St Maixent, 8 mars 1992

Deut 26:4-10
Rom 8:10-13
Luc 4:1-13
Psa 120

Nos pères étaient peut-être des gaulois sédentaires, des soldats romains ou wisigoths, des conquérants sarrasins, des barbares francs. En tous cas, il y a à peu près 16 siècles certains avaient écouté la parole de Hilaire, qui devint évêque de Poitiers. L'Evangile était parvenu jusque chez nous. Un peu moins de dix siècles plus tard, un certain Calvin allait retourner notre province et y planter la Réforme, y ranimer la flamme de l'Evangile. Et sur nos pères pour cause de foi hérétique allaient tomber des guerres, des répressions, des dragonnades, des persécutions, l'exil après le désert. Certains sont maintenant des habitants de l'ex Allemagne de l'Est. Il y a sans doute parmi eux des anciens collaborateurs de la Stasi. Certains sont maintenant en Afrique du Sud. D'eux descendent sûrement quelques conservateurs racistes. Et puis il y en a qui sont restés. Parmi ceux-là il y a nous. Il y a aussi une bonne partie de la population, qu'elle soit protestante ou non. Ah oui, parce que dans ce pays, on se définit par la religion. On est catholique, ou on est protestant, ou on est "libre penseur". Mais cette division me fait plutôt penser à l'Irlande du Nord, au Liban, à la Yougoslavie, où la religion est un groupe social, bien avant d'être un engagement de foi. La preuve en est qu'on ajoute souvent pratiquant ou non pratiquant. Que peut bien signifier protestant non pratiquant ?
Mais laissons cela. Nous, qui sommes présents ici, nous maintenons allumée la flamme de l'Evangile, que nos pères ont allumée et nous ont transmise au fil des siècles, et que nous devrons transmettre à d'autres. Mais voilà que maintenant nos temples sont bien vides. Du temps de nos pères, ils étaient pleins, et nombreux. Le bon temps ! Quelle doit être notre pensée par rapport à ces prédécesseurs ? Non pas, comme j'en ai fait le récit : ce qu'ils ont fait, ce qu'ils étaient, mais plutôt, ce que Dieu a fait pour eux, ce que Dieu a fait avec eux. Il ne nous est pas demandé de regarder en arrière avec nostalgie, mais à louer le Seigneur pour le passé, et à lui remettre le présent. Il ne s'agit pas pour nous de rétablir une situation antérieure éteinte, de maintenir ce qui semble rester du passé, mais bien de vivre dans un esprit de résurrection.

Notre église dans cette région est passée par le désert. Le Christ a été tenté dans le désert. Et maintenant, combien de temples sont déserts dans les environs. Nous sommes en plein désert, et peut-être en plein désert spirituel. C'est vraiment le bon moment pour le Diable de tenter, de nous tenter, de tenter l'Eglise du Christ. Bien sûr le discours qu'il nous tient n'est pas mot pour mot celui qu'il a tenu à Jésus Christ.
Il nous dit : Voyez-vous, dans ce monde, devenu un monde d'apparence, de communication vide, Dieu ne vous a-t-il pas promis son aide ? Penser à ce que vous pourriez faire avec de l'argent, avec des moyens à une autre échelle, vous permettre de ravaler la façade de la communauté, vous refaire une petite santé, et qui sait, repeupler les temples ? Imaginer un peu. Demandez donc à Dieu. Exigez de lui. -- Qui lui répondra que l'église ne vit pas d'argent mais de la Parole ?

Il nous dit : Si vous acceptez telle ou telle compromission, si vous acceptez telle ou telle entorse, alors votre rôle sera plus grand, votre puissance sera supérieure, votre influence sera efficace, vous pourrez mieux tenir votre rang, celui que vous méritez. Imaginer un peu. -- Qui lui répondra que l'Eglise ne doit regarder qu'à Dieu, et le rechercher lui seul ?

Il nous dit : Si vous êtes l'Eglise de Dieu, alors vous pouvez faire des prodiges, des miracles merveilleux. Alors on vous admirera, on viendra de loin vers vous pour ces manifestations surnaturelles. Imaginer un peu. -- Qui lui répondra, au tentateur, à l'accusateur des frères, que l'Eglise est à Christ, et qu'il ne peut rien contre elle ?

Le Psaume 120 nous met en garde contre la lèvre mensongère et la langue trompeuse. Il nous faut nous garder des mensonges, des vraisemblances, des apparences, des évidences que le malin sème sur notre chemin. Il veut nous faire croire que le déclin de l'église est la faute d'autres, de certaines personnes, de l'exode rural, de la conjoncture, de la décadence morale de la société. Il veut nous faire croire que nous sommes totalement innocents. Il veut que nous pensions que Dieu, que notre Eglise réformée, nous doivent tout. L'insatisfaction, c'est son poison. Il veut surtout éviter que nous nous remettions en cause. a, il n'aime pas. Et pourtant, notre seul support, notre seule défense, doivent être la fidélité à la Parole, une confiance en Dieu, et surtout l'assurance que donne la victoire de la croix et de la résurrection.

Et ceci concerne en premier lieu chacun d'entre nous. Les mensonges du Malin, les accusations qu'il instille en nous-même, les reproches qu'il insinue à notre conscience. Mais aussi, et c'est peut-être plus dangereux, les mérites qu'il nous attribue, la bonne conscience qu'il nous distille, l'autosatisfaction qui rassure, mais surtout, le plus dangereux de ses mensonges, celui qu'il a tenté avec le Christ, est de dire que Dieu nous doit bien quelque chose. Mais voyons, je ne suis pas si mal que ça. Pourquoi Dieu me refuserait-il ce dont j'ai besoin, ou plus justement, ce dont j'ai envie, ce que j'ai vu ailleurs ? Voilà le piège. Tourner ses regards sur ce que je pourrait posséder, détenir, faire, au lieu de tourner les regards vers le Christ, vers la Parole, au lieu de s'en tenir aux promesses de Dieu et à ses exigences.

Et ceci concerne aussi chaque communauté chrétienne, chaque église réformée en chaque endroit, en chaque région. Contrairement aux suggestions de Satan, rien n'est jamais dû. Il n'y a que la grâce de Dieu. Il n'y a que la volonté de Dieu. Il n'y a que la fidélité à sa Parole. Pour nous, en tant qu'église, il n'y a que la victoire du Christ sur la croix, il n'y a que le message de la résurrection qui doivent compter. Animés par l'esprit de la résurrection, il nous faut aimer Dieu de tout notre coeur et notre prochain comme nous mêmes.

Cette semaine voit le début quasi simultané de deux grandes périodes de jeûne. Pour nos frères catholiques commence le carême. Pour nos amis musulmans commence le ramadan. Autant de manifestations qui nous sont un peu étrangères. Nous n'avons pas l'habitude, il n'est pas dans notre spiritualité protestante de pratiquer ces exercices de piété. Mais quel est leur objectif ? Se détacher des contingences de la vie banale, se couper de ce qui éloigne du spirituel, essayer de retrouver les valeurs essentielles. Ce retour sur soi-même, cette coupure d'avec ce qui paraît nécessaire, ramène à l'essentiel, ramène à Dieu. Le jeûne est aussi l'occasion d'une fête, d'une fête en l'honneur de Dieu, de qui nous recevons tout. Il faut toujours et en permanence s'attendre à Dieu, et non pas calculer avec nos propres forces, nos propres mérites. De Dieu seul nous dépendons, individuellement et collectivement, pour la vie ordinaire et pour la vie spirituelle.

Le Psaume 120 chante : C'est à l'Eternel que dans ma détresse j'ai crié, et il m'a répondu. On ne peut l'appeler que si on réalise qu'on a besoin de lui, que si on réalise que rien n'est dû, que si on réalise qu'il suffit de garder les yeux dans sa direction.

Regarder ailleurs, poser ses yeux ailleurs, et la tentation surviendra. Les trois tentations rapportées par Luc ont été résumées par Jean dans sa première épître en trois formules : la convoitise de la chair, la convoitise des yeux et l'orgueil de la vie. Celui qui s'attend à Dieu, celui qui ne quitte pas le Christ des yeux, celui qui reste enraciné dans la Parole, celui-là peut résister aux propos du Malin, aux soi-disant évidences qu'il pose. Rien de ce qu'il ce qu'il susurre n'est vrai, même si c'est vraisemblable. Seul le Christ est la vérité.

Seule est vraie sa résurrection, qui donne la vie. Seule est vraie sa mort sur la croix, qui nous sauve de la mort, qui nous sauve de la chair, qui nous sauve de nous-mêmes. Laissons donc l'esprit de celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts nous habiter, nous emplir.

Alors, nous pourrons chanter les louanges de Dieu, en ayant les regards tournés vers lui, contemplant ce qu'Il a fait dans nos vies, dans la vie de nos frères, dans la vie de ceux qui nous ont précédés et qui nous ont transmis la flamme. Nous pourrons chanter ses louanges, lui remettre les prémices de nos récoltes, sachant que c'est de lui que nous avons toujours tout reçu, par grâce.

Dieu donne sans rien exiger, c'est cela sa grâce. Mais celui qui refuse cette grâce, c'est celui qui compte sur lui seul, qui calcule ses mérites et attend sa récompense en regardant ce qu'il pourrait désirer. Seule la grâce de Dieu est notre force, et seule sa parole est notre énergie, et seule la prière et la louange sont notre respiration.

A Dieu seul la gloire ! Amen !

(Philippe Cousson)

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