Poitiers, 20 juillet 2014

Luc 13:1-5

Chers frères et soeurs

Le texte retenu pour aujourd’hui n’est pas le texte du jour, c’est le texte de la semaine. Je m’explique. C’est l’un des textes cités dans notre semainier. Le thème qu’il traite se trouve complètement en rapport avec l’actualité : Le malheur est-il une punition de Dieu ?

Il suffit d’allumer télévision ou radio, de lire la presse écrite ou en ligne, pour se rendre compte que le malheur frappe un peu partout sur la planète : victimes civiles en Israël-Palestine, en Ukraine dont celles de l’avion abattu, et il y a celles des guerres oubliées en Irak et Syrie, au Congo, dans la bande sahélienne du Mali au Sud-Soudan, en Somalie, et j’en oublie sans doute. Il y a aussi les victimes des événements catastrophiques naturels, séismes, tsunamis, inondations et incendies avec leurs conséquences. Non, notre monde contemporain n’est épargné, et nous en entendons parler quand une catastrophe chasse l’autre.

L’homme est ainsi fait qu’il veut que chacune de ces catastrophes, chacun de ces malheurs ait forcément une origine, une cause, un coupable, un responsable. Cela ne peut pas être dans l’ordre des choses. On a besoin de se rassurer, comme si ce qui est normal n’est surtout pas ça. Alors on cherche à reprocher le malheur à quelque chose, ou plutôt à quelqu’un, à un lampiste ou à un personnage important et puissant, à quelqu’un qui s’il ne l’était pas encore devient aussitôt antipathique. Et de toutes façons, à qui faire le reproche final sinon à celui est au dessus de tout pouvoir, à Dieu ? Si on y croit. Et même si on n’y croit pas, on en fait alors une bonne raison de ne pas y croire. Si Dieu existait, il ne le permettrait pas, parce que Dieu, devrait être comme on le suppose tout puissant et protecteur de l’innocent, mais aussi bourreau du méchant. Mais ce Dieu dont l’inexistence serait ainsi démontrée n’est pas le Dieu auquel nous croyons, n’est pas ?

N’avons nous jamais entendu cette expression : “Qu’est-ce que j’ai fait au bon Dieu pour mériter ce qui m’arrive ?” Ou alors : “C’est bien fait pour lui”. Existe-t-il donc une justice immanente ? C’est ce que semblent croire les amis de Job, qui tiennent absolument à ce qu’il se reconnaisse coupable de quelque chose qui pourrait alors justifier son malheur, c’est ce que semble croire Job lui-même qui ne comprend pas qu’un tel malheur le frappe et qui réfute toutes les accusations portées contre lui. Ce type de sentiment nous est-il vraiment étranger ? Ne sommes-nous pas révoltés par ce qui peut arriver à certains que nous apprécions ou au contraire satisfaits du malheur qui peut toucher d’autres que nous avons vu mal agir ? Vraiment ?

En fait, cette attitude consiste à placer Dieu dans notre logique humaine, à le faire marcher dans nos clous. C’est nous et notre raisonnement qui déterminons ce qui est bien, et ce que Dieu doit donc faire. Ce Dieu est à notre image, à l’image que nous faisons de lui. Pas besoin de faire des statues pour se faire une image de Dieu, et pour l’adorer, et pour penser le maîtriser et le contraindre. La justice devient celle que nous définissons. Nous voulons régir l’univers. C’est comme Dieu nous devait le bonheur.

Il faut alors voir la réponse que Dieu fait à Job : “Où étais-tu quand je fondais la Terre ?” “Depuis que tu existes, as-tu commandé au matin ?” En résumé, Qui es-tu, toi, pour me faire des reproches ? C’est d’ailleurs le même discours que tiennent un certain nombre de Psaumes.
Qu’est-ce que nous savons de Dieu, pour être en mesure de lui faire des reproches ? Nous pouvons bien sûr, et de nombreux textes bibliques le font, nous lamenter de la situation qui nous atteint, en appeler à l’aide de Dieu, mais jamais attribuer à Dieu l’origine de qui nous frappe en en faisant une faute. Or, Dieu ne nous doit rien. Ce que l’on appelle la Providence de Dieu n’est surtout pas l’application de nos critères ou de nos souhaits. Nous ne savons rien de qui anime Dieu, hormis ce qu’il nous en laisse entendre. Job a au début du récit une attitude qui montre l’humilité attendue face à Dieu : “L’Eternel a donné, l’Eternel a repris. Que le nom de l’Eternel soit béni.” Cela pourrait passer pour une attitude fataliste. Mais bien plus que cela, c’est une attitude confiante.

Je reviendrai plus tard sur l’attitude de Dieu face au malheur.

Je vais maintenant reprendre un point souvent entendu : des victimes innocentes. C’est ici qu’intervient notre texte.

Si les victimes n’étaient pas innocentes, on en ferait moins le cas. Alors elles n’auraient que ce qu’elles ont mérité, comme le dit l’un des brigands sur la croix. Mais des victimes innocentes, cela heurte notre sensibilité. Psaumes, Proverbes ou Ecclésiaste relèvent ce type de constatations. Les amis de Job trouveraient simple de pouvoir appliquer un tel principe.

Mais Jésus retourne la question des disciples. Et Paul plus tard ira dans le même sens. Il n’y a pas un juste, pas même un seul. Il n’y a personne qui soit plus coupable, qui soit plus pécheur qu’un autre, ni moins d’ailleurs. Il est inutile de chercher la raison au malheur qui frappe dans la culpabilité des victimes. Non pas que les victimes soient toujours toutes innocentes, mais plutôt, parce qu’il n’y a pas un juste, qu’il n’y a que des pécheurs, que ce malheur n’a rien à voir avec ça, et que tous sont également concernés par le péché, par la culpabilité.

Et pourtant, le malheur a frappé une victime innocente. Jésus est mort sur la croix. Dieu a rejoint le sort de l’humanité en le partageant, en partageant sa douleur, son malheur. Dieu n’est pas l’auteur du malheur, il en est toujours la victime, la victime collatérale, il en souffre avec nous.

Dans la question que Jésus adresse à ses disciples par deux fois, il leur demande leur opinion : Que pensez-vous ? Comment les disciples pourraient-ils savoir si ces victimes étaient des pécheurs, des coupables, de plus grands pécheurs, de plus grands coupables ? Est-ce que leur statut de victime leur conféraient automatiquement ce statut de coupables, comme aujourd’hui on aurait tendance à dire au contraire que les victimes sont de facto innocentes ?

Coupables ou innocents, si c’était possible, tous partagent le sort de l’humanité : la maladie, la mort, le malheur. Mais cette mort n’est pas la fin, la mort finale, sinon la phrase de Jésus n’aurait pas de sens. “Si vous ne vous repentez, si vous ne vous convertissez, vous périrez tous également.” Mais nous savons que nous allons tous mourir un jour. Il parle donc d’une autre mort. C’est de cette autre mort qu’on échappe par la conversion et la repentance. Voici ce que dit Job à la fin : “Mon oreille avait entendu parler de toi, mais maintenant mon oeil t-a vu. C’est pourquoi je me condamne et je me repends sur la poussière et sur la cendre.”

Pour ce qui est du malheur qui éventuellement nous frappe, ce n’est pas une exception à expliquer. Cette souffrance appartient à l’humanité, à l’humanité d’où l’innocence est absente.

Il n’y a donc pas de raison à chercher à la souffrance ? Pas si sûr. Mais de toutes façons, jamais en terme de punition, que celle-ci vienne de Dieu ou pas. Par contre, il est fréquent que celle-ci soit la conséquence de nos comportements, de nos attitudes. Oui, cela est possible. Est-ce que notre peine est ainsi soulagée ? Peut-être. Peut-être pas ?

Le croyant peut aussi expérimenter un autre regard sur la souffrance, celui d’une lecture de celle-ci comme d’une épreuve que Dieu permet. Combien de personnes ont raconté qu’une période de souffrance leur a permis de se rapprocher de Dieu, leur a permis de rendre témoignage, leur a révélé même l’amour de Dieu.

Je voudrais conclure en tentant de répondre à la question finale que nous laisse le semainier : “Comment accueillir les événements malheureux de l’existence ? A quoi nous invitent-ils ?”

Une première chose à dire, à se dire et à témoigner, c’est que Dieu, en la personne de Jésus, le Christ, est venu partager notre condition humaine, y compris le malheur, y compris la souffrance, y compris la mort, et même la mort la plus honteuse. Dieu est passé par où passent tous ceux que le malheur frappe.

Et puis, un message important que nous laisse la parabole du Samaritain : face au malheur de l’autre, l’attitude du croyant doit être celle de la compassion, doit être celle de la charité. Il ne s’agit pas de chercher si la victime est ou non plus ou moins innocente, le Samaritain ne s’est pas posé la moindre question, il s’agit de reconnaître qu’elle est une victime, que cette victime a besoin d’aide, de réconfort, d’amour, de secours, de salut. Croyez-vous que les fondateurs de l’Armée du Salut se soient posé des questions du style de celle des disciples ? Non, ils se sont engagés dans le soutien, dans la lutte, dans le combat.

Je retiens donc deux choses : comme il n’y a pas de victime innocente, il nous faut comme Job nous repentir et comme le Samaritain être le prochain de celui que le malheur frappe.

Amen.

(Philippe Cousson)

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