Rouillé, 1er septembre 1996

Jér 12:1-6

Rom 12:1-3
Mat 16:21-28

     Nous sommes encore ici sur le territoire de Césarée de Philippe. Cet épisode suit immédiatement celui où Jésus a demandé qui on disait qu'il était, et où il a obtenu la réponse juste de la part de Pierre.

     Après avoir confirmé cette réponse, et demandé le silence, il commence à expliquer à ses disciples en quoi cela consiste vraiment, ce qu'il est venu faire sur cette terre. Et il n'annonce pas des réjouissances.

     Alors Pierre, qui manifestement n'est pas sur la même longueur d'onde proteste. Lui, il voyait sans doute cela autrement : un Messie victorieux, qui chasserait les Romains, de bonnes positions pour eux, sans doute. Et voilà qu'il annonce quasiment le contraire.

     Il le prend à part. Il ne veut sans doute pas affronter le Maître en public. Il joue les gorilles, les gardes du corps, les conseillers, les sherpas. Comme ceux qui entourent les personnalités importantes. Il conseille, il protège. Et là, il faut conseiller, il faut protéger. Dans ce cas là, le Maître déraille. Il faut le protéger, malgré lui.

     Fais donc attention à toi. Ne t'expose pas comme ça. Sois donc un peu plus bienveillant envers toi-même. Ce que tu dis n'es pas possible. Enfin, réfléchis donc.

     Et la réponse de Jésus vient, cinglante. Jésus le remet à sa place, de disciple.

     Voyons de plus près cette réponse. Elle répond quasiment point par point à l'adresse de Jésus à Pierre, il y a quelques minutes.

     Arrière de moi, traduit-on traditionnellement. Il faut cependant revoir cette formule. Pierre et Jésus parlent en aparté. Il se font face, ou presque. Il est alors dit que Jésus se retourna, exécuta un demi-tour. Ce qui signifie, non pas qu'il se tourne vers Pierre pour lui répondre, mais qu'il se met à lui tourner le dos, pour lui montrer la direction à suivre, pour lui signifier de retourner dans le rang. Parce que la traduction serait plutôt : Derrière moi, sous-entendu, et pas devant. Ce n'est pas à toi de décider, pas maintenant.
     C'était quand même mieux de s'entendre dire : Tu es heureux, plutôt que ce : En arrière.

     C'était sans doute aussi mieux de se faire appeler Simon, Fils de Jonas, plutôt que Satan, Satan, l'adversaire, l'accusateur, le tentateur. Pierre doit maintenant ne plus rien comprendre, mais il n'est pas au bout de ses surprises.

     Jésus lui avait déclaré qu'il était Pierre, et que sur ce rocher, etc... Or maintenant, il n'est plus ce rocher solide, sur lequel s'appuyer, mais le scandale, la pierre qui fait chuter. Et il est un scandale pour Jésus. C'est Jésus qu'il pourrait faire chuter. Au lieu de bâtir l'Eglise, il ferait chuter le Maître.

     Dépassé le Pierre. Mais voilà enfin l'explication de Jésus. De même que tout à l'heure, ce n'était pas la chair et le sang qui lui avait appris la véritable identité de Jésus, mais bien Dieu lui-même, maintenant, ses pensées ne sont pas celles de Dieu mais celles des hommes.

     Revoyez ces textes à tête reposée. Cela ramène à de plus justes perspectives certaines constructions basées sur une des affirmations de Jésus.

     Ne sommes-nous pas souvent comme Pierre, pas toujours bien "inspirés", avec parfois des pensées d'hommes, pleines de bonnes intentions, mais à côté de la volonté de Dieu ? Comme il nous arrive aussi de comprendre ce que Dieu veut ou dit, au delà de notre petite intelligence propre. Mais Jésus nous rappelle : restons ses disciples, pas ses conseillers. Et nous serons des pierres de construction, pas des cailloux qui roulent sous les pas. Veillons à l'écouter lui, et évitons de construire trop vite uniquement sur nos pensées humaines.

     Jésus entame un nouveau discours. Il explique non plus ce qu'il adviendra de lui-même, mais bien ce qu'il adviendra de ses disciples, de ceux qui voudrons venir après lui. Or et c'est là que c'est interessant, il utilise les mêmes deux mots, que ceux qu'il a utilisé pour ramener Pierre dans le droit chemin : en grec opiso mou, derrière moi. Il a donc donné un ordre à Pierre, et il explique, à Pierre et aux autres, et à nous aussi par récit de Matthieu interposé, ce que signifie vraiment aller derrière lui.

     Jésus nous explique que la vie de disciple est une vie à qui perd gagne, à qui perd gagne la vie. Le texte grec utilise le même mot rendu ici soit par vie, soit par âme. Il s'agit de psukhê, qu'on retrouve dans la psychologie. Mais le sens en est beaucoup plus vaste que ce qu'il en est resté dans la racine moderne. Il s'agit du souffle, de la vie, de l'âme, de l'existence, de la personne même, de son moi.

     Il est donc complètement absurde de dire qu'on devient disciple de Jésus par intérêt, par souci de soi. Puisque gagnera celui qui renonce à lui-même. Jésus ne précise pas ici pour quoi il faut vivre et lutter. Il indique seulement les reflexes à éviter.

     La fin du verset 27 reprend un morceau de phrase qui se retrouve à plusieurs endroits de l'Ancien Testament : Dieu rendra à chacun selon ses actes. Sur quels critères ? Sa bienveillance nous dit le Psaume 62. Parce qu'il pèse les coeurs nous dit Proverbes 24.

     Je risquerai une remarque sur le dernier verset. Il paraît absurde que la venue du règne du Fils de l'Homme soit la fin des temps. Car personne n'a survécu depuis le moment où Jésus a prononcé cette parole. Mais par contre, ce moment me semble être la crucifixion.

     Je m'explique. Le jour du Seigneur, ce jour grand et terrible, pour qui comprend bien le livre de l'Apocalypse, Révélation de Jésus-Christ et non de la fin des temps, est le jour où Jésus est mort, où il s'est écrié : Tout est accompli. C'est ce jour là que Satan a été vaincu, alors qu'il pensait peut-être avair gagné. Encore du qui perd gagne, et Satan a cette fois là bien perdu.

     Voilà où est la victoire du Christ. Et non pas comme l'espérait sans doute Pierre, dans une bataille sanglante contre les Romains, sanglante ou miraculeuse. Christ a vaincu dans l'humilité et la soumission, dans l'amour et la compassion.

     Il est bien le Christ, comme l'a reconnu Pierre. Il est bien l'oint de l'Eternel, le Fils de David, le Fils de l'Homme annoncé. Il est bien celui qui libérera son peuple, et bien d'autres peuples, mais pas d'une oppression matérielle, mais de l'oppression du péché. Et ses moyens sont autres.
     Christ est venu, comme il vient de le dire, pour souffrir, mourir et ressusciter. Et c'est parce qu'il est venu, qu'il est mort, et qu'il est ressuscité, qu'il nous faut le suivre. Parce que la vraie vie, c'est par cette mort et cette résurection qu'il nous la donne.

     Pourquoi donc le suivre ? Pourquoi donc croire aujourd'hui ? Pourquoi donc être pratiquant aujourd'hui ?

     Parce qu'on en attend un bien-être matériel ? Non. Mais cela peut être donné en plus. Parce qu'on attend du bonheur de vivre ? Non, mais cela peut être donné en plus. Parce qu'on veut une assurance pour l'éternité ? Non, mais cela sera donné en plus.

     Jésus demande : Que donnera un homme en échange de son âme, de sa vie ? Le salut ne se marchande pas. N'espérez pas gagner votre salut, n'espérez pas vous racheter de quelque manière que ce soit, par de bonnes actions ou une fidélité.

     Mais alors ? Suivre Jésus c'est quoi ? Suivre Jésus, pourquoi ?
     Dieu connaît l'humanité. Dieu vous connaît, chacun de vous. Dieu nous connaît, chacun de nous. Et nous aussi, nous nous connaissons. Qui donc peut vraiment espérer parmi nous mériter de quelque façon que ce soit quelque chose par sa vie ? Si quelqu'un répond que oui, je dis que c'est un prétentieux, ou un inconscient.

     Non, gardons à l'esprit, comme le dit Paul, Christ, et Christ crucifié, Christ crucifié et ressuscité. Lui a vaincu. C'est lui qui nous vaut l'amour de Dieu, le salut. Pas nous. Il a donné sa vie, pour nous donner la vie, la vraie, celle qu'on ne peut plus perdre. Il fallait qu'il meure. S'il avait écouté Pierre, nous aurions tous perdu, à ce grand jeu de la vie et de la mort.

     Si donc, nous cessons de nous soucier de notre vie, la première, pour vivre la deuxième, celle qu'il nous donne, alors nous le suivons, alors son amour nous emplit, et la victoire finale nous attend. Des batailles seront perdues. Il nous faudra de temps en temps rentrer dans le rang. Mais il nous arrivera d'entendre aussi : Tu es heureux.

     Et le Fils de l'Homme va venir dans la gloire de son Père, avec ses anges, et alors il rendra à chacun selon ses actes.

     Amen.

(Philippe Cousson)

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