Poitiers, 27 avril 1997

Actes 9:26-31
1 Jean 3:18-24
Jean 15:1-8

     Après le jardinage, voici la viticulture. Stéphane nous a parlé la semaine dernière des jardins et de leur entretien, et je vous parlerai ce matin de vigne et du travail de la vigne. Il est heureux que je n'aie pas à prêcher dans une paroisse viticole, car pour ce qui est du soin de la vigne, je n'y connais strictement rien ou si peu. Si quelqu'un s'y connaît, il voudra bien me pardonner si je dis des bêtises.

     Jean fait allusion à une partie du travail de la vigne, qui est le traitement des branches, des sarments. Bien sûr, son intention n'est pas de rédiger un traité de viticulture. Simplement il veut annoncer l'Evangile. Nous essayerons donc de comprendre ce qu'il voulait nous dire, et au delà, ce que l'Esprit a à nous dire aujourd'hui.

     Ce texte nous parle des rameaux coupés, et des rameaux taillés, ou encore émondés. Et ce ne sont pas les mêmes. Les rameaux que l'on coupe, sont ceux qui ne portent pas de fruit. Ceux que l'on taille, sont ceux qui portent du fruit. Et on le fait pour qu'ils portent encore plus de fruits. Le commentaire de la TOB indique qu'émonder signifie "enlever les feuilles qui empêchent le mûrissement des grappes."

     Les branches stériles ne servent à rien. On les enlève. Elles sont ensuite rassemblées et brûlées. Les feuilles que l'on enlève fatigueraient le pied de la vigne. Une fois enlevées, la sève peut toute être utilisée à produire de beaux fruits en plus grande quantité.

     Dites donc, vous vous sentez branche stérile ou branche féconde. Vous vous attendez à être coupé ou émondé. Parce que Jésus dit aux disciples, que ce sont eux, les rameaux, les branches, les sarments. D'ailleurs, il leur annonce qu'ils sont déjà émondés.

     Mais vous qui êtes ses disciples, n'est-ce pas, êtes-vous déjà émondés ? Est-ce que chaque dimanche, une ou plusieurs feuilles inutiles tombent du rameau que vous êtes ? Et dans la semaine, quand vous ouvrez la Bible, est-ce que vous permettez à Dieu d'en supprimer encore ? Les fruits que vous portez valent-ils la peine de cette taille, ou bien leur absence justifierait-elle une coupe franche ?

     Tout ça dépend des fruits, du fruit. Porter du fruit. Pour un rameau de vigne, on comprend bien. Pour une branche de cerisier aussi. Mais par les temps qui ont couru, il ne reste plus grand chose sur les uns comme sur les autres. Nos fruits à nous, notre fruit à nous, n'aurait-il pas subi parfois des périodes de gel, de gel intense ? Est-ce que notre fruit demeure ?

     Porter du fruit, pour un croyant, c'est quoi ?
     Je suppose que tout le monde connaît ce passage ou Paul liste les "fruits de l'Esprit" dans l'épître aux Galates, (5:22), qu'il présente d'ailleurs comme LE fruit de l'Esprit (au singulier), et il donne : l'amour, la joie, la paix, la patience, la bonté, la bienveillance, la fidélité, la douceur, la maîtrise de soi.

     C'est une bien belle liste. Mais, c'est un peu embêtant. Ce n'est pas une liste de choses à faire, à réaliser. Vous préférez une liste de choses à faire, à réaliser. Voici la liste que donne un commentateur : Porter du fruit, c'est manifester pas ses actes sa conversion, c'est manifester que Dieu a été à l'oeuvre dans le ministère de Jésus-Christ, c'est témoigner de l'amour fraternel. Tout ça n'est pas forcément plus net. Paul, aux Colossiens, donnait le résumé suivant : "toutes sortes d'oeuvres bonnes". Les B.A., les "bonnes actions", on voit un peu mieux. Mais attention, l'épître de Jean qu'on vient de lire, nous dit que notre amour doit se manifester "en action et en vérité". Et le livre des Actes lu aussi ce matin donne lui aussi une piste : "Saul s'exprimait ouvertement."

     Alors, en fait, c'est quoi porter du fruit ? Parce que c'est quand même important. Il paraît préférable d'être émondé que coupé.
     D'abord, il me semble qu'il est important que comprendre qu'on ne porte pas de fruit, parce qu'on veut porter du fruit. Le fruit n'est pas l'objectif du rameau, c'est celui du vigneron. Oui, mais dans ce cas là, je suis quoi moi, le rameau, là-dedans ? Eh bien, la voilà, la vrai question. Elle n'est pas de l'ordre du faire, ou de l'avoir fait, mais de l'ordre de l'être. Qu'est-ce qu'est le croyant, le rameau uni au cep ? C'est d'abord un rameau qui n'est pas autonome. "Sans moi, vous ne pouvez rien faire" a dit Jésus. En fait le rameau coupé, n'a pas été coupé, il s'est coupé de lui-même, en voulant "voler de ses propres ailes". Séparé du pied de vigne, il n'est plus rien. Il ne produit plus rien. Il sèche.

     Ne porte du fruit que le rameau qui demeure uni au cep. Ce n'est pas "porter du fruit" qu'il faut rechercher, mais bien "être uni au pied de vigne". Et y demeurer. La sève ne peut aller que dans les rameaux encore liés au pied.

     Demeurer uni au Christ, c'est quoi ? Qu'est-ce que je dois faire ?

     Avant tout, il faut que mon histoire avec le Christ ait commencé un jour. Il faut que son pardon m'ait délivré. Il faut que sa mort sur la croix et sa résurrection aient changé ma vie. Il faut que le Saint esprit m'ait convaincu de mon péché et de la grâce de Dieu. Si tel n'était pas le cas, il n'est pas trop tard. L'amour de Dieu n'a pas cessé. Son pardon reste acquis à qui se repent. Sa mort et sa résurrection sont là pour ouvrir une vie nouvelle, à celui qui ne veut plus être dominé par ses pulsions, et par leurs fruits amers. Mais cette vie nouvelle, ce statut de rameau de vigne, n'espérez pas le gagner, le mériter. La vie chrétienne, on la doit à la grâce de Dieu, à la mort et à la résurrection de Jésus-Christ, pas à notre hypothétique accumulation de bonnes oeuvres, pas à notre obéissance rituelle. Cette vie est reçue, pas acquise. C'est le Christ qui nous porte, pas nous qui le prenons avec nous.

     Celui qui vit en Christ, celui-là a besoin de recevoir régulièrement de lui tout ce qu'il faut pour vivre la vie nouvelle. Il lui faut rester toujours en contact avec la source de la vie. Et comment le croyant peut-il garder le contact avec le Christ ? Par ses paroles, en s'approchant de l'Ecriture, en lisant et méditant la Bible. En s'adressant à lui, par la prière, individuelle et collective. Demeurer uni à lui, cela signifie aussi que ce lien ne doit pas s'interrompre, que l'approche de la Parole, et la prière, ne peuvent être interrompues sans dommage. Demeurer uni à lui, signifie aussi lui être fidèle, être constant dans cette fidélité. Il n'est pas possible de faire le tri dans la sève qu'il nous envoie, dans ce qu'il nous dit. Il n'est pas possible de retenir ce qui nous conviendrait et de rejeter ce qui ne nous conviendrait pas. Cela reviendrait à se comporter en rameau déjà coupé, et appelé à se dessécher.

     Et alors, mais alors seulement, viendront les fruits, le fruit. Peut-être même ne s'en aperçoit-on pas tout de suite. Les autres autour de nous, eux, s'en aperçoivent. Il ne faut pas chercher à porter du fruit, il faut chercher à demeurer attaché au cep. Et le vigneron aura son fruit. "Et vous serez mes disciples." Et le monde saura que Jésus-Christ est le vrai cep, la vraie vigne, la source de la vraie vie.

     Et pour demeurer attaché au pied de vigne, il faut être constant dans l'écoute de la Parole, dans la prière, dans la communion fraternelle de l'Eglise, et dans le partage du pain, comme le faisaient les premiers chrétiens selon Actes 2:42.

     "Je suis la vigne, dit Jésus, et vous êtes les rameaux. Celui qui demeure uni à moi, et à qui je suis uni, porte beaucoup de fruit, car vous ne pouvez rien faire sans moi."

     Amen.

(Philippe Cousson)

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