Saint Sauvant, 10 février 2013

Esaïe 6:1-8
1 Corinthiens 15:1-11
Luc 5:1-11

Chers frères et soeurs,

il y a bien longtemps, à mon retour d’Afrique, vous m’aviez demandé de préparer une prédication. Aujourd’hui, c’est la 175e. Ça peut paraître beaucoup, mais c’est à peu près ce que fait un pasteur en trois ans et demi. Alors relativisons. Mais au moins, cela m’a amené à m’intéresser au texte biblique et à son message, aux personnes en face de moi et à leurs soucis et leurs joies. Ecouter la Parole, sentir l’Esprit, regarder les fidèles : un beau programme. Je dis aussi souvent : celui qui prêche se prêche aussi à lui-même au cours de son travail et pendant qu’il parle. On en apprend beaucoup sur soi en se frottant aux textes bibliques. Et on en apprend aussi toujours plus sur la grâce de Dieu. C’est ce que nous allons voir encore aujourd’hui.

Aujourd’hui, notre liste, celle de la Fédération Protestante de France, nous propose 3 textes que, à priori, rien ne rapproche. Traditionnellement il y a un texte des évangiles, un texte de l’Ancien Testament qui a le plus souvent un lien direct et un texte dans les épîtres, dont le lien n’apparaît pas toujours. C’est le cas ce matin.

Le passage de l’épître de Paul aux Corinthiens que nous venons de lire est une confession de foi que fait Paul, en forme de rappel. Il y insiste sur la grâce de Dieu en Jésus-Christ mort et ressuscité. C’est cela la Bonne Nouvelle, l’Evangile, c’est ce que Paul annonce, c’est ce qu’il prêche, et c’est ce qu’en fait tout prédicateur fait. Il porte ce témoignage à la personne et l’oeuvre du Christ et à la grâce de Dieu, au salut fourni par cette grâce.

Le récit de la pêche miraculeuse est situé par Luc au début du ministère de Jésus. Il le rattache à l’appel de Pierre, Jacques et Jean que l’on trouve aussi chez Matthieu et Marc d’une manière plus sobre. L’évangéliste Jean situe, lui, son récit de pêche miraculeuse à la fin du ministère terrestre de Jésus, après la résurrection. Il met aussi en scène Pierre. C’est là que Jésus lui demande trois fois : M’aimes-tu ? Ici, Jésus emprunte une des barques des pêcheurs pour pouvoir parler à la foule, pour pouvoir prêcher, enseigner les foules. Comme dans le récit de Jean, le miracle sert de révélateur pour Pierre. Il lui fait comprendre sa propre nature, qu’il est un homme pécheur, et que donc il ne peut rester dans la proximité de ce rabbi. C’est alors que Jésus a cette parole qu’il répète souvent et que Jean-Paul II a rendu célèbre : Ne crains pas, n’aies pas peur. Et ils partent alors à la suite de Jésus.

Le troisième texte est celui de la vision d’Esaïe et de son appel, de sa vocation. Cette vision garde un aspect fantastique, impressionnant. Cela ressemble à du cinéma avant la lettre. Les séraphins qui chantent la gloire de Dieu, le Seigneur sur un trône, très élevé, la robe qui remplit le temple, la voix retentissante, la fumée, la pierre ardente prise sur l’autel. Et, point commun avec Pierre, toute cette majesté révèle à Esaïe son indignité, ses lèvres sont impures. Mais la grâce de Dieu est manifestée par l’image du contact de la pierre ardente avec les lèvres : ton iniquité est enlevée, ton péché est expié. Esaïe n’a rien fait sinon de se reconnaître indigne, mais Dieu le déclare pur.

Pour reprendre les éléments simples de la tradition, nous avons dans les textes d’aujourd’hui l’eau dans le récit de la pêche miraculeuse, le feu dans celui de la vocation d’Esaïe, et même s’il ne le mentionne pas ici l’action de l’Esprit, le souffle donc l’air. Et ces trois éléments se retrouvent pour nous laisser le même message, qu’on ne soupçonnait pas à la première lecture, mais le fait d’être ensemble, placés côte à côte, nous révèle ce message commun, qui est en fait le message de l’Evangile, le message de la grâce.

Est-ce que nous sommes si différents de Pierre ou d’Esaïe ? Est-ce que ce cri d’indignité, ce sentiment de culpabilité, n’est pas notre lot commun ? L’Evangile, ce n’est pas chercher à se trouver juste, parfait. Ce n’est pas noter les points positifs de nos actions, de nos pensées. Ce n’est pas non plus noter les points négatifs. De toutes façons, les points négatifs l’emportent toujours, si nous sommes honnêtes ou simplement réalistes. Ce cri est celui qui vient quand on est face à la sainteté de Dieu, face à sa puissance. Encore faut-il les voir, les reconnaître. En présence de la majesté de Dieu, plus aucun de nos calculs, aucune de nos comptabilités ne peut tenir. Seule reste cette constatation effrayante : l’indignité. Elle nous révèle à nous-mêmes tels que nous sommes, des hommes et des femmes, humains, tellement humains, faibles et fragiles. Celui qui pense être fort, solide, n’a jamais croisé cette présence de Dieu. Cette présence de Dieu est un révélateur, comme le produit utilisé aux temps de la photographie argentique.

Mais, ce qui apparaît d’abord, comme dans la photographie, c’est un négatif. C’est que nous voyons alors. Pourtant il y a une autre opération, qui permet d’inverser le regard. Ce qui compte, ce n’est pas le noir que nous voyons en nous, et qui apparaît là en pleine lumière pour ainsi dire, c’est le regard que Dieu porte sur nous. Ce regard de Dieu n’est pas non plus celui qui ne verrait que les parties plus claires de notre personne. Non, ce regard de Dieu sur nous est manifesté ici par les déclarations : Ne crains pas, Ton iniquité est enlevée, ton péché est expié, vous êtes sauvés.

Nulle part il n’est dit que ce salut, cette sûreté ont été d’une quelconque manière méritée. Nulle part. Tout est action de la part de Dieu : la pierre ardente a touché Esaïe, Jésus est mort et ressuscité. Paul dit : Par la grâce de Dieu, je suis ce que je suis.

Tout ça n’est peut-être pas satisfaisant pour notre égo, parfois surdimensionné. Mais c’est ainsi.

Dieu nous regarde à travers son Fils. Dieu nous voit en espérance. La justice nous est imputée, non pas, surtout pas, parce que nous aurions pu faire ou dire quelque chose qui nous vaudrait une justice, une justification, mais uniquement à cause de Christ, mort et ressuscité. La justice de Dieu, c’est son regard d’amour, ce regard premier porté sur nous. Comme on le dit souvent : il nous a aimé le premier. Et même, c’est toujours le premier qu’il nous aime. En permanence qu’il est le premier. C’est cela sa justice, c’est cela sa justification.

Alors, au lieu de nous focaliser sur ce que nous voyons de nous, et qui peut être très vrai, très pertinent, ce n’est pas cela qui compte, mais ce que Dieu voit en nous, ce qu’il voit par son Fils, par sa grâce. Dieu nous dit : Tu es sauvé par grâce. Ton péché est expié. Ne crains pas.

Il est donc vain de se dire que ce salut, il nous faut tout de même le mériter, en être digne. Parce qu’en fait, il est impossible en aucune manière d’y arriver. Rien dans ce que nous pourrions faire ne peut atteindre le niveau de notre incapacité, de notre péché, de notre finitude. Cela n’a donc aucun sens de vouloir se faire son salut. Alors cherchez l’erreur. Jamais Dieu ne nous demande cela. Jamais ce salut n’est donné sous condition. Comprendre ce qui nous est demandé n’a jamais pour fonction notre salut. Et pourtant Dieu nous demande des choses à faire, un témoignage, la charité ou l’amour si vous préférez, la louange.

Pourquoi Dieu nous libère-t-il de nos incapacités, de nos erreurs, de nos fautes ? Parce qu’il veut que nous le servions librement. Librement, c’est à dire sans contrainte, sans idée de compensation ou de contrepartie.

Suivre Jésus, comme les disciples vont le faire après avoir entendu “Ne crains pas”, servir comme prophète, comme Esaïe après avoir entendu “ton iniquité est enlevée”, ou encore prêcher comme Paul après avoir reconnu que Christ est mort pour nos péchés : voilà la clé de ce que Dieu attend.

Faut-il alors viser de grandes choses ? Non point, ce qui est demandé, c’est une obéissance de chaque jour, et c’est tout. Obéissance au double commandement d’amour : Tu aimeras le Seigneur ton Dieu et tu aimeras ton prochain. Il y a de multiples possibilités pour manifester cet amour. Ces possibilités se dévoilent au fur et à mesure du chemin avec le Christ, dans la vie communautaire, dans la lecture et la méditation de sa Parole, dans la prière.

Alors, toujours à nouveau, en entendant ce message encore et encore : Ton péché est expié, ne crains pas, il faut aussi entendre : Qui enverrai-je ? Et tu seras pêcheur d’hommes, et il nous faut le suivre, il nous faut dire : Me voici, envoie-moi.

C’est aussi cela, persévérer dans l’Evangile, comme le dit Paul. Même si nous ne voyons pas de grande lumière à nous faire tomber de cheval, même si nous ne voyons pas les pans de la robe de Dieu remplir le temple, même si nous ne faisons pas de pêche miraculeuse, nous savons que la justice de Dieu est avec nous, qu’il nous justifie par grâce, et qu’il nous attend tous les jours pour vivre de cette bonne nouvelle, pour la partager et la manifester, pour rendre présent le Royaume de Dieu, et peut-être être pour quelqu’un celui qui permettra la double prise de conscience de la grandeur de Dieu et de sa grâce justifiante. Mais même cela ne doit pas être notre objectif, seulement l’obéissance, le suivre, le reste appartient au Saint Esprit.

Voilà ce que nous prêchons, et c’est ce que vous avez cru. N’ayons pas peur. Il nous envoie.

Amen

(Philippe Cousson)

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