Poitiers, 7 février 2016

Esaïe 6:1-8
1Corinthiens 15:1-11
Luc 5:1-11

Chers frères et soeurs,

Nous allons ce matin voir un peu quelle est la question que ces trois textes nous laissent.

Ces trois textes nous présentent trois séquences que nous pouvons imaginer, nous représenter même.

Essayons donc.

Esaïe, en songe, se voit dans le temple, mais un temple sublimé, plus grand, plus vaste, irréel quoique visible. Il voit, ou interprète ce qui lui apparaît : le Seigneur, sur un trône très élevé, jusqu'au ciel quasiment. Il emplit tout, la bas de son vêtement remplit le temple. Et, comme si cela ne suffisait pas, au-dessus de lui, les séraphins, qui volaient et chantaient les louanges du Seigneur. Un écran normal ne suffirait pas pour ce spectacle, il faudrait au moins les écrans géants du Futuroscope, ceux qui nous entourent. Esaïe est là, au milieu de la scène, de l'image, quasiment 360 degrés.
Et là, le siège tremble, une voix l'appelle et la fumée envahit l'espace. Tout cela est vraiment impressionnant. Et Esaïe se voit alors tel qu'il se reconnaît, pécheur parmi des pécheurs, avec un discours, des lèvres inadaptées, impropres à rendre compte de la sainteté. Il est ici bien trop proche de la sainteté. Il ne peut que mourir. Et pour ajouter aux sentiments qui l'envahissent dans ce maelstrom, un séraphin s'approche avec une braise tenu par des pincettes. Et c'est avec des pincettes qu'il lui touche les lèvres, ces lèvres qu'il pensait impures, qu'il disait impures, qu'il savait impures. On peut imaginer alors que le son qui emplissait la salle est maintenant devenu beaucoup plus calme. Esaïe entend clairement la parole de l'ange qui lui annonce que ses lèvres sont maintenant pures, plus de péché, plus d'empêchement de parler. La voix du Seigneur est maintenant distincte, audible : Qui enverrai-je ? Au milieu de cette vision cosmique, la question visiblement s'adresse à lui, infime dans cet univers. Transporté par toutes ces émotions, il répond simplement : me voici, envoie-moi. Je suis disponible, rendu disponible, rendu efficace. Fin de la séquence.

Deuxième séquence. L'image est plus lointaine. C'est un récit, presque un reportage. Rappel des faits : Le Christ est mort, et en image de fond de cette mort il y a nos péchés que nous connaissons si bien et il y a les Ecritures que nous connaissons peut-être moins bien mais qui nous parlent de nous, de nos péchés et de cette mort. Image suivante, il est enseveli, en vitesse et sans trop de bruit, il y avait urgence avant la Pâque et discrétion pour un condamné. Et, avec en bas de l'écran l'indication "au 3e jour", ce tombeau est maintenant vide, disant ainsi ce que les Ecritures indiquent en fond qu'il est ressuscité, relevé d'entre les morts. Suivent alors une succession de plans, de rencontres, Céphas, les douze, plus de 500 frères dont on comprend que certains sont morts depuis, Jacques, les Apôtres, et enfin Paul lui-même. On fait ici simplement allusion au récit, lui aussi relativement facile à représenter, de la rencontre de Paul avec le Christ sur le chemin de Damas puis à Damas. Et en fond de cette rencontre on peut apercevoir les persécutions qu'il a perpétrées auparavant, éclairant ainsi cette transformation profonde. Le tout forme un ensemble beaucoup moins grandiose et ne nécessite pas une immersion dans l'image.

Troisième séquence. Une image 3D me semble intéressante pour s'approcher des personnages et apprécier la profondeur de champ. Le Christ, Jésus, se trouve au bord du lac, pas un petit étang, plutôt une petite mer intérieure. Il n'est pas seul mais suivi, accompagné, entouré, pressé par une foule, une grande foule, variée, bigarrée, qui veut l'entendre, qui veut s'approcher pour l'entendre. Et là, sur l'eau, proche de la berge, deux bateaux et les pêcheurs les pieds dans l'eau en train de laver les filets. On peut voir leurs gestes trempant les filets pour les débarrasser des algues et autres saletés. Jésus s'approche, se mouille les pieds et monte dans une des barques. On en connaît le propriétaire, Simon ou Simon Pierre. Il lui demande de s'éloigner du bord un peu. Celui-ci s'exécute. Le maître s'assied comme les enseignants de l'époque et parle aux foules qui sont resté sur la berge. Il les enseigne. Sans doute le son porte bien de la barque jusqu'aux gens debout l'oreille tendue qui remplissent la plage. Il s'arrête de parler. Silence. Il se tourne vers le pêcheur : Eloigne-toi vers là où l'eau est profonde puis jette les filets. Un peu interloqué parce qu'ils n'ont rien pris de la nuit, Simon s'exécute. Et les filets grouillent de poissons. Ils menacent même de se déchirer. On fait alors appel à la seconde barque qui arrive à la rescousse. On met le poisson dans les bateaux, et ils sont pleins, ils débordent, presque ils coulent. C'en est trop pour Pierre. Tous ces gens, les paroles de Jésus, et maintenant tous ces poissons. Trop d'émotions, trop d'images. Il est comme Esaïe, se reconnaît minuscule, méprisable, pécheur. Et pas lui seulement, mais les autres aussi. Et alors, comme pour Esaïe vient l'appel. Pas besoin de braise sur les lèvres mais une parole : N'aie pas peur. Tu prendras des êtres humains dorénavant. Et alors, sans qu'on entende leur réponse, ils ramènent les bateaux à terre et le suivent en s'éloignant de cette plage, de ces bateaux, de ce lac, de leur vie de pêcheurs de poissons.

Trois récits, trois séquences.
Il y a deux récits de pêche miraculeuse dans les évangiles, assez proches, et pourtant Luc situe le sien au début de son ministère, quand il recrute ses disciples et Jean situe le sien tout à la fin, après la résurrection quand il envoie Pierre et ses collègues dans le monde.

Dans ces récits d'appel, de Pierre, d'Esaïe, mais aussi dans celui de Paul qu'on trouve ailleurs, ou celui de Gédéon qui remplace le texte d'Esaïe dans la liste anglicane, on trouve ce sentiment d'indignité, cette prise de conscience de la sainteté de Dieu et du fossé, du gouffre, de l'abîme qui les en sépare. C'est une nécessité, un préalable pour pouvoir répondre à l'appel de Dieu.

Je vais prendre une image contemporaine que j'ai lue récemment. C'est comme avec un GPS. Quand on veut paramètrer un voyage, la machine demande : "partir d'où vous êtes ?" Quand vous répondez oui, la machine vous place là où vous êtes. C'est la même chose pour la vie spirituelle. C'est la même chose pour le témoignage et la proclamation. Il faut reconnaître la position où nous sommes et la distance qui nous sépare de la sainteté de Dieu avant de pouvoir se mettre en route, avant que les lèvres ne soient touchées par la braise, avant que les écailles des yeux ne tombent. Alors seulement il est possible de laisser ce qui est en arrière et de se porter vers l'avant.

Qu'est-ce qu'on a ici ? Plusieurs choses : une manifestation de la puissance de Dieu, de sa sainteté, non de sa puissance à détruire mais de sa puissance à sauver, de sa puissance mais aussi d'une certaine façon de son impuissance puisqu'il lance un appel à collaboration et qu'il équipe pour cet appel. Cette puissance de Dieu, si elle impressionnante est efficace ici par ceux qui répondent à l'appel. Refuser de répondre à l'appel, c'est d'une certaine façon rendre la puissance de Dieu inefficace. C'est aussi refuser l'efficacité de la transformation qu'il apporte, refuser d'avoir les lèvres purifiées, refuser de recouvrer la vue, refuser d'abandonner la pêche de poisson dans le lac.

Nous voici encore aujourd'hui face à ces récits de la puissance de Dieu. Nous voici encore face à son appel et mis en présence de sa grâce qui veut nous regarder comme purs. Bien sûr, pour pouvoir partir, il faut savoir, il faut accepter de reconnaître d'où on part. Mais il faut aussi laisser ce qu'on est, ce qu'on a ou croit avoir. Qu'est-ce que nous n'avons pas encore abandonné ? Quelles sont les barques qui nous empêchent de répondre à l'appel ? Quel est ce froment à battre qui nous empêche de répondre ? Quelle est cette terreur qui nous cloue sur place ? Quelle est cette fierté, cette certitude qui nous ankylose ? Qu'est-ce qui nous reste à abandonner ? Qu'est-ce qui me reste à abandonner ? Qu'est-ce que j'ai déjà abandonné pour suivre le Christ ? Qu'est-ce qu'il a purifié en moi ? Est-ce que j'aurais conservé un petit espace privé que j'aurai tenté de maintenir à l'écart de sa majesté ?

Gédéon avait une bataille à mener contre les invasions des Madianites. Esaïe avait une parole forte à porter au peuple du royaume de Juda et à ses rois. Paul avait à proclamer l'Evangile aux Juifs et aux païens de l'Empire, tout comme Pierre et les autres premiers disciples qui ont d'abord suivi Jésus avant de proclamer sa résurrection. Voilà quel était leur appel.

L'appel de chacun à suivre Jésus peut être apparemment très modeste dans une fidélité simple et confiante ou être plus voyant sans que cela n'ait plus d'importance au regard de Dieu. Il s'agit pour tous et chacun d'être d'abord fidèle dans les petites choses et c'est en étant fidèle dans les petites choses que les grandes s'accomplissent. L'évangile nous dit ailleurs qu'il peut s'agir simplement de donner un verre d'eau.

Pêcher, ce n'est pas attendre que le poisson veuille bien mordre, poisson ou humain, mais bien lancer le filet en eau profonde. Parfois il ne ramène rien, parfois il faut de l'aide pour le sortir. Lancer le filet, ça peut être le lancer vers ce qui semble un mauvais endroit, le lancer à un moment qui semble totalement inopportun. Il faut le lancer sans même préjuger du résultat, simplement parce que c'est ce qui est demandé. Alors tous au témoignage, à l'action, à la proclamation.

Il reste ainsi à garder à l'esprit maintenant deux questions : qu'est-ce que cette braise tenue par des pincettes peut et doit brûler en nous ? Et quel est cet appel qui nous est formulé à chacun ? Ce sont des questions auxquelles il faut répondre, non seulement ce matin, mais chaque matin, chaque soir. Non pas pour nous flageller, mais bien pour vivre de la grâce qui nous délivre, de la grâce qui abonde autant que les poissons dans les filets, non pour nous lamenter mais pour nous réjouir de cette grâce réparatrice et revivifiante. En ne nous posant pas ces questions, ou en ne nous en posant qu'une seule, nous passons à côté de la plénitude de l'Evangile.

Ces textes nous rapporte la puissance de Dieu. Et après ? Où sommes-nous ? Que faisons-nous ?

Amen.

(Philippe Cousson)

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