Poitiers, 11 décembre 1994

Soph 3:14-18
Phil 4:4-7
Luc 3:7-18

     Réjouissez-vous. Soyez joyeux. Tel est le message de Paul, dans la fin de l'épître aux Philippiens. Manifestez de la douceur envers tous. Ne vous inquiétez de rien. Et la paix de Dieu gardera vos coeurs. Voilà un message qui a de quoi nous satisfaire. Voilà une bonne nouvelle, agréable à entendre.      Eclatez de joie. Poussez des acclamations. Réjouissez-vous. Voilà le message de Sophonie, dans la fin de son livre. Dieu a retiré vos condamnations. Il a fait fuir vos ennemis. N'aie pas peur, ville de Sion, Le Seigneur ton Dieu est avec toi. Voilà une bonne nouvelle, agréable à entendre.
     Et l'évangéliste Luc nous dit que Jean annonçait la bonne nouvelle au peuple, au peuple qui se pressait sur les bords du Jourdain pour venir l'écouter et se faire baptiser. Ce message devait donc être aussi réjouissant, agréable à entendre que ceux de Paul plus tard, ou de Sophonie bien avant.
     Voilà donc comment commençait la bonne nouvelle de Jean, le baptiseur : Race de vipères. Réjouissant, n'est-ce pas, de se faire appeler tous indifféremment : race de vipères. On peut certainement recevoir bonne nouvelle plus agréable. Jean n'usait pas de flatterie envers ceux qui étaient venus à lui, dans le désert, au bord du Jourdain. Ils avaient fait l'effort de se déplacer, de venir au bout du monde pour écouter Jean et se faire baptiser par lui. Et voilà ce qu'ils reçoivent tous, quels qu'ils soient, ensemble : race de vipères. Quel encouragement ! Et pourtant ils sont là, fatigués peut-être du voyage, espérant quelque chose. Ils sont là, au vu et su de tout le monde. Et quand, avides, il écoutent Jean, leurs oreilles retentissent de cette apostrophe : race de vipères.
     Race de vipères : que comprenaient ceux qui écoutaient Jean ? Que comprenons-nous quand Jean nous dit la même chose, à nous qui sommes venus ce matin, à nous qui nous sommes déplacés, qui avons fait l'effort de nous lever matin, qui avons organisé notre journée en fonction de ce moment ?
     J'ai essayé de chercher quel pouvait bien être les sens symboliques possibles des vipères. Celui qui me paraît le plus plausible, le plus vraisemblable, serait le suivant : la duplicité, l'hypocrisie. Jean les accuserait, nous accuserait, d'hypocrisie, de duplicité.
     Voyons ce qu'il dit. Voyons l'alternative qu'il propose, l'opposition qu'il fait. Il voit ses interlocuteurs comme des gens qui essayent d'échapper à la colère à venir, qui cherchent à la fuir. Et il leur demande de produire des fruits dignes de la repentance. Son baptême est un baptême de repentance.
     Ce baptême n'est pas une échappatoire. Il n'est pas un moyen de s'épargner un quelconque jugement. Jean imagine un calcul de la part de ceux qui viennent à lui. Viendraient-ils pour, grâce au baptême de Jean, être à nouveau bien avec Dieu ? Par ce baptême, chercheraient-ils, eux tous, à se garantir de Dieu, de sa Sainteté, de sa colère ? Auraient-ils besoin d'une assurance relativement bon marché, d'une amnistie baptismale, d'un parapluie ouvert ?
     D'ailleurs cela, ils pensent l'avoir. Il sont Fils d'Abraham. Quelle carte de visite ! Quel certificat ! Certificat d'origine contrôlée, certificat d'assurance, certificat de bonne conduite. Vraiment ? Non, non, dit Jean. Cela ne vaut rien. D'ailleurs, Dieu pourrait susciter des enfants d'Abraham de ces pierres, là.
     Et pourtant ils sont venus vers Jean. Donc, ils ne lui faisaient pas trop confiance, à leur certificat, au sang qui coule dans leurs veines. Ils avaient besoin d'autre chose. Sans doute, sans bien le comprendre. Ils avaient besoin de se rapprocher de Dieu.
     Voilà ce que Jean veut dire. La religion, la religion de Dieu, ce n'est pas vouloir se couvrir, se protéger, se garantir, se racheter d'une quelconque responsabilité, d'un jugement, c'est une relation personnelle avec Dieu, un contact sans cesse renouvelé. Voilà ce dont ils ont besoin. La repentance, le retournement, le nouveau départ en direction de Dieu, avec Dieu.
     La hache, la cognée, est déjà à la racine des arbres. Dieu est prêt à éprouver les coeurs, les motivations. Il constatera quelles elles sont. Il verra celles qui tiennent, celles qui sont sources de vie, et celles qui s'effondrent, qui sont source de mort, celles qui ne mènent à rien, et celles qui portent des fruits.
     Que sont les fruits ? Ils sont des résultats, pas des moyens. Ils ne sont pas le moyen de se tourner, de se retourner, vers Dieu, mais le résultat de ce virage, de cette repentance. Mais la question de la foule est ambiguë. On ne sait pas si elle a déjà compris ça. Si elle demande : que ferons-nous ? Est-ce : que ferons nous afin de nous satisfaire Dieu, ou bien : que ferons-nous maintenant que nous nous sommes tournés vers Dieu ?
     Et Luc cite quatre exemples de conduite possibles : le partage des deux tuniques, du repas, le percepteur et le soldat.
     Je vous laisserai simplement deux remarques sur le premier exemple, le partage des deux tuniques.
     Il est demandé de partager, certes. Mais il est demandé à celui qui a deux tuniques de partager avec celui qui n'en a pas. Notez bien qu'il n'est ici rien demandé à celui qui n'a qu'une tunique.
     Deuxième remarque : que peut-on dire de celui qui a à sa disposition deux tuniques. On peut dire qu'il est prévoyant, qu'il a su prendre ses précautions. Bon point pour lui. Eh bien, non. C'est un mauvais point. Cela signifie qu'il ne compte que sur sa prévoyance, sur sa sagesse, sur ses efforts, et qu'il ne place pas sa confiance en Dieu. Et je sais qu'il est difficile de ne pas agir ainsi. Et pourtant, rappelez-vous de la parabole dite du riche insensé, où la question posée était : à quoi tout cela sert-il ?
     La foule pose une autre question, à laquelle Jean répond aussitôt, et de manière constante tout au long de son ministère : il n'est pas le Christ. D'ailleurs, il oppose deux baptêmes, le sien, le baptême d'eau, le baptême de la repentance, le baptême qui marque le retour vers Dieu, la conversion, le changement de cap d'une vie ; et le baptême du Saint Esprit, qui porte les fruits, qui fournit la puissance pour les accomplir. Car il n'est pas possible à un homme normal, naturel disent certains théologiens, d'accomplir même simplement ce que demandait Jean. Mais à Dieu tout est possible. Tout est possible à celui qui s'en remet à Dieu, qui place en lui sa confiance, son assurance, qui vit de sa présence, de sa puissance.
     Nos vies sont alors placées face au Christ. Que vaudra alors notre repentance ? Jean utilise l'image de la séparation du blé et de la paille. Il ne s'agit pas pour nous ce matin de regarder le voisin pour savoir s'il vaut de la paille ou du grain. Il s'agit pour nous de nous examiner nous mêmes à la lumière de l'Evangile, à la lumière de l'amour de Dieu, d'examiner notre propre sincérité, notre propre vérité face à celui qui est la Vérité. Que sont nos actions ? Sont-ce des fruits dignes de la repentance ? Chacun de nous connaît ses feux de paille. Chacun de nous connaît ce qui n'a mené à rien, ce qui a été futile, inutile, nuisible. Chacun sait ce qui dans sa vie a été comme de la paille, et qui est déjà brûlé. La Parole de ce jour nous demande après cet examen, de laisser tout ceci, de l'abandonner, de choisir la compagnie de Dieu, celle du Christ et l'accompagnement de l'Esprit, de vivre les fruits dignes de la repentance.
     Mais alors, cet examen nous révélera-t-il aussi ce qu'ont été les fruits dignes de la repentance, les fruits d'un véritable chemin avec le Seigneur ? Pas nécessairement. D'abord autant il est assez facile après coup d'identifier la vanité, les choses vaines, autant les fruits de la repentance appartiennent à Dieu et à son Esprit, et notre rôle ne nous apparaît pas toujours. Ce n'est d'ailleurs sans doute pas une mauvaise chose. Quoi de plus dangereux que de risquer de devenir orgueilleux des fruits de la repentance ! Incapables que nous sommes, nous nous vanterions de ce que l'Esprit a accompli, par nous, soit, mais tout de même. Où peut se cacher aussi la vanité !      Jésus nous l'a bien dit, nous ne sommes, quand nous marchons avec lui, que des serviteurs inutiles, qui ne faisons que ce que nous avons à faire, non plus par devoir, mais par nouvelle nature. Non pas pour mériter, acquérir, gagner, mais simplement parce que nous sommes ce que la repentance a fait de nous, ce que l'Esprit a fait en nous, ce que l'Amour de Dieu fait par nous.
     La voilà, la Bonne Nouvelle de Jean, comme nous la comprenons après la venue du Messie : La repentance et le Saint Esprit pour changer l'homme. Ce Christ qui vient après Jean va faire de ceux qui le suivent des nouvelles créatures, qui laisseront les choses vaines pour une relation véritable avec Dieu, qui porte des fruits.
     Revenons à nous. Que sommes nous venus faire ici ce matin ? Pourquoi, pour quoi sommes nous dans ce temple ?
     Est-il possible que nous soyons ici avec l'idée de tenter de nous concilier Dieu ? de l'amadouer ? avec l'idée de tenter de rattraper la semaine passée, ou le mois, ou l'année ? Ou bien pensons-nous que ça ne peut pas faire de mal d'être venu, que nous sentirons sans doute mieux en sortant de ce culte, alors que Noël approche ? Ou alors, et cela résume peut-être les autres formulations, sommes-nous venus ici ce matin avec l'idée de nous garantir d'une éventuelle colère d'un Dieu, que par ailleurs nous souhaitons le plus loin possible de nous, de notre vie et de sa conduite ? S'il sont vrais pour certains, vous comprenez bien que ces arguments ne représentent pas la Bonne Nouvelle que Jean annonçait.
     Le Dieu de Jean, le Dieu de Jésus, celui qui envoie le Saint-Esprit, n'a rien à voir avec ces sentiments, ces motivations. C'est un Dieu d'amour, de relation personnelle, de communication véritable, de communion. Il veut de vrais contacts, et non des faux-fuyants. Alors, sommes-nous venus ici ce matin pour chercher à renouveler le contact avec Lui, à nous rapprocher de Lui, à nous retrouver, ensemble, avec Lui, autour de Lui, de son Fils dont nous célébrons l'attente, cherchons-nous un nouveau souffle, cherchons-nous à être à nouveau plein de l'Esprit Saint pour porter encore plus de fruits, des fruits dignes de la repentance.
     La voilà la Bonne Nouvelle que Jean prêchait, avec beaucoup d'autres exhortations.
     Alors, avec Sophonie, pousse des cris de joie, lance des clameurs, réjouis-toi. L'Eternel a écarté de toi les jugements, il a détourné l'ennemi, ton ennemi intérieur, le péché, la vanité mais aussi la mauvaise conscience, et la trop bonne conscience. Il est avec toi, et Il fera de toi sa plus grande joie.
     Alors avec Paul, réjouis-toi. Que ta douceur, un des fruits de l'Esprit, soit connue de tous.
     Et la Paix de Dieu gardera vos coeurs et vos pensées en Christ Jésus.
     Amen.

(Philippe Cousson)

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