Rouillé, 15 août 1993

Esaïe 56 : 1-8
Romains 11:13-15;29-32
Matthieu 15:21-28

    La région de Tyr et de Sidon ? Je traduis : la région de Tyr et de Saïda. Vous en avez entendu parler assez récemment. C'est la région qui vient d'être bombardée par les Israëliens, pour y déloger les miliciens du Hesbollah, qui tiraient des missiles sur la Galilée.

     C'est tout de même assez fantastique. La Bible nous rejoint dans notre actualité. J'ouvre la Bible, et je me demande si je n'ai pas ouvert un hebdomadaire.

     C'est dans cette région donc que Jésus est allé, région soumise à l'époque à la paix romaine, donc sûre (encore qu'il y ait des brigands sur les routes). On peut supposer qu'il s'y est retiré pour y trouver le calme, que les foules lui refusaient. Voulait-il chercher un lieu désert, qu'il y était aussitôt rejoint par un, deux puis une multitude.

     Jésus donc choisit d'aller en terre étrangère, car enfin là-bas, on le laissera peut-être en paix. Parce que lui, il a besoin de repos, de ressourcement. Il a besoin de moments où il pourra retrouver son Père, se nourrir d'une autre nourriture.

Et nous ? Cherchons-nous, trouvons-nous de ces moments pour un retour sur nous-mêmes, pour une regard et une écoute vers Dieu ? Pas sûr.

Nous avons une vie trépidante, nous sommes pris dans nos activités. La vie de famille est quelque chose de prenant. Il faut consacrer du temps à tous et à chacun, écouter, encourager, partager, prévoir. Et la maison, les tâches domestiques, c'est aussi indispensable, n'est-ce pas ? Marthe, Marthe... Et puis il y a le travail. On s'y engage à fond, on s'y investit. Et parfois il n'est pas facile de laisser les soucis professionnels à la porte de la maison. Et encore je ne parle pas de ceux qui voudraient bien en avoir des soucis professionnels. Notre civilisation a aussi suscité des tas d'engagements divers, associatifs, militants. Tout ça aussi prend du temps. Et puis comme il faut bien se changer les idées, se cultiver, il y a les loisirs, ludiques, culturels, sportifs ou autres. Ah oui, où le prendre, le temps pour s'arrêter ? Quand est-il possible de faire une pause ? Et il y a même des retraités qui n'ont toujours pas le temps.
     De quel repos s'agit-il ? De quel ressourcement ? Savons-nous vraiment nous arrêter ? Sommes-nous capables d'utiliser judicieusement ces moments pour nous tourner vers le Seigneur, pour nous retourner sur notre vie, et pour repartir ?
     Et si Jésus venait dans notre région. Est-ce une région calme ? Une région accueillante ? Accueillante pour tous ? Elle n'est pas l'objet de bombardement, comme tant de régions de notre planète. Si Jésus veanit ici, le remarquerait-on ? Se trouverait-il quelqu'un pour l'identifier ? pour oser l'aborder ?

     Mais peut-être plutôt, lui ficherions-nous une paix royale, chacun chez soi, et on ne se mêle pas des affaires des autres. Avec un tel voisinage, il aurait été tranquille. Il aurait pu méditer dans le calme, sans bruit, sans faire de vagues. Mais, dans ce cas, sa venue n'aurait rien changé. Après son départ, la terre aurait continué de tourner comme avant.

     Oui mais voilà, il est des gens, des voisins, qui nous empêchent de continuer notre vie, qui dérangent, des gêneurs quoi ! Et on le leur fait savoir, d'une manière ou d'une autre.

     Mais combien le verraient comme un sauveur ? Combien feraient appel à lui ? D'ailleurs vers qui se tourne-t-on quand un problème se présente ?

     Jésus est dans cette région du Sud Liban. Il se déplace avec ses disciples. Et voilà qu'une femme crie derrière eux.

     Sa situation est catastrophique. Sa fille est malade, possédée par un démon, disait-on. Elle est désespérée.

     Elle a entendu parler de Jésus. Elle ne se trompe pas. Elle l'appelle Fils de David. Elle a entendu raconter tout ce qu'il a fait en terre juive. Alors, sa fille, pourquoi pas ? Dès qu'elle entend qu'il est ici, aussitôt, elle fait appel a lui. Elle l'appelle au secours. Il est son seul espoir. Il est le seul sauveur possible pour sa fille.

     Jésus ne semble pas l'avoir entendue. Mais les disciples sont attentifs à elle, à ses cris, ou plutôt au simple fait qu'elle crie. Cela les gêne. Ils ne le supportent plus. Il faut que cela cesse. Ce n'est pas la femme qui est importante. Ce n'est pas son problème qui est important. Ce qui est important pour eux, ce sont ses cris. Ils n'y tiennent plus. Il arrêtent leur Maître.

Il semble que la remarque des disciples soit : Elle nous gène. Elle gâche notre tranquillité. Alors s'il te plaît, donne lui satisfaction. Et non pas comme certaines traductions le laissent supposer, rejette-la. D'ailleurs la réponse de Jésus va dans ce sens, puisqu'il commence en disant qu'il ne le peut pas.

     Il arrive que notre calme, notre quiétude, notre confort, soient troublés par des cris. Les entendons-nous ?
     Ces cris sont-ils assourdissants ? Assourdissants au point de désirer la satisfaction du crieur ? N'importe quoi, pourvu qu'il s'arrête. Et il ne s'arrêtera que s'il obtient satisfaction. Alors, et rien que pour le calme, pour la paix, sans même la moindre considération pour le quémandeur, on fait ce qu'on peut.
     D'ailleurs, ailleurs dans l'Evangile, on trouve la parabole de la veuve casse-pieds, et celle du visiteur imprévu.

     Oui, mais voilà, il me semble que notre tendance générale serait plutôt de devenir dur de la feuille et la vue basse. Et ce cri, noyé dans la masse des bruits du monde, nous ne l'entendons plus, à force. Vous vous rappelez ces dessins de petits singes qui se bouchent, qui les oreilles, qui les yeux, qui la bouche. Il me semble que parfois (ou souvent ?) nous nous conduisons comme eux.

     Mais, de plus, nous autres croyants, avons un refuge souvent bien pratique : la prière d'intercession.

     Qu'est-ce qu'il raconte ? Et bien oui, la prière d'intercession recèle un piège. C'est en effet bien pratique. On dit : Vois-tu Seigneur, moi je n'y peux rien. Mais toi, tu peux. Alors, je te le demande, agis.

     Dans une autre circonstance, Jésus avait dit à ses disciples : Donnez-leur vous-mêmes à manger. Nous oublions bien trop souvent, que si Dieu intervient dans le monde, c'est aussi parce que nous sommes ses mains, ses yeux, ses oreilles. Et que si nous ne faisons pas fonctionner nos yeux, nos oreilles, nos mains pour lui, nous mettons des entraves à son action.

     De la table tombent des morceaux, ou des miettes. Quelles sont le miettes qui tombent de notre table ?

     Mais peut-être notre table est-elle si propre, que rien ne se perd, que rien n'en tombe, que rien de nourrissant ne sort de notre tablée. Et s'il n'y a rien à ramasser au pied de notre table communautaire, personne ne peut y ramasser quoi que ce soit, il n'y a plus rien à glaner, alors personne n'y vient, personne qui ne soit de la famille, qui ne soit un enfant de la maison. Et si par hasard, tout de même quelqu'un vient, qui soit étranger, qui arrive d'ailleurs, que trouve-t-il à picorer ?

     Une communauté vivante, une famille vivante, un peuple vivant, ont des tables où celui qui vient d'ailleurs peut trouver ce qu'il cherche. Sommes-nous de ceux qui sont près à accueillir, à aider, à conseiller, à soulager, à réconforter ceux du dehors qui crient à nous, qui crient à Dieu ?

     Et même plus, il nous faut, comme le dit Paul, faire de ceux qui picorent les miettes tombées de la table, des enfants à part entière. La famille, la communauté de Dieu sont des communautés de communion et d'intégration. Celui qui est différent, qui n'est pas du sérail, qui vient d'ailleurs, s'il fait appel à Dieu, s'il fait appel à nous, doit y recevoir une réponse, un accueil.

     Le salut de Dieu n'est pas seulement occasionnel. Il n'est pas uniquement une réponse précise à une question précise, il est un salut total et complet. Il embrasse toute la vie. Nous en sommes convaincus, n'est-ce pas ? Et alors de notre table, où Dieu nous fournit grandement, tombent des miettes de sa grâce, en très grandes quantités.

     Mais Jésus n'a pas attendu la femme cananéenne dans le temple de Jérusalem, il s'est trouvé sur le territoire de Tyr et de Sidon. Si l'Eglise ne sort pas de ses cercles, de ses bâtiments, si personne n'en entend parler comme d'une source de grâce, qui viendra à elle ? qui viendra au Christ ? L'église qui ne veut pas faire de vagues hors de ses temples, est une église qui ne veut pas qu'il tombe quoi que ce soit de la table, qui ne veut pas que des chiens puissent ramasser les miettes, puissent accéder à la grâce.

     Jésus a dit à cette femme cananéenne, comme il l'a d'ailleurs dit aussi à d'autres : Ta foi est grande.

     Ta foi est grande ! S'il est parfois facile de constater la force de la foi d'un autre, il n'est pas toujours évident de l'accepter, surtout quand la foi chrétienne de celui-là est différente. D'un frère, de quelqu'un de la famille, on l'accepte volontiers, on en est même parfois fier, mais d'un dissemblable !
     La table de Dieu est beaucoup plus grande que notre table communautaire. Les enfants y sont nombreux et variés, et il s'en ajoute tous les jours. Et cette table déverse aussi en abondance.

     Et peut-être même, que nous, enfants de la maison, ne savont pas apprécier la nourriture qui nous est offerte, et pour laquelle d'autres soupirent.

     La table du festin est immense, la nôtre n'en est qu'un pâle reflet. Sachons tout de même y prendre nourriture, et aussi en laisser à ceux qui en ont besoin.

     Chacun de nos cultes se termine traditionnellement par un moment d'envoi, dit aussi exhortation. Nous aurons été réunis autour de la Parole vivante, entendue et reçue, autour du repas du souvenir, autour de la personne du Christ. Il nous faudra alors aller hors du temple, afin de pouvoir parler de celui qui nous nourrit et de sa grâce. Et que de notre table, de notre communauté tombent des miettes, des morceaux, que puissent picorer, ramasser ceux qui pour l'instant ne sont pas des nôtres, mais que Dieu attend pour les adopter, comme il l'a fait pour chacun d'entre nous.

     Amen.

(Philippe Cousson)

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