Poitiers, 5 septembre 1993

Ez 33:7-9
Rom 13:1-10
Mat 18:15-20

     Je vous proposerai ce matin une méditation sur ce court passage du prophète Ezékiel.

     J'y ai discerné 3 éléments qui nous serviront de guide. Nous nous pencherons d'abord sur le mot de guetteur (ou de sentinelle suivant les versions). Ensuite nous regarderons à ce que peut signifier pour nous le mot avertir. Et enfin nous nous intéresserons à ces paroles de Dieu à transmettre.

     Mais, tout d'abord, ce texte commence, non pas comme le dit la version que j'ai lue, la Bible en Français courant, par Ezékiel !, mais par Fils d'homme, Fils d'Adam. Il dit donc : Fils d'homme, c'est toi que j'ai placé comme guetteur. C'est toi ! Non, inutile de regarder si par hasard je regarderai quelqu'un derrière toi, non c'est toi, personnellement. Il est impossible de se défiler. Dieu s'adresse à chacun de nous ce matin, à moi, mais aussi à toi, à toi, et encore à toi.      Fils d'homme, c'est toi que j'ai placé comme guetteur.
C'est à la fois un risque, un honneur et une exigence.
     Fils d'homme, c'est toi que j'ai placé comme guetteur.
Et surtout Mesdames et Mesdemoiselles, ne pensez pas que vous n'êtes pas concernées. Vous êtes aussi de la race d'Adam. Et cet appel s'adresse aussi à vous.
     Fils d'homme, c'est toi que j'ai placé comme guetteur.

     Voyons donc à quoi nous sommes appelés ce matin, à quoi cet appel nous engage. Suivant les versions, on trouve guetteur, sentinelle, veilleur. Le mot hébreu utilisé est tsopheh. On retrouve ce mot dans deux autres prophètes, dans Jérémie 6:16-17 et dans Esaïe 52:8. Nous aurons l'occasion de reparler de ces textes plus tard. J'ai voulu aller un peu plus loin, et je me suis plongé dans un dictionnaire d'hébreu, d'hébreu incluant aussi la langue contemporaine. Et voici ma récolte. La langue hébraïque a ceci d'intéressant, que chaque mot à parfois beaucoup de sens, ce qui explique les problèmes des traducteurs. Au nom tsopheh, j'ai trouver 4 sens : d'abord, sentinelle, garde, faction, puis ensuite voyant, prophète, très certainement un sens dérivé, venu de l'usage de ce mot dans la Bible, un troisième sens est spectateur. Et enfin, très intéressant à mon avis est boy-scout, éclaireur. Aux verbes de la même racine, j'ai trouvé voir, regarder, observer, surveiller, veiller, attendre, guetter, puis ensuite espérer, puis encore couvrir, avec dans une autre forme prévoir, et enfin prophétiser.

     J'en retiendrai quelques uns. On remarquera d'abord une différence essentielle entre la sentinelle, le garde de faction et le spectateur, le simple spectateur. C'est que le spectateur est là pour voir, mais pas pour intervenir. Alors que la sentinelle, elle, est supposée avoir quelque chose à faire au cas où. Devant le spectacle du monde, devant les réalités, sommes-nous des spectateurs qui n'ont rien à faire, ou bien sommes-nous supposés avoir quelque chose à faire au cas où. Et même oserais-je imaginer que nous puissions être de ces badauds, de ces voyeurs, qui ne sont là, que pour se repaître du spectacle, pour éventuellement le commenter, mais surtout sans intervenir. Non, mais plutôt, comme diraient les éclaireurs, sommes-nous "toujours prêts" ? La FEEUF est-elle une troupe de prophètes ? Serions-nous des boys-scouts qui nous ignorons ? Où est notre promesse, où est notre engagement ? Que sont devenus nos brevets ? En restons-nous à une BA ? Et si le scoutisme était une école d'humanité, de civisme, de prophétisme.

     Allons, allons, nous sommes tous de ceux qui espérons. Il n'est certainement pas facile d'être une sentinelle désespérée. Elle observe, elle regarde, elle surveille, elle veille, elle guette, et elle n'espérerait pas, et elle n'attendrait rien. Aurait-elle prévue la défaite, n'attendant plus que l'assaut final qui mettra fin à tout ça. Non, je ne veux pas de cette idée. Nous sommes, n'est-ce pas, des chrétiens pleins d'espérance, de foi et d'amour, bien sûr, mais aussi d'espérance.
     Que fait le guetteur. Il regarde autour de lui, en général dans la nuit, ou alors au loin vers la ligne d'horizon qui finit l'océan, ou alors vers les lignes de cimes couvertes de forêts. Et il sait ce qu'il a à faire, le guetteur. Il sait ce qu'il a à voir, à surveiller, et il sait ce qu'il a à faire, à transmettre.
Que regardons-nous ? Qu'observons-nous ? Savons-nous reconnaître les signes de ce qui ne va pas, ou ceux qui annonce une bonne nouvelle ? Regardons-nous plus loin que le bout de notre nez, plus loin que la porte de notre appartement, ou la barrière de notre maison ? Où sont les choses à observer, et où sont ceux qu'ils faut alerter, avertir ?

     Avertir, alerter. Je me suis encore promené dans mon dictionnaire. Et j'y ai trouver quelque chose d'intéressant. A la même racine se trouve aussi le sens de lumière. En fait, avertir, alerter, pourrait aussi être rendu par l'expression éclairer la lanterne. Et d'ailleurs c'est une image biblique, la lampe qu'on ne cache pas sous le boisseau, mais qu'on met sur la table. De qui donc avons-nous à éclairer la lanterne ? C'est bien sûr jour après jour qu'il nous faudra répondre à cette question.
     Voyons un peu ce que les prophètes avaient à observer et à transmettre. Pour Ezékiel et Jérémie, il s'agissait de mauvaises nouvelles, de menaces, de malédiction. Pour Esaïe, il s'agissait de bonne nouvelle, de bénédiction à venir, du matin qui se lève, du salut après la nuit.

     Mais ce pauvre Jérémie avait de quoi se lamenter. Comme Cassandre, personne ne l'écoute, personne ne veut croire à ce qu'il annonce, ou plutôt, tout le monde s'en fiche. - Cherchez le bon chemin.
- Nous n'en ferons rien.
- Attention, c'est l'alerte.
- Ça nous est égal. Mais Dieu a bien précisé à Ezékiel : S'il ne veulent pas t'écouter, ce n'est plus ton problème. Tu as fait ta part. Ne t'occupe pas du reste, toi, le guetteur, avertis, annonce. Le reste ne te concerne plus.

     Pourtant, comme il est tentant, et dans l'histoire beaucoup ont été tenté, et ont succombé, comme il est tentant non seulement d'avertir, de prévenir, mais aussi de forcer un peu la main, un peu beaucoup. Et de guetteur on devient dictateur, de sentinelle on devient tortionnaire. Faisons attention. La sentinelle avertit, et elle laisse chacun face à ses responsabilités.

    Tout cela peut nous amener au rôle des chrétiens, des églises, de l'Eglise dans la société, et en particulier dans une société démocratique. S'il nous faut être guetteur, c'est évident. Il nous faut observer le monde, être attentif, et avertir, prévenir. Mais nous n'avons pas à imposer quoi que ce soit, à qui que ce soit. Il nous faut convaincre. Convaincre et non pas contraindre. Il faut pratiquer la conscientisation et non la coercition. Certaines avancées morales ont mis bien du temps à devenir réalité.

     Mais attention, j'ai pour l'instant laissé de côté peut-être l'essentiel. S'il nous est demandé de bien observer autour de nous, il nous est aussi demandé d'écouter les paroles de Dieu. Ce ne sont pas nos intuitions, bien qu'elles puissent parfois être bonnes, ce ne sont pas les idées de tel leader charismatique, qu'il faut annoncer, mais bien les paroles de Dieu. Et pour pouvoir les annoncer, les transmettre, il faut les écouter. Une vie où la prière et la méditation de la Parole, de la Bible ont une grande place est une vie où Dieu peut parler. Oh, il ne fait pas forcément grand bruit. Mais de la même façon que celui qui pratique un art, une langue, une technique, très régulièrement, en est complètement imprégné, tant que ses intuitions sont en fait le fruit de ce qui fait sa vie, de même un croyant, une communauté, une église en communion avec son Dieu sont à même, face à ce qu'ils aperçoivent, de dire une parole au nom de Dieu.

     Seul celui qui à la fois observe, et écoute les paroles de Dieu, peut être ce guetteur qui avertit. Attention aux guetteurs qui observent finement, et ne savent pas quoi dire, ou disent n'importe quoi. Attention aux guetteurs qui ne voient plus rien d'autre et donnent des avertissements hors de propos.

     Deux grandes directions sont données par les moralisateurs de notre temps. Ils concernent la morale individuelle et la morale sociale. Dans ces deux directions, l'Eglise a certainement une parole à transmettre. Où sont ses guetteurs ? Où sont ceux qui ont le regard de l'aigle sur notre monde, et la foi de l'enfant confiant ?
     Je sais que ce matin je n'ai pas mentionné ces prophètes, ces guetteurs, qui non contents d'observer, non contents d'avertir au nom de Dieu, agissent en son nom pour apporter secours et salut. Mais que voulez-vous, ce sera sans doute pour une autre fois. Ce texte d'Ezékiel n'en parlait pas.

     Croyant mon frère, ma soeur, c'est toi que Dieu a placé comme guetteur. Tu écouteras ses paroles, et tu transmettras ses avertissements.

     Amen.

(Philippe Cousson)

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