Poitiers, 2 janvier 2000
Ecc 3:1-8
Psa 90:1-12
2 Pi 3:1-10
Nous voici maintenant à une date dont on a beaucoup parlé. On s'est même disputé pour savoir si le nouveau siècle ou le nouveau millénaire serait commencé ou s'il fallait attendre un an. (Entre parenthèses, il faudra effectivement attendre encore un an).
2000. Un chiffre rond. Ça impressionne. Et pourtant, ce n'est qu'un point dans le déroulement du temps, un moment marqué, mais un moment qui passe.
Je vous propose ce matin une petite méditation sur le temps, sur les images que ce mot évoque, sur ses liens avec le message du salut, sur sa façon de remplir notre vie.
Je n'ai pas le temps (et sans doute pas non plus la compétence) pour vous parler des divers aspects du temps, le temps vu par la littérature, la philosophie, la psychologie, la physique, la théologie, la mythologie, et j'en oublie sans doute. Ce sera ce matin un parcours un peu succint, et parfois superficiel. Vous comprendrez sans doute assez vite où je veux en venir.
Je commencerai par la conscience qu'on peut avoir du temps. Elle dépend
bien sûr de l'état psychologique de chacun, de ses soucis. Le
temps de celui qui vit sans électricité depuis une panne n'est
pas le même que celui qui en est pourvu. Le temps du malade qui souffre
n'est pas le même que celui de l'enfant qui joue. Le temps de celui
qu'un projet habite n'est pas le même que celui qui se trouve enfermé
dans le cycle métro-boulot-dodo. Tous ont une perception du temps
qui leur est propre, bien que le temps en fait soit le même pour tous.
Suivant que l'on vit dans l'espérance ou le désespoir, la crainte
ou l'insouciance, on vit le temps en bleu ou en noir, il avance lentement
ou on ne le voit pas passer. Quel est votre temps ? Fait d'espérance
ou de désespoir ? Fait d'insouciance ou de crainte ?
La science fiction nous a habitué à envisager le voyage dans
le temps. Mais voilà que les scientifiques nous laissent entrevoir
des impossibilités. Quelques principes physiques, comme l'entropie
thermodynamique, rendent la chose très peu probable. Il n'est donc
pas possible de revenir en arrière pour faire que ce qui a été
ne soit plus, ou ne soit pas comme il l'a été.
Et pourtant, comme on voudrait souvent que ce qui a été raté
puisse être refait, que les bêtises, les fautes, soient
annulées. Mais voilà, ce n'est pas possible. Il faut assumer.
Assumer ce que nous sommes, ce que nous avons fait et dit, ce que nous n'avons
pas fait, pas dit. Disserter sur nos échecs, si cela peut nous
éviter de recommencer, ne pourra pas modifier ce qui est définitif.
La vraie question reste toujours : Et maintenant, qu'est-ce qu'on fait ?
Qu'est-ce que je fais ?
Mais, cela suppose que le regard soit tourné vers l'avenir, et pas
vers le passé. Et on revient au problème précédent.
On reconnait dans notre civilisation le temps comme se déroulant,
dans un sens précis, du passé vers le futur. Le futur est devant
nous, dit-on. Mais il est des cultures ou c'est le passé qui est devant
nous, car c'est lui que nous pouvons voir. Il est d'autres cultures, où
le temps, cyclique, revient régulièrement, et alors le passé
est aussi le futur, et vice-versa, immuablement.
Mais les théories récentes de la physique ne sont pas encore
déterminées quant à un avant et un après. Vous
avez sans doute aussi entendu parler de la théorie du Big Bang, explosion
initiale à l'origine de notre univers, de toute la matière
de notre univers, et donc aussi de notre temps. Si notre temps a un début,
a-t-il un avant ? Est-ce que la question a d'ailleurs un sens ? Et si notre
univers s'achevait dans un Big Crunch final, y aurait-il un après
?
Et Dieu dans tout ça ? Si Dieu est ailleurs, quel est son temps ?
Là aussi les théologiens ont présenté les rapports
de Dieu et du temps de diverses façons. Ou bien il est intemporel,
au dessus de tout ça, il sait tout, notre avant et notre après.
Ou bien, et j'ai tendance à préférer cette idée,
il s'est investi dans notre histoire, dans l'histoire des hommes, dans notre
histoire personnelle à chacun. Et cela suppose que d'une certaine
façon, il se situe dans le temps, à l'intérieur du temps,
du temps de notre univers, mais sans y être soumis, sans en être
conditionné. Pas forcément facile à comprendre.
Comment vivons-nous ces choses ? Quel effet peut avoir sur notre vie le rapport
de Dieu au temps ? Peut-être aucun, si nous avons décidé
que nous n'avons rien à faire de Dieu, rien à faire d'un dieu
quelconque. Alors il nous faut nous débrouiller avec notre temps à
nous, avec notre passé et ses conséquences, avec notre avenir
et sa construction. Ou alors, le regard omniscient de Dieu nous terrorise,
sachant qu'il sait, peut-être même plus que notre conscience,
focalisé que nous sommes sur notre passé, terrorisé
aussi par l'inconnu de l'avenir. Car si Dieu est au dessus et dans le temps,
il nous connait, mieux que nous mêmes.
Le vocabulaire biblique connait deux types de temps, d'ailleurs en hébreu
comme en grec. Un temps, le temps, perpétuel, celui qui n'a ni début
ni fin. Ce peut être l'éternité, ce peut être les
temps anciens, autrefois, jadis, il était une fois. Et puis il y a
le temps présent, le moment précis, la durée d'un
événement, le temps favorable, le temps opportun, le jour de
l'Eternel. Ce de celui-là dont l'Ecclésiaste dit qu'il y en
a un pour chaque chose. C'est celui-là que l'on marque pour rappeler
un événement.
Il y a ceux qui vivent l'instant, le moment présent, et ceux qui sont
perdus dans leur jadis, ou dans leurs rêves. La foi est-elle foi immuable,
ou foi vivante ? Sans doute un peu les deux.
Mais les interventions de Dieu dans l'histoire des hommes se sont faites
à des moments précis, par des actes précis : le départ
d'Abraham, la sortie d'Egypte, le retour d'exil, la vie, la mort et la
résurection de Jésus, la Pentecôte. Et à chaque
fois, Dieu donne un nouveau départ. Il ne s'agit pas d'un cycle qui
se répéterait, il s'agit bien d'un nouveau départ.
Et ces moments sont si importants que les croyants les célèbrent,
moins pour marquer des temps, que pour se rappeler de l'intervention de Dieu.
Le calendrier juif comportait un certain nombre de fêtes, qui n'avaient
pas (du moins officiellement) de caractère magique, opératoire,
mais étaient des moments priviligiés pour se rappeler de, pour
signifier, la sollicitude de Dieu. Au début de l'histoire
chrétienne, le dimanche, 1er jour de la semaine, a vite été
jour de souvenir de la mort et de la résurection du Christ. Plus tard,
au 2e siècle pour Pâques, au 4e pour Noël, on a retenu
aussi des jours plus marqués dans l'année. Mais c'étaient
toujours des jours de commémoration. Les célébrer
n'apportait rien.
Nos frères catholiques viennent d'entamer une année
particulière, dont il font un jubilé. Mais il me semble qu'il
ont pris ce thème du jubilé un peu à l'envers de ce
qu'il était dans l'Ancien Testament. Il était libération
des dettes des autres, des esclaves, retour à la propriété.
Il en ont fait une occasion de rachat pour soi, une époque d'indulgence.
Si plutôt en cette année, il leur en souvenait que Dieu est
intervenu dans l'histoire humaine, non pas en retour d'actes humains, si
méritoires qu'ils puissent être, mais bien par grâce,
par amour. Si la libération qu'il ne sera jamais possible de
s'acquérir, était comprise comme venant de Dieu, uniquement
et gratuitement, alors cet événement serait pour tous un
jubilé, une libération.
Si on prend le temps, en tant que thème de la littérature,
on s'aperçoit qu'il est le plus souvent traité en ennemi, qu'il
est celui qui fuit, celui qui détruit, celui qui conduit à
la vieillesse. Et on peut alors observer les différentes attitudes
que les hommes ont face à cette fatalité. La
résignation : c'est ainsi. Le souvenir : c'était
beau. La révolte, le refus, ou alors la négation. Ou alors
le dépassement par l'art. Mais de toutes façons, l'innexorable
reste.
Mais le croyant, face au temps, comment vit-il ? Qu'est-ce que la foi propose
à celui que la fuite du temps, le poids du passé et l'inconnu
de l'avenir oppressent ?
J'en reviens à Dieu. Une de ses caractéristiques, un de ses
attributs, est lié au temps. Il s'agit de la patience. Dieu sait attendre.
L'homme est toujours pressé. Son temps est compté. Pas celui
de Dieu.
C'est pour cela que quand il s'adresse à l'homme, il ne lui parle
pas de son passé, il ne lui donne pas de rendez-vous, mais il lui
parle de maintenant. C'est maintenant le moment favorable.
A l'homme qui ressasse son passé, il lui dit : pour la passé,
Jésus est mort et ressuscité, pour maintenant, tu peux recommencer
ta vie, là. Comme ça. Tout simplement. Il est là, l'amour
de Dieu. Ce que tu as fait, ce que tu pourrais faire, ça ne compte
pas. Seul comptent son amour, sa grâce. Ton temps peut repartir,
maintenant. Ce que tu vas faire maintenant, tu ne le feras pas pour obtenir
quelque chose, mais bien parce que tu as reçu de Dieu.
Les fêtes : c'est bien, les célébrations :
c'est bien, les dates qui reviennent : c'est bien. Pour nous rappeler
des moments où Dieu est intervenu. Et repartons avec lui.
Nous sommes le 2 janvier 2000. C'est le moment. Dieu nous rappelle ce qu'il
a fait. Repartons avec lui.
Amen.