Poitiers, 16 août 2015

Jean 6:51-58

Chers frères et soeurs

Nous sommes ici face à quelques phrases connues dont le commentaire a fait souvent polémique, en particulier avec nos frères catholiques.

Deux chapitres avant, c’est la rencontre entre Jésus et la Samaritaine au bord du puits ou Jésus après lui avoir demandé à boire lui annonce qu’il peut lui donner de l’eau vive, où Jésus se présente comme cette source d’eau vive, cette eau qui peut étancher toute soif.
Un passage qui nous rappelle le début du chapitre 55 du prophète Esaïe : Vous qui avez soif, venez prendre de l’eau de la vie, gratuitement. Sans argent achetez à manger et à boire, du vin et du lait.
On est ici dans le même registre : le Christ est cette nourriture qui comble toute faim, cette boisson qui comble toute soif.

Le chapitre où sont ces quelques versets d’aujourd’hui commence par le récit de la multiplication des pains, des 5 pains et des 2 poissons, des 12 paniers remplis de reste. La foule, qui a ainsi mangé, qui a été rassasiée, crie au miracle, décrète que Jésus est un prophète et veut le faire roi. Alors, il se cache dans la montagne, à la fois pour éviter d’être fait roi - c’est trop tôt - et pour prier, pour reprendre le contact avec son Père, pour recevoir lui aussi sa nourriture. Et c’est le soir de ce même jour où pour rejoindre ses disciples il marche sur les eaux du lac pour les rejoindre.

Lorsqu’il peut enfin parler à ses disciples qui peinent à comprendre ce qui se passe, il commence une explication du sens de tout ceci, et en particulier de la multiplication des pains. Il leur rappelle la manne que le peuple trouvait chaque matin dans le désert durant l’exode. La manne, c’était ce pain du ciel qui pourtant n’a pas suffit à calmer la faim du peuple puisqu’il en fallait à nouveau pour tous les jours.

Comme il disait à la Samaritaine que l’eau du puits ne pouvait satisfaire sa soif, il explique à ses disciples que ceux qui ont mangé la manne, présentée pourtant comme le pain du ciel, sont pourtant morts. Les disciples ont de la peine à changer de dimension dans leur regard, à trouver le sens spirituel, à entrer dans cette vie spirituelle à laquelle il les initie pourtant avec tendresse et persistance.

Lui, il leur dit qu’il est le pain vivant descendu du ciel, et que celui qui mange de ce pain vivra éternellement.
Le pain, l’eau, la vie. La vie de ce monde, et la vie de l’autre, la vie éternelle et la vie présente, cette vie qu’il offre, qui a déjà commencée avec sa présence et sa mort et sa résurrection à venir, et qui se poursuivra.

Plusieurs remarques :
“la chair et le sang” est une formule pour dire : toute la personne, la personne entière. Ce n’est pas ici une énumération. C’est pour dire que c’est toute la personne de Jésus qui est ici appelée à être ingérée, intégrée, consommée, assimilée. C’est bien au-delà de la matérialité de la chair et du sang, d’un bout de pain et d’une goutte de vin, c’est la vie même du Christ qu’il nous faut absorber, dont il nous faut nous revêtir disait Paul.

Les Juifs : attention au contresens et à l’anachronisme ! Il s’agit ici des autorités juives de l’époque, en particulier de Jérusalem. Il ne s’agit pas de l’ensemble des Juifs, de ceux qui suivent la religion de Moïse. D’ailleurs, il faut bien se rappeler que Jésus lui-même était de cette religion-là. Il venait de Galilée, pas de Judée, mais on peut dire qu’il était Juif au sens actuel. Jésus n’était pas chrétien, pas plus que les apôtres. Le christianisme est né bien après, après la Pentecôte et après le témoignage des apôtres, quand il s’est séparé de ce qui est devenu le judaïsme contemporain.

Un principe biologique est que chaque vie reçoit sa vie d’une autre vie. Il en est de même de la vie spirituelle. Le croyant reçoit sa vie de Jésus qui l’a reçue de Dieu. Nous sommes tous parvenus à la foi par d’autres, par le témoignage, le ministère d’autres, par leur vie et leur parole, par l’Ecriture qu’ils ont transmise et traduite, par la Parole qu’ils ont commentée et prêchée, parce que leur façon de vivre nous a touchés, intrigués. La vie spirituelle se reçoit par la vie spirituelle.

L’expression “vie éternelle” tente de traduire cette vie déjà présente mais aussi cette vie qui se prolongera dans un autre temps. Elle est déjà ici pour le croyant et elle est aussi annonce de ce qui va venir, par delà même la mort. Comme la vie matérielle de ce monde, elle a aussi besoin de nourriture et de boisson. Il y a une faim et une soif spirituelles. Mais il existe pour cela une nourriture et une boisson, un pain, une eau, qui rassasient, qui étanchent pour l’éternité. Et même, celui qui reçoit cette eau et cette nourriture devient lui-même source d’eau vive.

Par deux fois le texte parle de mâcher la chair. Mâcher, pas manger en vitesse. Il n’y a pas de fast-food spirituel. La vie spirituelle ne se vit pas “sur le pouce”. La vie reçue de Jésus se reçoit lentement, se rumine presque. Le croyant intègre la personne du Christ, s’intègre à lui, complètement et en profondeur. Toute la vie spirituelle est assimilation permanente, constante de la personne du Christ. Il n’y a pas de moment de repas et de moment de jeûne spirituel. Tout éloignement, toute distraction de cette rencontre, de cette vie avec le Christ devient un moment de disette, de soif, de détresse hydrique, de suffocation spirituelle. La vie spirituelle se vie dans la relation constante avec Jésus, parfois dans le combat, mais c’est toujours une vie reçue parce qu’il est le pain de vie, l’eau vive. Le croyant prend déjà part à cette vie reçue, à la vie éternelle, à la vie de l’autre temps, de l’autre monde tout en étant encore dans ce monde-ci mais en étant déjà plus de ce monde-ci.

Le pain vivant descendu du ciel est celui qui nous fait participer à cette vie-là, à la qualité de cette vie-là, à sa propre nature aussi, en devenant les enfants adoptifs de Dieu, dès maintenant. Il demeure en nous et nous en lui. Mais il est aussi le pain pour la vie du monde. Cela ne concerne pas que l’après ou l’ailleurs, cela concerne aussi l’ici et le maintenant. Il est pain vivant et eau vive aussi pour ce monde, pour le salut de ce monde. Et c’est à nous, ses enfants que revient maintenant ce rôle, cette mission, d’être ceux qui déversent cette eau autour de nous, d’être ceux qui apportent au monde la véritable nourriture qu’est Jésus le Christ, de transmettre cette vie que nous avons reçu.

Il nous dit : “ma chair est vraiment un aliment et mon sang est vraiment un breuvage”.
Voilà quelque chose qui était à priori inacceptable pour les Juifs de l’époque, et pas seulement eux, pour nous aussi. Et pourtant pour ceux qui connaissaient bien les prophètes, il y avait cette mention dans Ezechiel : “Venez vers le sacrifice que je sacrifie pour vous. Vous mangerez de la chair et vous boirez du sang, à satiété, à en être enivrés, vous serez rassasiés d’animaux et d’hommes. Toutes les nations verront mon jugement. Les nations sauront que la Maison d’Israël est allée en captivité parce qu’ils ont été infidèles. Maintenant je rétablirai les captifs de Jacob et j’aurai compassion de toute la maison d’Israël”
Mais ici, ce qui est annoncé, ce n’est pas la mort d’animaux ni d’hommes, forts ou non, il s’agit de la chair et du sang de Jésus, de sa mort annoncée à la place de ce grand sacrifice. C’est ma chair que je donne.
Participer à ce repas symbolique et spirituel, c’est aussi participer à sa mort et à sa résurrection. C’est accepter la réalité de la mort de Jésus, y prendre part comme bourreau et comme victime, recevoir sa résurrection et la vie nouvelle qu’il nous donne par elle.
Dieu nous est aussi près et intime que la nourriture spirituelle que nous mangeons. Vous êtes ce vous mangez, dit-on.

Jésus nous dit : “Je suis le pain vivant descendu du ciel” Celui qui reçoit cette vie, celui le reçoit pleinement, celui-là vivra pour l’éternité, dès maintenant et pour toujours. Et un signe donné est la participation symbolique à sa mort par la nourriture et le breuvage de vie et non de mort que nous partageons.

Amen

(Philippe Cousson)

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