Poitiers, 14 mai 1995

Actes 14:21-27
Apoc 21:1-5
Jean 13:31-35

     Six versets dans ce passage de l'évangile de Jean. Un passage court, mais dense. Que de thèmes abordés, la gloire du Fils de l'Homme et de Dieu, le départ prochain de Jésus, le commandement nouveau de l'amour entre les disciples ; dans une construction qui peut sembler bizarre.

     Mais en fait on peut y voir une construction ordonnée, disons en pyramide. La gloire de Dieu, puis l'amour, avec l'apostrophe Petits enfants, puis l'annonce du départ de Jésus, qui laisse alors un commandement nouveau, un commandement d'amour, pour la gloire, la renommée de Dieu.

     Reprenons ce texte. Au début, c'est le départ de Judas. Il a pris le morceau de pain, il est sorti. Le processus est enclenché. Plus rien ne s'oppose à ce qui va suivre. Jésus prend alors du temps pour parler à ses disciples, pour les former à ce qui les attend. Le salut de l'humanité va pouvoir se nouer maintenant.
     C'est maintenant le début de la fin. Même si des signes du Royaume ont été donnés, la manifestation principale, essentielle est pour bientôt. Ce sera la démonstration de la gloire de Dieu par l'élévation du Fils de l'homme, par cet acte de compassion incomparable, par le don total, par la crucifixion. D'autres auraient imaginé certainement un tout autre acte pour manifester la gloire de Dieu, sa puissance, sa grandeur, sa présence. Mais lui a voulu pousser au paroxysme son amour. Sa miséricorde, sa grâce passent par là. C'est ici aussi la vérité de Dieu. Il a épargné le fils d'Abraham, qui lui montrait son amour et sa confiance, mais il n'a pas épargné le sien pour montrer aux hommes son amour. La gloire de Dieu est autant manifestée par la mort sur la croix que par la résurrection, par cette vie nouvelle dont il dotera les disciples, et tous ceux qui croiront.

     Puis, Jésus nomme ses disciples : petits enfants, TEKNIA. Il faut faire attention à ce mot. C'est le diminutif de TEKNON, qui signifie enfant, mais pas enfant, qui voudrait dire jeune, inexpérimenté, pas l'enfant qu'on élève, qu'on conduit, qui doit apprendre. TEKNON, c'est l'enfant, celui que l'on a engendré, enfanté, celui qui est de la famille. La parole qu'il adresse à ses disciples n'est pas celle d'un maître s'adressant à ses disciples, mais celle de celui qui parle comme à ses propres enfants, à ceux de sa famille.

     De plus, Jean utilise ici un diminutif, montrant ainsi la relation intime qui remplissait le coeur de Jésus vis à vis de ses disciples. Et ce diminutif, l'apôtre Jean est le seul à l'utiliser. On le retrouve dans sa première épître, et souvent avec un appel à l'amour des frères. Voilà l'amour que Jésus a pour ses disciples.

     La phrase qui suit semble ne rien avoir à voir avec la manifestation de la gloire de Dieu, ni du Fils de l'homme. Il leur annonce qu'il n'est avec eux que pour peu de temps, qu'il va partir, et que personne ne pourra le suivre là où il va. Est-ce alors la fin de cette vie commune, de cet amour partagé ? Est-ce que tout ce qu'il ont fait et vécu pendant ces quelques années va s'achever en apothéose, pour cesser, pour s'arrêter ?
     Non, ce n'est pas la fin. On dirait à la télé, maintenant, c'est à vous de jouer. Et pour cela, Jésus laisse un bout de la règle, quelque chose que nouveau qu'il n'a pas encore dit. Je ne serait plus là, mais vous vous y serez encore. Alors, voici un commandement nouveau. Voici quelque chose qui vous marquera.

     Ce commandement est nouveau, ce n'est pas une simple répétition d'un commandement ancien, du deuxième qu'on entend repris dans les évangiles. Il ne s'agit pas du commandement d'aimer son prochain comme soi-même. C'est autre chose. D'ailleurs ce nouveau commandement n'annule pas l'ancien, il est en plus. Le premier n'est déjà pas évident à accomplir, alors ce nouveau.

     Il s'agit de l'amour des disciples entre eux. Jésus leur demande de s'aimer les uns les autres comme lui-même les a aimés. L'ancien commandement demandait d'aimer son prochain, tout le monde à côté de nous, comme soi-même. Mais ici, si le public touché est plus restreint, l'amour est plus exigeant. Peut-on seulement imaginer l'amour de Jésus pour ses disciples ? Qui est prêt à mourir pour un des disciples ? C'est ce qu'il leur a demandé. Et c'est ce que beaucoup de disciples ont fait dans l'histoire de l'église.

     Par ailleurs, le mot que le Nouveau Testament utilise en général pour désigner l'amour est très peu courant dans la littérature grecque classique. Par contre le mot désignant l'amour passion en grec classique est lui absent du Nouveau Testament. Que de malentendus encore et toujours sur l'amour. L'amour de Dieu, l'amour pour Dieu, l'amour des frères, l'amour du prochain, et même l'amour dans une famille croyante n'est pas l'amour du monde. Il ne se subit pas, il n'est pas quelque chose qui vous tombe dessus sans qu'il soit possible de s'y soustraire, il n'est pas quelque chose qui cesse un beau jour. Il est au contraire volonté, action, décision. On choisit d'aimer Dieu et le Christ. Et on ne choisit pas entre les prochains aimables ou pas, entre les frères et soeurs en Christ aimables ou pas.

     Et la concrétisation de cette différence de vocabulaire grec, qui n'existe pas en français, amène les disciples alors à être différents, et à manifester ainsi ce qu'il sont, les disciples du Christ, du Dieu d'amour. Et alors tous sauront, que vous êtes mes disciples. Et la gloire de Dieu sera ainsi manifestée, par les disciples, alors que le Christ ne sera plus matériellement avec eux.

     Jésus était il y a presque deux mille ans en train de célébrer la Pâque avec ses disciples, quand il leur a donné ce commandement nouveau. Il n'est plus corporellement avec nous ce matin. Mais nous savons qu'il est présent tout de même, qu'il nous a envoyé son Esprit, afin de nous donner la force d'aimer.

     Je crois qu'il peut être bon avant de faire un bilan de l'amour qui nous est demandé, de comprendre ce qu'est l'amour de Dieu pour nous, pour chacun d'entre nous. Nous nous étions, tous autant que nous sommes, éloignés volontairement de lui. Et puis, nous sommes venus à lui, revenus à lui. Nous avons répondu à son appel, nous sommes entrés dans sa grâce, au bénéfice de cet amour total qui a conduit Jésus-Christ sur la croix, au bénéfice de la vie nouvelle qu'apporte la résurrection. Nous avons commencé une nouvelle vie avec le Christ, une nouvelle vie d'enfants de Dieu. Que nous soyons entrés dans cette vie d'amour il y a bien longtemps ou tout récemment, soudainement ou après une longue maturation, il nous faut réaliser toujours plus quel peut être l'intensité de cet amour paternel. Quand nous aurons compris l'amour de Dieu pour nous, nous pourrons penser à l'amour qu'il nous demande.

     Je tiens quand même à préciser que l'amour que Dieu a pour nous n'a rien à voir avec l'idée d'un amour universel dans lequel nous baignerions tous, idée chère à la pensée du Nouvel Age, une sorte d'amour bien-être béat impersonnel, dans laquelle toute émotion finalement se fondrait. Non, Dieu, Père et Fils, est quelqu'un, quelqu'un qui nous aime, chacun, mais qui aime aussi celui qui est assis devant vous, derrière, à côté. Mais aussi celui qui le prie et le chante dans un autre lieu.

     Alors, l'amour qu'il nous demande, dont il nous donne la force par le Saint Esprit, doit devenir l'essentiel de notre vie, doit devenir notre vie.
     Les anciens commandements sont toujours vrais. Aimons Dieu, Père, Fils et Esprit. Vraiment. L'aimons-nous vraiment ? Il y a des croyants qui passent des longs moments à le louer, à le chanter. Aimons notre prochain comme nous-mêmes. Donc aussi en corollaire, aimons-nous nous-mêmes. Nous avons de la valeur à ses yeux. Pourquoi n'en aurions-nous pas aux nôtres ? Aimons donc notre prochain comme nous-mêmes. Il y a des croyants que l'amour du prochain pousse vers ceux qui ont besoin de secours. Il y a aussi des croyants que leur amour du prochain pousse à la proclamation du salut, à l'invitation à prendre part à l'Evangile. Que chacun s'examine soi-même pour savoir où il en est dans l'obéissance à ces anciens commandements ? Que chacun se tourne vers Dieu pour lui demander le secours de son Esprit, et le renouvellement de sa vie spirituelle.

     Et il y a aussi le commandement nouveau. Aimez-vous les uns les autres. Notre communauté est-elle une communauté où il apparaît à tous que l'amour des uns pour les autres est visible et glorifie Dieu ? Quel est pour chacun de nous l'amour que nous portons aux chrétiens qui prient ailleurs, qui ont des idées différentes, qui parfois nous hérissent ? Nous avons pour celà aussi sans doute besoin du secours de l'Esprit Saint, et du renouvellement de la vie spirituelle.

     A la fois comme manifestation de l'amour les uns pour les autres que le Christ demande, et comme engagement de l'approfondir, je vous propose de nous donner ce signe de réconciliation utilisé par d'autres, en vous levant et en saluant maintenant ceux qui sont autour de vous.

     Petits enfants, je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres, comme je vous ai aimés. Si vous vous aimez les uns les autres, alors tous sauront que vous êtes mes disciples.

     Amen.

(Philippe Cousson)

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