Saint-Sauvant, 30 août 2015

Jérémie 24

Chers frères et soeurs

Voici une courte parabole du livre du prophète Jérémie. J’ai rencontré ce texte il y a quelques jours sur une de mes listes de lecture de la Bible. Son message me semble intéressant.

Les figues, c’est un des fruits symboles du Proche Orient et de la Méditerranée. Il est aussi répandu dans nos régions et je suppose que plusieurs d’entre nous ont un figuier.

Le figuier se caractérise par une double récolte : les premières figues avec les feuilles au début de la saison, au début de l’été, et puis une deuxième récolte par la suite de figues plus grosses, peut-être au goût moins marqué, même si je suis mal placé pour en parler, n’aimant pas les figues fraîches. Par contre, j’apprécie les figues sèches.

Nous voilà donc avec une histoire de figues, ou plutôt une histoire de paniers de figues, deux paniers de figues qui semblent oubliés devant le Temple.
Pourtant elles ne sont pas oubliées, ils ont été placés ici à l’endroit où on laisse les offrandes, plus particulièrement les offrandes des prémices, ces premiers fruits qui étaient destinés à Dieu.
Ça ressemble presque à l’offrande simultanée de Caïn et Abel.

De plus Jérémie note, en connaisseur sans doute, que les figues d’un des paniers sont excellentes, comme celles de la première récolte, comme les prémices, tandis que celle du second sont très mauvaises, immangeables. Il y a des choses que les experts peuvent voir à l’oeil.

La question de Dieu à Jérémie est : Que vois-tu ? Pour répondre, il ne suffit pas de voir, il faut regarder attentivement, fixer les yeux, et avoir un oeil exercé, un oeil d’expert, capable d’apprécier, d’identifier ce qui est bon ou mauvais. Et Jérémie répond. Il devait bien connaître les figues, comme tous les habitants de la Judée de cette époque-là.

Le bonheur d’être sous son figuier. Oui mais voilà, il y avait alors une querelle entre Jérémie et les prophètes officiels du roi Sédécias. Sédécias avait été installé par les Babyloniens après la première déportation de Juda où le roi Yekonia (ou Jékonia) a été déposé et déporté ainsi qu’une partie du peuple, l’élite administrative et professionnelle. Ceux qui sont restés se sont pensés épargnés par Dieu, protégés par Dieu, même si leur comportement ne montre aucun attachement à ses commandements. Ils se sentent si bien qu’ils se révoltent contre Babylone, pensant être à nouveau épargnés. Mais Jérémie leur annonce que faute de soumission ils seront détruits. Pourtant de nombreux prophètes proclament que leur rébellion sera victorieuse. Et on reproche à Jérémie de démoraliser le peuple.

C’est dans ces circonstances que se situe cette parabole.

Dieu aussi fixe le regard, fixe son oeil, sur les exilés déjà à Babylone. Ils sont ceux qui sont représentés par le panier de bonnes figues. Ils ont été cueillis d’abord, exilés en premier, certes. Mais Dieu ne trouve aucune raison de les regarder favorablement dans leur comportement avant d’être exilés ou après l’exil. Non. Il les regarde favorablement, c’est tout. Il les considère en bien. Il les distingue. Mais ils n’ont rien fait pour ça. En tout cas le texte ne le dit pas, même si le roi Yekonia s’est soumis aux Babyloniens. Mais il n’était pas meilleur que son successeur si on en croit le deuxième livre des Rois.
Le regard favorable de Dieu n’est pas ici mérité. Il est accordé. Le regard qu’il pose sur eux est un regard en bien. Il prendra soin d’eux, il les ramènera chez eux, rebâtira leur pays, le replantera. Et même plus il leur donnera un coeur pour qu’ils le connaisse et qu’il devienne leur Dieu, et qu’eux deviennent son peuple.
Mais ces exilés de la première heure n’ont rien demandé. Et pourtant, ce sont leurs descendants qui rentreront en terre promise, une fois que cette terre se sera reposée des sabbats que le peuple ne lui avait pas accordés.

Et les mauvaises figues, qui sont-elles ? Celles de la récolte de fin de saison, ceux qui seront exilés ensuite, ceux qui seront exterminés sur place, ceux qui auront fui en Egypte ? Ce sont bien ceux-là qui se pensent protégés, qui pensent s’en tirer par eux-mêmes, ou en s’alliant avec l’Egypte qui pourtant à cette époque est repliée sur elle-même et en perte de puissance. Ce peuple ne veut pas se tourner vers son Dieu, ne veut pas écouter Jérémie, ne veut pas revenir aux commandements, ne veut pas reprendre la voie du père de Sédécias, le roi Josias à l’origine d’une réforme religieuse radicale qui malheureusement n’a pas été poursuivie par ses fils et petit-fils.

Notez bien qu’à ce point de vue-là, les premiers exilés n’étaient pas meilleurs que les deniers.
Mais, ceux-ci n’ont pas voulu écouter Jérémie et prendre la perche qu’il leur tendait de la part de Dieu. Ils ont refusé de se soumettre. Ils ont méprisé les commandements de Dieu et ils ont méprisé la parole de son prophète. Ils auraient pu, mais ils n’ont pas voulu.

Alors, les deux derniers versets nous décrivent les malheurs qui tomberont sur eux. Parmi tous les peuples, ils seront ceux qui tremblent, qui sont malheureux, ceux dont on se moque par des proverbes et des jurons, ils seront persécutés, tués, affamés : un sort peu enviable pour ceux qui se croyaient à l’abri de tout ça, ceux qui se croyaient à l’abri sous leur figuier.

Tous ces malheurs annoncés par le prophète au nom de Dieu ne sont que les conséquences de leur actes, de leurs attitudes.

Sédécias fut lui aussi exilé, on tua ses fils devant lui et on lui creva les yeux.
Quant à Yekonia, aussi appelé Yehoyakin, il fut relevé plus tard par un roi babylonien qui le fit manger à sa table jusqu’à sa mort.

Cette histoire, qui remonte à deux millénaires et demi, a encore des choses à nous dire, à nous qui vivons aujourd’hui, sur la manière dont nous conduisons notre vie, dont nous considérons notre vie, dont nous valorisons notre vie.

Essayons de voir ce qui ressort de ce texte.
Le regard, le regard porté par Dieu, le regard que le peuple porte sur lui-même, le regard que les nations porteront sur le peuple resté et rebelle, le regard que Sédécias ne pourra plus porter sur rien.

Qu’est-ce qui compte ? Quel est le regard qui compte sur notre vie ?
Est-ce le regard que nous portons sur notre propre vie ? Même en tentant de prendre du recul ? Est-ce l’écho que nous recevons du regard que les autres portent sur nous ? Est-ce que nous choisissons parmi les échos qui nous parviennent ceux qui correspondent à notre idée ?

Que ce soit pour juger que ce que nous voyons est en fin de compte globalement positif, que c’est en fin de compte bien, ou au contraire que nous jugions que c’est une catastrophe, que nous sommes une catastrophe et que le rouge domine largement, dans un cas et dans l’autre ce regard n’a pas de valeur, pas d’importance. Même avec une analyse très fine, nous sommes à côté de la plaque.

Le regard que nous portons sur nous-mêmes, que ce soit directement ou par l’intermédiaire d’autres, n’a pas de valeur.

Le seul regard qui compte, le seul regard qui a de la valeur, est celui que Dieu porte sur nous.
Mais alors, ça va être pire. Qui peut tenir devant Dieu ? Mais ce Dieu terrifiant n’est pas celui de Jérémie.

Oui, il ne supporte pas l’idolâtrie. Oui, il demande de respecter ses commandements. Mais il porte un regard favorable, il a l’oeil bon envers celui qui accepte de dépendre de lui, qui s’en remet à lui, qui n’essaye pas de s’en tirer tout seul.

Le regard que Dieu porte sur celui qui se confie entièrement en lui est un regard de bienveillance. Il veillera sur son bonheur, il le ramènera, il le rebâtira, il le replantera, il lui donnera cette foi et cette appartenance qui remplit la vie, qui transforme la vie, quelqu’elle ait pu être avant.

Dieu, s’il est un Dieu jaloux, est aussi et surtout le Dieu du salut, du salut de celui qui ne le méritait pas.
C’est ce qu’on appelle en terme théologique la justification.
Non, il ne s’agit pas pour nous de nous “justifier”, de nous défendre. C’est impossible.
C’est simplement dire que Dieu nous regarde comme juste. Non pas que nous soyons justes, mais lui nous voit justes, nous considère justes, nous déclare justes. Nous n’avons rien fait pour ça.
Le peuple d’Israël n’avait rien fait non plus pour être tiré de l’esclavage en Egypte. Les exilés de Babylone n’ont pas non plus fait quoi que ce soit pour être ramenés. Mais Dieu les a libérés, Dieu les a ramenés.

Mais comment se fait-il que Dieu puisse ainsi regarder chacun d’entre nous ? Nous savons qui nous sommes, chacun. Et ce regard nous condamne si nous sommes un peu honnêtes. Mais ce que Dieu voit quand il porte son regard sur nous, quand son oeil est fixé sur nous, c’est le Christ, le Christ sur la croix, le Christ rempli d’amour pour tous les hommes. C’est parce que Christ est juste que Dieu nous voit ainsi.

Au lieu de regarder sans arrêt notre situation, notre état, que nous le sachions mauvais comme les mauvaises figues, ou que nous trompions nous mêmes en le pensant pas si mal, il nous faut tourner notre regard dans une autre direction, vers celui qui est le chemin, la vérité et la vie, celui que l’amour a porté à la croix, et c’est alors que nous croiserons le regard de Dieu. C’est au pied de ce temple-là que sont déposées les bonnes figues, celles qu’a produite cet arbre, ce figuier particulier en forme de croix qui donne du fruit en abondance et dont les feuilles servent à la guérison des nations..
En toutes choses, il nous faut apprendre à faire confiance à Dieu et au regard qu’il pose sur nous plutôt qu’à ce regard déformé que nous pourrions porter sur nous-mêmes. Cette foi est reçue comme ce coeur qu’il donne à ceux qui acceptent de se placer sous son regard.

Quand vous mangerez des figues, qu’elles soient fraîches ou séchées, vous penserez à cette parabole de Jérémie, vous penserez à ce regard de bienveillance que Dieu porte sur celui qui compte sur lui, qui s’appuie sur lui et sur sa Parole, vous cesserez de vous perdre dans un regard mortifère tourné vers vous-mêmes ou vos vaines tentatives et vous apprécierez ce salut qu’il donne pour le bien, pour bâtir, pour planter.

Que vois-tu Jérémie ? Je vois ce que Dieu voit, et son regard est favorable.

Amen.

(Philippe Cousson)

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