Poitiers (Temple et Beaulieu) 19 avril 2015

Luc 24:35-48

Chers frères et soeurs,

en cette période entre Pâques et Pentecôte, nous voici encore face à un texte connu, tellement connu, au moins par ceux qui suivent les listes de lecture biblique ou assistent régulièrement au culte. Tellement connu qu’on n’espère plus y trouver quelque chose de nouveau.

Rappelez-vous pourtant de ce passage qui encourage à tirer de son trésor des choses anciennes et nouvelles. Nous allons donc partir à la recherche de ce qui aujourd’hui peut nous pousser en avant, vers la nouveauté du salut.

Le week-end dernier, j’étais à Paris à une formation de notre église, astucieusement intitulée : l’Eglise qui croît, avec un accent circonflexe. Le samedi, journée de travail intéressante d’échanges et de partages. La veille, soirée de célébration, dite de louange, introduite par un exposé de notre président Laurent Schlumberger. Je n’ai pas noté tout ce qu’il a dit, les sept points qu’il a mentionnés, comme des portes ouvertes à enfoncer. Je me rappelle seulement du premier : Si nous sommes ici, c’est que quelqu’un nous a parlé, nous a témoigné de sa foi, et par cette parole nous a mis en route. Pour résumer le reste du discours, en bref : c’est à votre tour de parler, de témoigner.

Et, si on y fait attention, c’est ce à quoi nous appelle ce passage.
Bien sûr, il nous raconte la rencontre avec le Ressuscité et ce qu’il dit à ses disciples. Mais au-delà du récit, on trouve une parole qui est pour nous et qui veut nous mettre en route.

Le verset qui introduit la péricope du jour appartient au récit des pèlerins d’Emmaüs.

Vous vous souvenez de leur aventure, quand après la crucifixion, ils rentrent chez eux à Emmaüs, comment Jésus les rejoint, leur parle, et se révèle à eux avant de disparaître. Ils retournent à Jérusalem, retrouvent les apôtres et les disciples et ils racontent leur rencontre. Ils racontent, ils parlent. On peut même les imaginer parlant avec les mains, avec excitation.

Et c’est quand ils parlent, presque par leur parole, ou bien parce qu’ils parlent, que Jésus se trouve soudain au milieu d’eux tous et les salue.

Mais voilà, les autres, eux, ne l’ont pas encore rencontré depuis ce matin du 3e jour. Ils n’ont pas eu comme ces pèlerins la possibilité de le reconnaître, d’avoir eu leurs yeux ouverts. Alors, les versets suivants sont marqués par la présence du verbe voir.

On dit volontiers : je croirai que ce que je verrai. Mais eux, ils voient, et n’en croient pas leurs yeux. Leur cerveau entre dans un dialogue entre leur espérance et leurs objections. Ce ne peut être qu’un esprit. Nous voyons un esprit.

Alors Jésus insiste sur la vue. Il montre ses mains et ses pieds. Il leur suggère même de le palper. Le texte ne dit pas qu’il l’ont fait.

Ils commencent à intégrer la possibilité de cette bonne nouvelle, mais ils sont encore trop heureux. A cause de leur joie, ils ne croient pas. C’est ce que dit le texte.

Pourtant déjà, dans les paroles que Jésus dit, il y a cette parole qu’on retrouve ailleurs dans les Evangiles et qui peut paraître banale, et qu’on traduit par “c’est moi” ou par “je suis”... mais qui reprend la formule par laquelle Dieu lui-même se dit. Encore un signe. Mais le doute reste. Ça n’est pas possible. Ça n’est pas croyable.

Jésus veut montrer que cette apparition n’est pas celle d’un esprit. Alors il demande à manger.
On lui présente du poisson frit, qu’il mange. On peut imaginer les yeux des disciples, grands ouverts, la bouche aussi et les bras ballants, incapables de dire ou faire quelque chose devant ce qui se passe et qui les dépasse.

Et tout ceci a commencé avec le récit, avec les paroles de ces deux disciples revenus en urgence d’Emmaüs.

Mais maintenant, c’est Jésus lui-même qui reprend la parole, qui explique et qui envoie.

Il explique que ses paroles, et ce mot important est parfois absent de certaines traductions, que les paroles qu’il leur a dites pendant son ministère, pendant qu’ils cheminaient ensemble sont en fait l’annonce de ce qui était déjà écrit, de ce qui se trouve dans les Ecritures, c’est à dire la Loi, les Prophètes et les Psaumes, c’est à dire les Ecritures des Juifs, ce que nous appelons notre Ancien Testament.

On vient donc de passer d’une foi qui pouvait trouver son origine dans la vue à une foi qui trouve sa source dans l’Ecriture, mais toujours par l’intermédiaire d’une parole, d’un récit, d’un témoignage. C’est la parole, c’est le témoignage, qui permet de comprendre, d’accepter ce que l’oeil montre et que la pensée refuse. C’est la parole, le témoignage, la prédication, qui permettent de comprendre ce qui est écrit et ce que la pensée refuse.

Ce Christ, ce Jésus, qu’ils ont rencontrés, à côté de qui ils ont vécu, celui-là, tout Fils de l’homme qu’il était, devait souffrir, devait mourir, et devait ressusciter le troisième jour, permettant ainsi la repentance ou la conversion, c’est à dire le retournement, et le pardon des péchés.

Et c’est ce qui doit être prêcher à toutes les nations, au monde entier et non plus uniquement au peuple d’Israël.

Déjà, Jésus avait expliqué en chemin les Ecritures aux deux pèlerins déçus. Puis ils s’était révélé à eux. Il se révèle aux disciples à Jérusalem après, ou bien pendant, ou bien par le témoignage des deux qu’il avait remis en mouvement.

Le dernier verset du passage choisi est un appel à être témoin. Il est adressé aux disciples présents dans la chambre haute cette nuit là, mais il nous est aussi adressé à nous, à nous qui avons eu un jour l’occasion d’entendre quelqu’un raconter quelque chose au sujet de Jésus, quelque chose qui nous a parlé, qui nous a permis de comprendre qui il était, ce qu’il avait fait, et comment les Ecritures nous parlaient de lui, et nous en parlent encore. Les Ecritures se sont enrichis des témoignages des premiers disciples, pour nous permettre de comprendre comment, pourquoi cet Evangile est aussi pour nous, de comprendre ce retournement et ce pardon dont nous vivons maintenant.

Non, la Bible n’est pas “un roman soporifique, incohérent et mal écrit qui se lirait comme une notice Ikea”, comme le dit le livre posthume de Charb, dessinateur assassiné de Charlie-Hebdo, c’est un récit, un témoignage. Chacun en fait ce qu’il veut, l’écoute ou pas. Depuis des siècles, ce récit est porté par une succession de témoins, qui s’est poursuivie jusqu’à nous, jusqu’à chacun d’entre nous.

Nous n’avons pas vu Jésus, nous ne l’avons pas vu vivre durant son ministère entre Jérusalem et la Galilée, mais nous l’avons reçu comme celui qui nous accompagne.

Il nous arrive de marcher à côté de lui sans le reconnaître, peut-être parce que nous avons perdu le contact avec les Ecritures qui parlent de lui, qui le montrent. Mais lui choisit encore et encore de se montrer. Il se montre quand quelqu’un parle de lui, témoigne de lui, raconte son cheminement avec lui, raconte sa rencontre avec lui. Alors, il est là. Alors il partage notre vie, jusqu’à partager ce qui fait notre vie, jusqu’à partager notre nourriture.

Mais il est aussi présent quand son Evangile est prêché, quand les disciples d’aujourd’hui sont des témoins, quand les disciples d’aujourd’hui racontent.

Il n’y a pas de poisson à la Sainte Cène, mais c’est au moment d’un repas que Jésus se fait reconnaître, de celui-ci aussi. Mais ce n’est pas pour que nous le retenions avec nous, c’est pour nous envoyer.

Voilà ce qu’il attend de nous : vous êtes témoins. Racontez, prêchez. Racontez votre rencontre avec celui qui a souffert et qui s’est relevé le troisième jour. Prêchez le retournement, le pardon des péchés. Permettez à celui qui est, qui était et qui vient, de lever toutes les objections, de dépasser toutes les joies, et de faire entrer celui qui écoute dans cette communion au ressuscité.

Amen.

(Philippe Cousson)

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