté ici comme Fils de David, c’est à dire porteur de la promesse de Dieu. Il est présenté comme sauveur, libérateur. Il est présenté comme prophète, celui qui parle au nom de Dieu. Il est aussi celui qui porte la puissance de guérison de Dieu, il rend la vue. Il est celui qui prend pitié.

Est-ce que je me demande qui est cet homme qui passe ? Cet homme qui vient vers moi ? Est-ce que cet homme me fait trembler ? Est-ce qu’il m’émeut ? Est-ce que je l’entends ? Qu’est ce que je sais de lui ? Est-ce que je me mets à crier ? Qu’est-ce que je crie ? Est-ce que je le vois ? Est-ce que je suis aveugle ? Est-ce qu’il faut que quelqu’un d’autre me parle de lui ? Est-ce que je comprends qui il est ? Est-ce que je l‘appelle ? Et si je trouve un ânon, est-ce que je peux comprendre qu’il en a besoin ? Est-ce que je lui envoie ?

Ce passage de l’évangile, cet évangile, comme les autres évangiles, nous parlent de Jésus et du salut de Dieu. Mais, c’est pour qui ? Est-ce que je suis un peu cet aveugle assis au bord du chemin ? Ou ce pèlerin qui étend branches et vêtement et qui dans quelques jours poussera un tout autre cri ?

Seigneur, que nos yeux s’ouvrent !

Amen.

(Philippe Cousson)

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