Mal 3:19-20a
Luc 25:5-19
Les principes du calendrier liturgique font que cette période, à la fin du temps de l'Eglise, juste avant le temps de l'Avent, est celle qui est consacrée à la fin des temps.
Je ne vous proposerai pas ce matin une méditation, une étude d'eschatologie, un discours sur les temps derniers, sur la fin des temps, mais tout simplement sur le temps, celui que nous vivons, celui qui passe, celui qui nous manque.
Car, nous en avons tous conscience, nous vivons ces semaines-ci un temps important de l'histoire humaine. Il y aurait donc des temps plus importants que d'autres, comme il y a des jours ordinaires et des jours de fête. Ou alors les événements qui secouent notre monde ne vous font ni chaud ni froid, et vous vivez peut-être hors du temps.
Et pourtant beaucoup diront que le temps parfois s'accélère. C'est bien l'impression que nous donne l'autre moitié de notre continent. Et on est parfois pris de vertige, ou même d'impatience. Et on se met à penser aux peuples qui eux sont encore enlisés dans la guerre (le Liban) ou dans la dictature (le Chili). Leur situation me fait plutôt penser à une expression du jargon de la Communauté Européenne. Vous savez qu'un des temps importants, oh combien, des débats européens est l'établissement des prix agricoles. Si la négociation traîne en longueur, et que la date limite réglementaire s'approche à grands pas, alors, on arrête les pendules. On fait comme si le temps cessait de s'écouler. Et les pendules repartent quand l'accord s'est fait. Combien de pays du Tiers-monde ou de l'Est, endettés jusqu'au cou, aimeraient que le temps s'arrête quelques années, mais voilà, le temps joue contre eux, contrairement à ce que l'on pensait il y a une vingtaine d'années.
Le temps qui passe inexorablement rythme notre vie, la découpe en tranches, et file, file. Le temps s'échappe, il fuit, il nous file entre les doigts. Chacun court après. On ne peut pas le saisir, ou si peu, qu'on est souvent, très souvent amener à dire, à répondre, qu'on n'a pas le temps pour faire telle ou telle chose, pour être ce qu'on nous demande d'être. La vie est telle qu'il faut faire des choix. On n'est pas toujours maître de son temps, et on n'en a pas assez.
Mais voilà qu'une autre expression populaire viendrait nous laisser supposer tout le contraire. Ne vous est-il jamais arrivé de perdre votre temps, de perdre du temps, comme si on avait du temps à perdre. Avez-vous du temps à perdre ? Oh ! sans doute. Quelle contradiction, on a du temps à perdre, et on n'a pas le temps, on n'a plus le temps, comme si avant on en avait eu plus. La temps serait-il extensible. Une heure serait-elle différente d'une autre heure ? Plus longue ? Une heure passionnante passe beaucoup plus vite qu'une heure où on s'ennuie ferme. Pas vrai ?
Mais alors, si on a du temps à perdre, c'est qu'on peut en disposer, c'est qu'il est possible de prendre du temps pour faire quelque chose. Voilà que le temps qui file entre les doigts, il est possible de le prendre. C'est quelque chose que le langage humain, qui semble affirmer une chose et son contraire. Et pourtant votre expérience vous prouve aussi que de la même manière que le temps nous échappe, il est possible de prendre du temps. Pour soi, bien sûr, mais aussi pour quelque chose ou pour quelqu'un.
On dit aussi donner de son temps. Tiens voilà qu'il est à moi maintenant, ce temps que je ne peux pas saisir. Et ce dont je ne suis pas maître, voilà que je peux le donner. Prendre de son temps pour le donner. Je le possédais et je le donne. J'en fais cadeau, je le consacre à quelque chose ou à quelqu'un. C'est qu'il y a beaucoup de gens ou d'actions qui ont besoin de notre temps, du nôtre, et pas seulement de temps en général.
Et chacun sait que le temps c'est de l'argent. C'est du moins ce que dit le dicton populaire. Les ouvriers sont payés au temps qu'ils passent à leur travail. Encore un autre verbe. Le temps c'est de l'argent, à quoi passez-vous votre temps, et votre argent ? D'ailleurs les deux choses vont ensemble, un passe-temps est souvent quelque chose qui coûte cher.
Mais voilà, notre temps va s'arrêter un jour. Toutes choses ont une fin, y compris notre temps. C'est d'ailleurs ce qui lui donne tant de valeur. Notre temps a une fin, notre vie a une fin. Et voilà pourquoi nous n'avons plus le temps. Aurons-nous le temps de finir ceci ou cela. Il y a tant de situations à vivre. Nous voulons, nous réclamons, le temps pour vivre pleinement. Et pourtant notre temps un jour s'arrêtera. Nous ne sommes pas de ces personnages de science-fiction, qui comptent leur temps en dizaines d'années, mais dont la vie s'est totalement affadie, parce qu'il lui manque cet aiguillon.
Face à cette caractéristique de la nature humaine, il y en a qui sombrent dans le désespoir, qui ont tant de choses à faire, et que leur temps, celui dont ils disposent, est insuffisant, s'il n'est pas écourté. Mais il y a aussi, et c'est beaucoup plus fréquent à mon avis, ceux qui vivent dans une absence de temps, qui se coulent dans une routine qui nie le temps, en se moulant à lui. Le rythme régulier de leur vie, comme un train qui part et arrive toujours à l'heure, sans surprise, mais aussi sans but autre que la poursuite de ce qui s'est toujours fait. D'ailleurs pour ceux-là, un accident de parcours, prend très vite l'allure d'une vraie catastrophe.
Ajoutons à la sagesse populaire la sagesse biblique. Je commencerai
par un passage très connu, par le livre de l'Ecclésiaste.
Il y a un temps pour tout. Voilà une vérité essentielle
pour vivre sagement. Si le temps s'enfuit, si le temps s'arrête, il y
a un temps pour chaque chose. Chaque chose en son temps dit-on. Il ne s'agit
pas de tenter de faire une chose, quand c'est le temps de l'autre. Si il y a
un temps pour tout, toute chose mérite un temps. Prenons le temps de
consacrer du temps à tout ce qui le mérite.
Et surtout, ne prétendons pas tout faire tout de suite. Laissons le temps prendre son temps. L'Evangile nous dit, ou plutôt l'Evangile nous rapporte que le Seigneur a dit : Le lendemain aura soin de lui-même. Vivons aujourd'hui les choses d'aujourd'hui, et nous vivrons demain celles de demain. Attention, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. L'Evangile ne nous demande pas d'être imprévoyants, mais il dit ailleurs : qui peut par ses inquiétudes ajouter une coudée à la durée de sa vie ?
Pourtant, l'Evangile est parcouru d'une demande pressante concernant un temps, par lequel il faut être passé, un temps qu'il faut avoir pris, le temps de la Grâce. C'est un temps de l'histoire humaine où Dieu est intervenu, c'est un temps de l'histoire personnelle où Dieu se propose d'intervenir. Mais ceci ne sera possible que quand nous disposerons de temps. Si notre temps est épuisé, fini, dépassé, celui-là aussi.
Cette intervention de Dieu dans une vie humaine, c'est un nouveau départ, c'est le chronomètre remis à zéro. Le temps de la grâce, c'est une nouvelle qualité de temps, c'est une nouvelle orientation des priorités, c'est une nouvelle vie. C'est une reprogrammation de la vie. Un des effets de ce changement, c'est le nouvel aspect de la fin du temps terrestre, et une ouverture sur un autre temps, sur une éternité qui nous dépasse encore, mais qui n'est surtout un temps semblable au nôtre qui durerait toujours.
Notre temps actuel, la Bible nous demande de le racheter. Il ne s'agit plus de le donner ou de le perdre, mais de le racheter. Il s'agit de le gérer comme quelque chose qui nous est confiée, avec mission de bien l'utiliser, et pas seulement de se donner du bon temps.
Notre temps nous le consacrons à des choses essentielles, sans calcul, naturellement, à notre vie physique, à notre vie psychique, et parfois à notre vie spirituelle.
Nous n'oublions jamais notre vie physique, en tout cas pas moi. Nous prenons
le temps de manger, d'entretenir notre corps, de nous laver, de nous soigner,
de nous vêtir. Un corps nous est confié, et il n'est rien de plus
normal que de vouloir le conserver en bon état. D'ailleurs, chacun de
nous travaille, pour un salaire, un revenu, essentiellement pour se nourrir,
se loger, etc, soi et les siens. Il est aussi très utile, voir nécessaire
de fournir à son corps du temps pour de l'exercice, de même qu'à
son intelligence.
Il arrive parfois, que la vie psychique soit un peu négligée.
Elle a aussi besoin de temps. Il est normal de consacrer du temps à la
détente, aux relations humaines, un jeu, une conversation sont des choses
qui permettent une bonne santé psychique. Réserver du temps à
ces choses ne doit pas troubler la conscience.
Par contre, il est beaucoup plus fréquent que la vie spirituelle soit
oubliée. Du temps pour écouter Dieu, pour lui parler, c'est sans
doute aussi important que du temps pour manger ou pour dormir, mais dans la
pratique...
Nous savons que notre vie terrestre aura une fin, interrompue par la fin de
notre corps ou par le retour de notre Seigneur. Nous savons qu'il attend de
nous que nous consacrions du temps à notre vie sous toutes ses formes,
mais aussi que ce temps est à lui, et qu'il peut en disposer comme il
veut, que son service concerne aussi tous les frères en la foi, mais
aussi tous les hommes qu'il place à côté de nous, mais aussi
cette création où nous vivons.
Chaque temps de notre vie est à vivre pleinement, un par un, l'un après l'autre. Il nous faut les recevoir comme autant de dons de Son amour, comme autant de signes de Sa grâce. S'Il veut que nous fassions une chose précise, Il nous en donnera le temps, si nous ne le détournons pas. C'est Lui le maître du temps. L'est-il du nôtre ?
Amen.