Poitiers, 27 mars 2016

Jean 20:1-9

Chers frères et soeurs
Voici un récit que nous pensons connaître par coeur. Parfois nous mélangeons plusieurs récits évangéliques, construisant ainsi un ensemble que nous pensons cohérent. Mais si les évangiles nous fournissent des récits différents, c'est qu'ils veulent nous faire comprendre des vérités qui sont bien au delà des simples événements tels qu'un journaliste de faits divers pourrait les relater.

Aujourd'hui, nous sommes devant le récit de l'évangile de Jean, et même seulement son début. A nous d'y trouver les vérités spirituelles pour nous ce matin.

Ce texte peut paraître anodin. Des personnages s'y déplacent, ils courent, ils vont, ils viennent, ils voient, ils sortent, ils se baissent, ils entrent.

Et pourtant il a une importance que je qualifierais de cosmique, d'universelle. Elle marque un changement profond dans le fonctionnement du monde, changement qui est resté invisible, insoupçonné, non détecté, changement de monde, changement d'ère, changement de paradigme, d'espérance, de logique même. Nous allons essayer de voir pourquoi, et ce que cela implique.

Deux catégories d'informations portées par ce texte nous font sentir la situation ancienne et la situation nouvelle, bien que ces mots d'ancien et nouveau soient en eux mêmes insuffisants pour décrire ce qui se passe.

Les premiers et les derniers mots du passage sont l'ouverture vers l'autre temps, celui qui vient de faire irruption.
Le premier jour de la semaine. Pour reprendre une citation attribuée à Victor Hugo, c'est le premier jour du reste de ma vie, ou plutôt c'est le premier jour de ma vie éternelle, de la vie éternelle.
Se relever d'entre les morts. C'est la défaite de la mort, cette caractéristique et conséquence du temps d'avant qui n'a apparemment toujours pas cessé.
Je reprendrai tout ça.

A trois endroits, on trouve trace de caractéristiques essentielles du temps dont la fin, dont la chute est ainsi marquée.
Il faisait encore sombre. La lumière n'était pas encore là. On ne sait pas où on va, où on en est. On avance presque à tâtons, en hésitant.
Nous ne savons pas. C'est l'époque des questions sans réponses, des interrogations métaphysiques, des perplexités angoissantes. L'avenir reste bouché, le présent obscur et le passé garde son mystère.
Ils n'avaient pas encore compris l'Ecriture. Même si ils avaient une clé pour comprendre le monde, pour ouvrir une porte vers ailleurs, ils n'avaient pas compris quelle était cette clé et comment s'en servir. Un peu comme une Cendrillon amnésique tiendrait sa chaussure de vair et se demanderait comment elle était arrivée là.

Nous connaissons l'histoire, et l'avons évoquée vendredi soir. Jésus, celui qu'ils avaient accompagné depuis quelques années, ou plutôt sans qu'ils ne s'en rendent compte celui qui les avait accompagnés depuis quelques années, celui-là vient d'être exécuté, crucifié, puis mis dans ce tombeau.
Voilà ce qu'ils ont à l'esprit. Ils s'attendent à trouver ici un cadavre, le corps de leur maître, de leur ami, ce qui reste de leur histoire avec lui, ce qui reste de leur espérances.
Ils fait sombre, ils sont encore dans cet autre réalité, et ils voient. Ils voient des choses qui parlent peu, qui ont peu de sens, la pierre enlevée, les bandelettes et le tissu.
La pierre a été enlevée, roulée. Le corps a été enlevé, a disparu. Plus rien à voir. Stupéfaction, mystère, sidération.
Les bandelettes gisent. Du tissu par terre. Le linge qui entourait le corps est roulé, mais il ny a pas de corps.
Ils voient une pierre déplacée, du tissu qui reste là. Des choses peu parlantes, pour celui qui ne sait pas les interpréter, pour celui qui n'a pas les clés. Du vide, du rien. Ils voient qu'il n'y a plus rien à voir.

Les apôtres et les femmes (il n'y avait pas que Marie de Magdala puisqu'elle dit "nous ne savons pas"), les apôtres et les femmes ne se sont pas lancés dans un délire ésotérique fait d'interprétations mystiques ou bizarres. Le corps n'est plus là. Ils ne sont pas allé au delà de cette constatation. Ils en sont restés encore au monde dans lequel ils vivaient, dans lequel ils pensaient. Ils sont encore devant un tombeau.

Le tombeau, c'est la conclusion de la vie de ce monde, de cette ère, de ce temps, qui reste aussi le temps de nos contemporains. C'est une marque de ce monde, même si beaucoup essayent de l'effacer, de l'éloigner. Mais n'oublions pas qu'en culture biblique, le tombeau est aussi la marque, la conséquence du péché, une stèle de sa victoire. Rester ainsi devant le tombeau, c'est contempler sa propre misère, sa propre défaite, son propre désespoir.

Et ce n'est pas parce que les hommes aménagent les tombeaux, aménagent les corps des défunts, qu'ils sortent de cette contemplation de leur état, de cette sidération devant la misère de la condition humaine, devant la fin de la vie humaine, devant le vide de la séparation. S'agiter ainsi devant un tombeau, ou un cercueil appelé à être brûlé, pas plus que restés prostrés, ne permet de sortir de l'ancien monde, du monde dont beaucoup aimeraient qu'il soit un cauchemar qui se terminera au réveil. Mais il fait toujours aussi sombre, et nous ne savons toujours pas, et nous ne comprenons toujours pas l'Ecriture.

Ce qu'ils ont devant eux, le spectacle qui s'offre à eux, est un spectacle vide. Il n'y a rien à voir, qu'une pierre roulée et du tissu. Pas de source d'espérance, pas de porte vers une ailleurs, un autre temps.

Et pourtant, face au tombeau, le disciple qui raconte a une attitude différente. Il a su, lui, trouver la porte vers la fin du désespoir. Il a su lire les paroles du Maître.

Même s'il n'y avait rien de remarquable à voir, il dit : il vit et il crut.
Il n'a pas vu le même tombeau que les autres. Il a vu ce tombeau comme le tombeau du monde antérieur, là où a disparu le péché, là où le péché a été vaincu. Ce tombeau, c'est le tombeau de sa vie passée, c'est le tombeau de son incapacité.
Cette pierre roulée, c'est le poids de sa vie qui a été enlevé.
Ces linges ne sont que les stigmates, les cicatrices qui restent de son passé, là dans le tombeau ou leur puissance a été détruite.

Pour lui, et pour les autres bientôt, ce premier jour de la semaine est devenu le premier jour de leur éternité, leur premier jour dans ce nouveau monde, dans cette nouvelle ère. Dans ce nouveau monde, un tombeau n'est plus signe de défaite, mais signe de victoire, signe de relèvement.

Jésus s'est relevé d'entre les morts, il a été relevé d'entre les morts, et c'est ce relèvement, cette résurrection, qui est le signe de l'irruption de cet autre monde, de la défaite du péché et de la mort, de la victoire de l'espérance, c'est le signe du salut. C'est l'annonce de notre propre résurrection, de notre propre entrée dans cette ère nouvelle, dès à présent. C'est le signe de la grâce de Dieu, cette grâce qui nous permet de croire.

Le croyant, c'est celui qui était à terre, qui était mort, c'est celui qui se voyant à terre, comprenant qu'il était déjà mort a accepté d'être relevé, de se laisser relever, et de se mettre en route. C'est celui qui dès cet instant rapporte ce qu'il a vu, ce qu'il a compris, ce qu'il a cru. C'est celui qui a pu franchir cette porte, sortir du tombeau et de sa logique, laisser tous les anciens paradigmes, les raisonnements désespérants et les calculs d'apothicaire sur sa propre vie.

L'Eglise est constituée de ces croyants, pécheurs pardonnés, sortis de l'ombre pour naître à la lumière, qui ont déposé au pied de la croix, au fond du tombeau, leur péché et leur culpabilité, leur honneur perdu, et qui ont reçu du tombeau vide, du ressuscité, la vie nouvelle, portés par la foi et l'espérance, vivant l'amour du monde nouveau comme l'essence de la vie même.

Que sommes-nous ici ce matin ? Qu'est-ce qu'il y a à voir dans ce temple ? Nous sommes des femmes et des hommes, rassemblées, qui chantons, prions, écoutons, qui partagerons la Cène, un peu de pain et de fruit de la vigne. Ailleurs aussi des hommes, des femmes peuvent se retrouver pour chanter, pour écouter, pour parler, pour partager un repas. Qu'y a-t-il de particulier ici ? Qu'y a-t-il en plus ? En quoi notre communauté, en quoi ce rassemblement est-il le lieu de la nouveauté, du relèvement, de la résurrection ? En quoi sommes-nous porteur de cette foi-là ? Qu'est-ce qui nous pousse ?

Est-ce visible que nous avons reçu la victoire sur le tombeau et la mort ? Est-ce manifeste que nous vivons de la résurrection ? C'est ce que nous proclamons, pourtant.

Le Christ est ressuscité, il est notre vie.

Amen.

(Philippe Cousson)

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