Poitiers (Beaulieu), 15 novembre 2015

Marc 13:24-32
Hébreux 10:16-18
Actes 2:38
Psaume 139:23-24

Chers frères et soeurs,

Le calendrier des lectures bibliques du dimanche nous amène toujours à cette époque sur les textes qu'on appelle les "apocalypses" des Evangiles.

Je ne reprendrai pas aujourd'hui cet aspect du passage, et ne parlerai donc pas de fin des temps, en tout cas pas avec le sens commun du mot "fin", c'est à dire cessation, arrêt. Un autre sens de "fin" est cependant plus intéressant quand il oriente vers un but, un objectif, une visée, une fin.

Je méditerai principalement le verset 31 : Le ciel et la terre passeront, mais mes paroles ne passeront point.

Vous êtes peut-être engagé dans l'étude biblique du texte de l'Ecclésiaste, qui se pose la question du sens de sa vie, à la fois signification et direction. Comment se fait-il que je sois vivant sur cette terre ? Quel intérêt a ma vie ? Quelles sont mes raisons de continuer à vivre ?

Les quelques textes qui serviront de point de départ pour notre méditation ne répondent sans doute pas directement à cette problématique, mais ils permettent de donner un regard sur l'existence qui lui donne un sens et une fin, un objectif et un moyen, un motif et une énergie.

"Le ciel et la terre passeront." Des tas de choses, de sentiments, de désirs, de ceux qui tissent nos vies, appartiennent tant à notre univers, à notre terre, à la matière et aux choses, qu'elles n'ont pas de fin, de sens au-delà des choses et de la matière. Et nous savons que ceci ne dure pas, même si nous aimerions que cela dure un peu.

Pour illustrer cela, je citerai deux adages : on n'a jamais vu un camion de déménagement suivre un corbillard, et il y a deux façons de se survivre, par ses enfants ou par son oeuvre littéraire, artistique ou autre.

Les textes bibliques ne cessent de prévenir les riches du danger de s'attacher à leurs richesses, de vouloir accumuler encore et encore. Parce qu'on entre nu dans la vie et en ressort nu. La descendance est décrite comme un bénédiction, mais elle peut aussi bien s'interrompre. Et même si c'est une trace que l'on laisse, on n'en bénéficie pas directement ou seulement pendant quelques courtes années. Et les oeuvres peuvent se perdre ou être oubliées ou volontairement détruites ou effacées.

Simplement jouir de la vie, comme le dit à un moment de son raisonnement l'Ecclésiaste, n'a pas non plus de sens, de fin, parce que tout ceci s'arrête. Mais alors, qu'est-ce qui dure ?

"Mes paroles ne passeront pas." C'est à dire ce message contenu dans les textes bibliques, la Loi, les prophètes, les Psaumes, les Evangiles, les épîtres. Les étudier, les appliquer, voilà qui a un sens, une fin. Jésus avait formulé un résumé de ce message en reprenant la Loi de Moïse: Tu aimeras, tu aimeras ton Dieu, tu aimeras ton prochain. Dit comme ça, ça peut paraître simple. Et pourtant chacun a bien conscience de la difficulté à mettre en pratique ces principes, à les décliner, comme on dit.

L'épître aux Hébreux nous fourni une clé pour comprendre ce que nous ressentons, cette impossibilité à faire changer nos vies de sens, de fin. Il nous dit deux choses complémentaires. Il nous décrit Dieu établissant une alliance en deux points : "je mettrai mes lois dans leur coeur" et "je ne me souviendrai plus jamais de leur péchés".

Si on s'en tient à la première partie, ça paraît bien, mais on sent tout de suite qu'il y a plus qu'un grain de sable dans la machine, un bug dans le programme. D'ailleurs Paul l'avait aussi constaté : "Je fais le mal que je ne voudrais pas faire et je ne fais pas le bien que je voudrais faire."

C'est que la première partie ne peut pas aller sans la deuxième, le pardon des péchés. Voilà un "gros mot" théologique que celui-là, les péchés, ou le péché. Le péché, c'est rater sa cible, c'est taper à côté, c'est se tromper d'objectif, de cible, de sens, de fin. Et c'est une chose commune à toute l'humanité. C'est cette vérité que nous décrit le récit de la chute dans la Genèse. Personne n'y échappe. C'est ce que dit Paul "Il n'y a pas un juste."

Mais, comme dit David :"Mon péché est constamment devant moi". Alors, comment se sortir de cette situation ? Comment rendre effective pour nous cette deuxième affirmation de l'auteur de l'épître aux Hébreux ?

L'apôtre Pierre dans son discours après la Pentecôte nous apporte une clef : "Changez radicalement" selon la traduction que je vous ai lue, "Convertissez-vous" selon des traductions plus classiques. On pourrait même dire "Retournez-vous", "Renversez-vous". Regardez ailleurs, chercher d'autres cibles, d'autres objectifs, un autre sens, une autre fin. Mais cela suppose que vous reconnaissez que les cibles, le sens, la fin, précédents n'étaient pas les bons, pas ceux qui correspondent à ce que Dieu attend, à ce qu'il demande, à ce que proclament les paroles, la Parole. C'est renoncer à ces accomplissements-là, à ce "péché qui nous enveloppe si facilement". Le pardon des péchés qui nous est proclamé est la seule chose qui peut nous permettre ce changement, cette conversion, ce retournement, ce changement d'objectif, de sens, de fin. Ce n'est qu'ainsi que Dieu pourra mettre ses lois dans nos coeurs, les inscrire dans nos intelligences.

Il faut bien comprendre que pour que Dieu puisse inscrire sa loi, sa parole, dans nos coeurs, il faut que la page ne soit pas couverte de brouillon, de gribouillis, mais que ce soit une page blanche, que la page soit tournée, et cela seul le pardon peut le permettre. Sans le pardon, impossible de tourner la page, impossible de quitter des yeux la mauvaise cible pour atteindre la seule valable, celle qui donne la vie, la vraie, la seule dont la valeur dépassera les temps, celle qui est portée par les paroles qui ne passeront pas, puisque son sens, sa fin sont ailleurs, au-delà des limites de notre compréhension.

Les deux versets qui terminent le psaume 139 nous font partager la supplique du psalmiste qui ne veut pas que sa vie soit cet échec, ce ratage, cette vie qui se trompe de sens, qui se trompe de fin. Il veut d'une vie qui mène vers une cible dont la valeur dépasse tout, qui vaut toujours, qui vaut dans l'éternité, qui ne passera pas.

"Regarde si je suis sur une voie mauvaise", c'est à dire en fait, regarde si je suis sur une voie de peine, une voie de chagrin, une voie funeste, selon les traductions, une voie qui ne mène pas vers une espérance, qui ne mène à rien.

Combien de fois n'avons-nous pas l'impression qu'une journée de notre vie a été perdue, qu'elle n'a mené à rien ? Combien de fois n'avons-nous pas eu l'impression d'avoir poursuivi des chimères ? Combien de fois les décisions rationnelles visant les certitudes matérielles n'ont-elles pas conduit nos vies ? Combien de fois avons-nous oublié ou négligé de regarder dans la bonne direction, de chercher la bonne cible ? Nous connaissons ce chemin funeste, ce chemin de chagrin, ces cibles manquées. Le psalmiste aussi.

"Conduis-moi sur la voie de toujours". Comme le psalmiste, nous savons qu'il y a un chemin d'éternité, une cible d'espérance, des paroles qui ne passeront pas, des paroles de vie. Comme le psalmiste, nous nous tournons vers Dieu, vers celui qui nous peut nous montrer cette cible, ce sens, cette fin, ce chemin. Et ce chemin, nous pouvons le trouver justement dans ces paroles, qu'il nous faut écouter, étudier, mettre en pratique, ces paroles qui ne passerons pas.

Et pour nous ce soir, la seule eschatologie, la seule fin qui compte, c'est que notre vie ne se trompe pas de cible, de chemin, que relancé par le pardon, nous nous retournions, nous changions radicalement, encore et encore, vers ce sens, cette fin, ce chemin d'éternité. L'éternité, il ne faut pas l'attendre, il faut y aller, marcher vers elle, en prendre la direction, portés par le pardon. Ce doit être l'objectif de notre vie, son sens, sa fin, que d'accomplir les paroles qui ne passeront pas, la loi que Dieu veut inscrire dans nos coeurs. Ne laissons pas le soleil s'obscurcir ni les étoiles tomber sur notre vie. Voyons les feuilles qui poussent. Accueillons le don de l'Esprit qui va nous permettre cette vie, non pas sans fin mais avec comme sens, comme fin, la mise en oeuvre de l'Evangile. Maranatha, viens Seigneur Jésus, viens dans ma vie, viens pour toujours.

Amen.

(Philippe Cousson)

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