Esaïe 49:8-13
Galates 2:16-20a
Jean 6:35-40
Le 31 octobre 1517, un moine augustinien s'installa
devant la porte principale de la chapelle du château de Wittemberg, en
Saxe, et il y apposa une grande affiche, ses 95 thèses sur les indulgences,
texte de protestation, parfois sarcastique. Son nom était Martin Luther,
et cet événement marque le début de la Réforme Protestante.
A cette époque, le pape Léon X construisait
la basilique Saint-Pierre de Rome, et il avait besoin d'argent. Alors on vendait
des indulgences. On en forçait aussi un peu l'acquisition. Acheter son
salut, racheter des années de purgatoire, se ruiner pour cela, révoltait
le moine Luther, qui venait de comprendre que Dieu justifiait gratuitement.
Et voilà que dans sa région, un moine dominicain Tetzel arrivait
et prêchait la vente des indulgences.
Alors, Luther, professeur à l'université
de Wittemberg, rassembla ses griefs et les exposa en 95 thèses, qu'il
afficha donc à ce portail. Et ses idées se répandirent
tellement vite qu'elles embrasèrent l'Europe, et nous sommes encore ici
pour en témoigner, presque 480 ans plus tard.
Or en ce jour, dernier dimanche d'octobre, où
nous commémorons cet événement, les listes nous proposent
ce texte de Galates, qui reprend ce qui fit la force de la Réforme, le
salut par grâce.
De quoi s'agit-il donc ? Le verset 16 nous le
redit : l'homme n'est pas justifié par les oeuvres de la loi, mais par
la foi en Christ Jésus. Ce message s'articule donc autour de quelques
notions qu'il nous faut essayer de clarifier, la justification, les oeuvres
de la loi, et la foi.
Salut, justification, justice, juste. Juste, beaucoup
d'hommes ont ce mot à la bouche : ce n'est pas juste ! Il ne mérite
pas cela, ou bien : ce n'est pas juste, je ne mérite pas cela, qu'est-ce
que j'ai fait au Bon Dieu ? Ou encore : il a reçu ce qu'il a mérité,
il y a une justice.
Mais Paul nous explique que raisonner ainsi est
faux. Ce raisonnement est vicié au départ. Qui est juste ?
Qui est sans tache ? D'ailleurs Jésus lui-même l'a fait comprendre,
il ne vient pas pour ceux qui se pensent justes. La justice de Dieu ne fonctionne
pas comme un compteur-décompteur, qui inscrirait à notre compte-salut
des points en plus ou en moins suivant que nous aurions été justes
ou pas. Il n'y a pas de comptabilité de la justice.
Mais alors, que veut dire Paul, quand il dit que
nous sommes justifiés ? Il connaît la nature humaine, et sait,
lui, que de toutes façons, s'il y avait compte, il serait défavorable,
catastrophique !
Parce que, si on regarde ce que Paul appelle les
oeuvres de la loi, on s'aperçoit en effet qu'elles ne mènent qu'au
désespoir, à moins d'être naïf ou infatué, à
moins de ne rien voir ou de ne voir que son bon profil. Où peut conduire
la logique des oeuvres de la loi, sinon à la mort ? Est-il possible
de faire le bien par calcul, de le faire en y étant forcé ?
Est-il possible d'ignorer que fondamentalement c'est le mal qui vient à
l'esprit, qui vient à l'action, et que la loi nous révèle
notre incapacité de faire le bien, véritablement, couramment.
Que sont les résultats de nos actes, de nos pensées, de la plupart
de nos actes, de la plupart de nos pensées ? Ce sont déchirures,
blessures, mort. Et nous sommes aussi sur ce chemin de mort, si nous calculons
encore avec les oeuvres de la loi. Sur un chemin de mort, de gaspillage, de
vies gâchées, d'occasions perdues. Est-ce là la justice
désirée ? Est-il possible de trouver ainsi le salut ?
Il est absolument nécessaire de réaliser qu'un tel calcul ne peut
jamais aboutir à un résultat positif. Il est absolument nécessaire
de réaliser que la nature de l'homme, de l'homme naturel, quel qu'il
soit, est de ne pas pouvoir faire le bien, vraiment, pleinement, mais de pouvoir
facilement opérer des destructions, des refus, des malheurs. Et que de
cet état là, on ne peut sortir seul, qu'on ne peut pas s'en sortir
avec ses propres forces.
C'est là qu'intervient la foi, la foi en
Christ Jésus. La mort qui accompagne notre vie, la mort conséquence
de notre non-vie, cette mort là, Jésus, le Christ venu vivre en
homme, a accepté de la vivre, de la subir. La mort de Jésus sur
la croix, c'est la conséquence de notre vie de mort. S'il est mort sur
la croix, c'est pour nous arracher à notre logique de mort. Quand il
dit que nous sommes crucifiés avec Christ, Paul nous dit la même
chose. Cette graine de mort qu'est notre vie, il nous faut la terminer, il nous
faut regarder à la croix, à cet homme qui se meurt, qui se meurt
de notre mort. C'est notre mort qu'il est en train de vivre. Il a vécu
notre vie, mais sans ce péché qui nous a si facilement et si souvent
enveloppé, il a vécu notre vie sans semer la mort. Et maintenant,
c'est notre mort qu'il vit, pour que nous puissions ensuite vivre de sa vie.
Paul le dit plus loin, ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ qui vit en moi.
Le Christ est réssuscité. Il est vivant. Et nous aussi, si nous
avons accepté de mourir à nous mêmes, si nous avons reconnu
l'inanité de notre vie de mort, si nous nous sommes placés au
bénéfice de cette grâce offerte, alors la logique de notre
vie a totalement changé. Il n'existe plus de compteur. Il n'existe plus
de calcul. Seule est là la foi. La foi en Christ. La vie ancienne est
passée, finie, crucifiée avec Christ. La vie nouvelle est commencée.
Il n'est plus question des oeuvres de la loi. Il n'est plus question de faire
quelque chose pour gagner des bons points, et plus question d'éviter
ce qui pourrait valoir des mauvais points. Si Christ vit en nous, si nous l'y
invitons, alors il est question de regarder le monde autour de nous comme si
lui le regardait. Il faut alors que nos yeux soient ses yeux, que nos oreilles
soient ses oreilles, que notre voix soit sa voix, que nos mains soient ses mains.
Les oeuvres de la foi n'ont rien à voir avec les oeuvres de la loi. Rassurez
vous, nul n'est parfait. Ce n'est qu'un processus qui s'est enclenché.
Attention au retour de notre nature. Parfois, le Christ, nous voulons le faire
taire en nous. Parfois nous voulons l'enfermer. Mais attention à ne pas
recommencer les calculs, à ne pas entrer à nouveau dans l'engrenage.
Si nous revenons à lui, si nous l'invitons encore, il est fidèle
et juste, lui, et il est là, à nouveau, à toujours, sans
calculer.
Attention à ne pas nous compter dès
lors parmi les justes. Attention à ne pas nous mettre à penser
que puisque nous l'accompagnons, nous méritons quelque chose. Nous ne
faisons jamais que ce que nous devons faire. Peut-être que, à la
fin, il nous dira : c'est bien, bon et fidèle serviteur, entre dans la
joie de ton Maître. Mais cela ne doit jamais être le calcul. Il
est là, parmi nous, en nous. Alors laissons-le agir. Laissons-le nous
montrer où il nous attend, où il a besoin de nous, pour aider,
soutenir, partager, soulager, parler, faire vivre autour de nous, apporter la
vie, là où règnent l'égoïsme, l'abandon, la
misère, la douleur, le silence et la mort.
Alors donc, quoi dire, quoi te dire à toi,
qui peut-être pense que venir ici le dimanche est bien, que cela te vaudra
un bon point ? Quoi te dire à toi dont peut-être les bonnes
actions sont connues, appréciées des voisins, des bénéficiaires,
et l'espères-tu, appréciées aussi de Dieu, qui, crois-tu,
les comptabilise ? Quoi te dire à toi, qui vient ici peu souvent,
qui a sans doute autre chose de mieux à faire les autres dimanches matin ?
Quoi te dire à toi, qui en ce jour pense comme certains de nos frères
catholiques, à ses morts ? Quoi te dire à toi, qui en veut
au monde entier, et à Dieu peut-être, d'être seul, oublié
de tous, abandonné à ton triste sort ?
A toi donc, qui que tu sois, je veux te dire que
Jésus Christ est mort sur une croix romaine, qu'il est réssuscité
comme l'ont attesté depuis des siècles les croyants, et qu'il
te propose une révolution dans ta vie, un renversement des valeurs. Certains
combattent pour des valeurs, mais il s'agit plus ici de celles ci. Il s'agit
ici de la vie, de la vie nouvelle, de la vie éternelle déjà
commencée. Celui qui croit en Jésus-Christ, celui qui croit en
la grâce de Dieu, celui-là est mort à la loi, mort à
la justice des comptables du bien et du mal. Il te faut pour cela reconnaître
que si tu voulais compter, tu serais depuis longtemps sur les fichiers d'endettés,
d'endettés jusqu'au cou, jusqu'au cou dans des faits de mort, et que
jamais, jamais tu ne serais en mesure, qui que tu sois, de pouvoir relever la
tête, sortir la tête. Il faut accepter de déposer ta vie,
de solder ton compte en l'état au pied de la croix. Et alors, il t'acceptera,
il t'invitera, il s'invitera dans ta vie, qui maintenant sera la vie, la vraie
vie, la vie pour la vie. Alors cesse de compter. Cesse de te tourmenter pour
ce qui ne va pas. Cesse de te glorifier de ce qui pourrait aller. Cesse de réclamer
un sort meilleur. Abandonne tes prétentions. Abandonne ton auto-culpabilisation.
Tourne toi vers lui, vers le Christ, les mains
vides, le coeur ouvert. Il t'accueille, accueille-le.
En repartant d'ici tout à l'heure, tu ne
compteras plus, en plus ou en moins, tu chercheras où il t'attend, où
il veut que tu sois à sa place, pour agir comme il l'aurait fait. Tu
es à présent son amour ici. Non pas pour ce que tu es, ou pour
ce que tu pourrais faire, mais pour ce que lui, il est en toi. Cette vie nouvelle,
n'est en fait plus vraiment la tienne, plus uniquement la tienne.
Tu pourras alors dire comme Paul : Je suis crucifié
avec Christ. Ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ qui vit en moi.
Amen. Viens Seigneur Jésus.