Poitiers, Beaulieu, 16 février 2014

Deutéronome 30:15-20
1 Corinthiens 2:6-10
Matthieu 5:17-37

Chers frères et soeurs

Après avoir lu ces passages, on pourrait se dire qu’on est loin des paroles de Paul sur le salut par grâce et sur la liberté des enfants de Dieu. C’est pourquoi il faut les regarder d’un peu plus près.

Le passage qui appartient au récit du Deutéronome est une parole adressée au peuple. Nous achevons ce récit des 40 années à errer dans le désert après la libération de l’esclavage en Egypte sous la conduite de Moïse. Le peuple s’apprête bientôt sous la conduite de Josué à entrer dans la terre promise.

Il s’agit des stipulations d’un nouveau contrat d’alliance entre Dieu et son peuple. Dans l’Antiquité proche-orientale, les traités d’alliance étaient accompagnés de paroles de bénédictions et de malédictions, bénédictions et promesses si l’alliance était respectée, accomplie et malédictions si l’accord était rompu et les promesses oubliées.

Les engagements étaient réciproques, marqués par des actes solennels, souvent aussi des sacrifices. Rappelez-vous l’Alliance entre Dieu et Abraham avec les animaux coupés en deux. Dieu seul est passé entre les moitiés de cadavres. En fait Dieu seul s’est pleinement engagé.

Il renouvelle maintenant cette alliance, qui n’est que la suite de la précédente. Cette nouvelle alliance a été marquée 40 années plus tôt par l’agneau de la Pâque au départ de l’Egypte. Il le fait en demandant au peuple des engagements. En fait il leur laisse la clé d’une vie sociale réussie. Les malédictions ne sont que les conséquences d’une vie personnelle et sociale inconséquente, dévoyée.

Et pourtant, il précise bien que ce qu’il demande n’a rien de compliqué, d’extraordinaire, d’extraterrestre. La part du peuple n’a rien d’impossible. Pas besoin d’être savant ou mystique. Les règles, les commandements, ils les auront dans leur coeur. Qu’ils écoutent leur coeur. Et ces règles sont simples : aimer Dieu et observer ses commandements.

Alors, ceci étant donné, le peuple est mis face à un choix : la vie et le bien ou la mort et le mal. La vie et le bien étant le choix de l’écoute de Dieu, la mort et le mal étant le choix de s’éloigner du partenaire de l’alliance. Celui qui est placé face à ce choix est aussi placé devant les conséquences de ce choix. Pourtant l’alliance est là, donnée, et le choix de Dieu est le choix de la vie, puisque que l’Eternel c’est celui qui est ta vie.

Dans le sermon sur la montagne, on retrouve ce diptyque : bénédictions et malédictions. Serions-nous face à une nouvelle alliance entre Dieu et son peuple. Oui et non. De la même manière que l’alliance avant d’entrer en terre promise n’était que la confirmation et l’approfondissement de l’alliance antérieure avec Abraham, cette alliance portée par Jésus n’est que la confirmation et l’approfondissement de l’alliance entre Dieu et son peuple, qui sera ensuite étendue à tous les autres peuples, même si elle l’était déjà, en fait.

Jésus le dit bien : il n’est pas venu pour détruire la loi et les prophètes, il n’est pas venu pour remplacer l’alliance précédente, il est venu pour l’accomplir, pour la remplir, pour la parachever. Il est venu pour l’accomplir en paroles et en actes. Il est venu pour vivre ici cette alliance entre Dieu et les hommes, pour la vivre totalement, jusqu’à la mort, jusqu’à une mort violente.

En fait, il a tellement accompli cette alliance qu’il en a aussi porté les malédictions, non pas qu’il ait lui-même failli, mais en l’accomplissant totalement, il n’a pu se désolidariser du peuple, des hommes. Il a été exécuté comme un pécheur. Il a porté le mal.

Dans les exemples qu’il donne, Jésus tente de faire comprendre ce qu’est véritablement la loi et son utilité, et surtout il montre comment il est illusoire de regarder la loi.

Il veut dénoncer ceux qui connaissent tous les commandements, ceux qui sont capables de détailler où et quand ils les ont observés. Il veut faire comprendre que cet usage cumulatif des commandements ne mène à rien sinon à l’échec. La loi et les prophètes ne sont pas un outil pour se mesurer, pour s’évaluer. Pour montrer le côté à la fois mesquin et énorme de cette auto-appréciation, il force le trait en remplaçant quelques commandements par leur sens profond. Il dépasse la loi, il va au-delà. Il va jusqu’à ce qui n’est plus mesurable, qui n’est plus évaluable, même ce qui paraît impossible, hors d’atteinte.

Mais ce qui est encore plus fort, c’est que non seulement il a accompli la loi et les prophètes, mais il a aussi accompli l’essence de cette loi, ce qu’il vient de décrire.

En fait, au lieu d’être le pécheur condamné et exécuté, celui sur lequel est jeté l’opprobre, il est le modèle à imiter, celui sur qui on doit garder le regard. Il est celui qui accomplit la loi.

Il a dit : votre justice doit être supérieure à celle des Pharisiens et des scribes, elle doit être supérieure à ceux qui en permanence mesurent leur obéissance. Vous, ne mesurez pas.

Dietrich Bonhoeffer a écrit : Jésus, celui qui a accompli la loi, est toujours entre le disciple et la loi.
Cette loi supérieure, c’est sa vie qui la montre. C’est dans l’écoute et l’imitation de Jésus-Christ que se trouve la vie du disciple, dans l’imitation de celui qui a accompli la loi et les prophètes.

Comme le laissait entendre le Deutéronome, la loi est placée dans le coeur du disciple, dans le coeur de celui qui garde Jésus comme modèle, comme maître.
L’entrée dans le Royaume requiert cette justice qui surpasse celle des scribes et des Pharisiens, et qui se reçoit de celui qui a tout accompli pleinement.

L’obéissance ne doit pas être le fardeau, le souci de toute une vie. La loi doit être cette inspiration que donne la fréquentation régulière de Jésus le Christ, comme le disciple fréquente son Maître. Elle est dans ton coeur quand celui-ci est tourné vers le Sauveur.
La loi est tellement liée à Dieu qu’on peut même dire qu’elle est une expression de sa nature. Il est important d’obéir, mais la façon dont on obéit l’est encore plus. L’obéissance ne se fait ni avec le miroir de celui qui sans cesse regarde où il en est, ni avec le rétroviseur de celui qui toujours regarde en arrière. L’obéissance ne se fait qu’en regardant de l’avant, vers celui qui a tout accompli et vers celui dont la loi est indissociable.

La justice, la droiture, ne peut pas être ce que je pense de moi, ce que j’espère de moi, ni même ce que les autres jugent de moi, mais bien et uniquement ce que le Christ a accompli. Ma justice ne se trouve qu’en lui. C’est en lui seul qu’est la “meilleure justice”, la justice de Dieu, la droiture de Dieu, qui m’est aussi imputée par grâce. C’est ici la part de Dieu dans l’alliance qu’il a passée avec les hommes, qu’il a passée avec moi, avec toi.

Venons-en à la sagesse que mentionne Paul. Elle est aussi, à côté de la loi et aussi de la grâce, une autre expression de la nature de Dieu. La Sagesse, Hokhma, reçoit même dans les Ecritures Hébraïques un traitement quasi divin. Cette sagesse de Dieu, qui n’est pas la sagesse du siècle, du monde, a été préparée dès avant les siècles, pour ceux qui aiment Dieu, elle a été révélée par l’Esprit. Et de quoi parle donc cette sagesse, sinon de la loi de Dieu, de cette loi accomplie pleinement en Christ, de cette grâce qui concerne tous ceux qui croient et qui ainsi choisissent celui qui est le chemin, la vérité et la vie, la vie jusqu’à la mort dans l’accomplissement de la loi, de la loi d’amour, d’amour de Dieu et des hommes et du monde.

Cette loi a été placée par l’Esprit dans ton coeur par cette sagesse qui a été révélée. Elle n’est pas loin et impossible, elle est là entre ton coeur et cette parole qui te parle de ton maître.

Cette loi a été accomplie par le Christ. Et c’est dans le mouvement de cet accomplissement, dans cette vie qu’il a donnée et retrouvée que tu reçoit la justice qui te permet de vivre toi aussi cette loi en regardant à lui.

Cette loi qu’il te donne de pouvoir vivre, il te charge de la proclamer. Tu as pour cela le modèle de ton sauveur devant toi. Ne le quitte pas des yeux.

Regarde-le, regarde le Christ et imite-le.
Ecoute l’Esprit et cette loi qu’il place dans ton coeur.
Aime Dieu et ne compte pas.
C’est ici pour toi la justice de Dieu.

Amen.

(Philippe Cousson)

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