Poitiers- Beaulieu, 21 décembre 2014

Luc 1:26-38

Chers frères et soeurs,

la feuille qui m’a servi à préparer cette méditation de ce soir comporte en plus du texte tout un tas de notes au crayon, d’idées, remarques, de mots entourés, encadrés, des flèches, des mots soulignés, deux ou trois mots grecs, des passages soulignés. D’autres fois même il y a aussi des mots surlignés de différentes couleurs.

C’est un passage qu’on connaît bien, sans doute trop bien. Alors on ne se pose plus de question.

L’auteur de l’Evangile veut nous transmettre la Bonne Nouvelle en nous livrant un récit construit. Il ne s’agit pas d’un rapport gynécologique, ni d’un entrefilet de journal “people”, ni d’un écrit ésotérique.

Les points que je vais faire ressortir ne sont pas forcément ceux qu’un autre aurait vu, ni même ceux que dans quelques temps je pourrais apercevoir.

Il s’agit essentiellement d’un récit de rencontre avec un court dialogue. Le passage retenu commence par une situation dans le temps et l’espace.
Le temps : le sixième mois de la grossesse d’Elisabeth, la future mère de Jean-Baptiste.
Le lieu : un ville de Galilée, en fait même une petite ville inconnue de la Bible hébraïque, Nazareth.
Les personnages : Gabriel, l’ange, c’est à dire le messager. Il est envoyé, missionné, apostolé. Il vient d’auprès de Dieu. Marie, une jeune fille, promise en mariage. On nous précise même que le futur époux est de la maison de David, un descendant du roi David, c’est Joseph.
Dans ces deux premiers versets, on trouve déjà trois fois le mot “nom”, le nom de la ville, le nom de l’homme et le nom de la jeune fille. Un peu plus loin, on mentionne aussi le nom de l’enfant.

L’ange lui rend visite, et la salue : Réjouis-toi ! Sois heureuse ! Une salutation est un souhait : “Bonjour”. Même le mot “salut” s’il a perdu de son sens est à l’origine un mot fort. Au Moyen Orient, comme dans la Bible on se salue en souhaitant “la paix”, ou encore “la grâce et la paix”. L’ange lui annonce le bonheur. Il la décrit comme remplie de grâce, comme devenue gracieuse. Il lui dit que le Seigneur est avec elle. Le Seigneur, c’est à dire pour les Israélites pieux de l’époque, le Dieu d’Israël dont on prononce pas le nom. Ce qu’indiquent effectivement quelques traductions. On peut comprendre qu’après une telle entrée en matière, Marie puisse se poser quelques questions. Elle était troublée, on le serait à moins. Cette salutation, cette parole qui lui est adressée est forte, pleine.

Alors l’ange la rassure. Enfin c’est ce qu’il souhaite, parce que entendre : “tu as trouvé grâce aux yeux de Dieu” pour une jeune fille de Galilée, ça n’a rien d’évident. Et ce qui suit encore moins. Tu seras enceinte et auras un fils. Tu lui donneras un nom bien précis, Jésus, c’est à dire Sauveur. Et toute série d’éléments bizarres : il sera grand, appelé Fils du Très-haut, sur le trône de David, roi de la maison de Jacob pour toujours. Sidérant. Vertigineux.

Mais elle reste pragmatique : Je n’ai pas d’homme dans ma vie.

Et l’ange est toujours aussi énigmatique : le souffle saint, la puissance du Très-Haut comme une ombre sur toi. Ce qui est engendré saint sera appelé Fils de Dieu. Sans doute pour être plus convaincant, il parle de la grossesse miraculeuse et inattendue d’Elisabeth. Pour dire que ce que dit Dieu n’est pas sans force, n’est pas impossible.

Impressionnée, par quoi je ne sais pas, Marie rend les armes. Voici, esclave du Seigneur, du Dieu d’Israël, qu’il m’arrive selon ce que tu m’as dit.

Et l’ange s’en va.
Et Marie est enceinte. De l’oeuvre de Dieu ? Non, de la parole de Dieu. Cette parole prononcée, acceptée, est devenue réalité. Comment ? Pratiquement ? Pas important. Le texte n’en dit rien. Pourquoi lui en demander plus ?

Plutôt que de chercher ce qu’il ne nous dit pas, voyons d’un peu plus près ce qu’il nous dit.

Mes gribouillis sur ma feuille m’ont permis de repérer quelques éléments.

D’abord, Dieu est ici désigné de trois façons différentes : Dieu, le Seigneur et le Très-Haut. Dieu, c’est un peu la dénomination passe-partout. Elle correspond pour les Israélites de l’époque à Elohim de la Torah. Pour les Grecs, c’est à la fois un terme général et générique, un condensé de la divinité. Ensuite il y a le Seigneur. Ce mot était aussi utilisé pour parler de l’Empereur, mot polémique qui sera attribué ensuite à Jésus. Il est celui que la Septante utilise pour rendre le Tétragramme. Il n’est donc pas anodin, même si c’est aussi un équivalent de Monsieur. Et puis il y a le Très-Haut, qui répond à l’hébreu El-Elyon. Ce nom de Dieu est celui qui est utilisé dans le récit de la guerre d’Abraham en parlant de Melchisédèk. Le terme est d’ailleurs repris dans l’épître aux Hébreux quand elle mentionne Melchisédèk. C’est surtout Luc qui l’utilise, montrant ainsi sa connaissance de la Torah sous sa forme grecque. Le choix de ce terme montre le côté universel de Dieu qui dépasse le peuple hébreu.
Cette nouvelle de la venue du Messie concerne tout l’univers. D’ailleurs, s’il régnera sur la maison de Jacob, ce sera dans tous les siècles, ou plutôt dans tous les mondes, royauté sans fin. Un Dieu universel pour un Sauveur universel.

Universel, peut-être, mais pas anonyme. Le texte insiste sur les noms. Pas n’importe où, pas n’importe quand d’ailleurs. Pas n’importe quelle jeune fille. Pas n’importe quel père humain, pas de n’importe quelle famille. Et surtout pas n’importe quel nom, celui de Sauveur.
Et si j’ose extrapoler, ce salut n’est pas pour n’importe qui. Il s’adresse à chacun de nous. Il s’adresse à nous en nous désignant par notre nom. Si Jésus est ce Sauveur qui est venu, il est venu non pas pour le monde en général, non pas pour l’homme en général, mais pour chacun en particulier, avec son nom. Et même plus, il est écrit ailleurs que chacun recevra un nouveau nom.

Et ce nom, il est utilisé pour appeler. Appeler, c’est nommer. C’est aussi crier. C’est aussi parler. C’est aussi convoquer. Le Fils de Dieu, le Fils du Très-Haut est ainsi appelé, il est convoqué comme Sauveur, c’est d’ailleurs son nom, Jésus, Josué, Jehoshua.

Mais nous aussi, si nous sommes sauvés, nous sommes aussi appelés, par notre nom, et convoqués pour mettre en marche son royaume, pour rendre effective sa royauté sur l’ensemble des mondes. Nous sommes appelés, chacun, à engendrer, à porter, à dire, à appeler et crier la parole, le message, la bonne nouvelle de la grâce. Nous sommes appelés à devenir, à accepter de devenir, de devenir des enfants de Dieu selon sa parole.

C’est cette parole qu’a délivrée l’ange, cette parole qui crée l’événement, qui crée l’histoire et qui la dit. Mais cette parole porte plus loin. Elle dépasse l’événement. Elle dépasse les éons, les mondes, les temps. Elle n’a pas de fin. Cette parole n’est pas impuissante. Sa force s’accomplit, c’est la puissance de Dieu lui-même.

Quand nous sommes en face d’un tel texte, nous pouvons bien sûr entendre ce qu’il nous dit de Dieu, de Jésus, de Marie.

Mais voyons aussi ce qu’il nous dit de nous, ce qu’il nous dit à nous.

Il nous dit aussi la grâce de Dieu pour chacun de nous, en nous appelant par notre nom. Il nous dit que Dieu nous connaît, qu’il connaît les circonstances de notre vie. Il nous dit que Dieu est avec nous, si bien sûr nous choisissons d’être avec lui, si nous acceptons de devenir selon sa parole, de devenir son enfant.

Ce texte est aussi pour nous un appel, un appel à porter la grâce et le salut qui sont en Jésus-Christ, un appel à vivre son royaume, à vivre de sa royauté, à entrer dans ce monde qui dépasse les mondes et qui n’a pas de fin.

Mais, qui suis-je pour tout ce programme qui me dépasse infiniment ? Le souffle saint, l’Esprit Saint viendra sur toi aussi, et la puissance du Très-Haut te couvrira aussi de son ombre. Tu seras aussi appelé enfant de Dieu. Si ta vie était stérile, elle ne l’est plus, puisque la parole de Dieu n’est pas impuissante. S’il t’appelle, il te donne aussi sa force pour répondre à son appel.

Et quand l’ange s’éloigne, le Sauveur est venu, l’Esprit est venu, et la parole reste qui te garantit, qui te certifie d’être appelé enfant de Dieu quand tu réponds à son appel, quand tu écoutes le cri qu’elle t’adresse.

Alors, écoute encore ce que l’ange disait à Marie : N’aies pas peur ! Ne crains pas ! Tu as trouvé grâce aux yeux de Dieu. Si tu es gracieux, si tu es gracieuse, c’est parce que Dieu te regarde comme tel.

Alors, esclave du Seigneur, que je devienne selon sa parole.

Amen.

(Philippe Cousson)

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