Châtellerault, 14 novembre 1993

Prov. 31:10-31
1 Tes 5:1-11
Ps 119:49-56
Mat 25:14-30

     Je commencerai par la lecture du verset précédent qui éclaire notre passage : Veillez donc, puisque vous ne savez ni le jour ni l'heure.

     Voici donc un texte pour illustrer cette exhortation. Il est en donc comme d'un homme, un homme qui part en voyage.
     Il part, et il reviendra. Ne vous est-il pas arrivé souvent, au moment où vous partiez, de dire à ceux qui vous entouraient, non pas ,je m'en vais', mais ,je reviens'. Cet homme part donc pour un voyage, mais pour tous, il reviendra. Quand ? Qui sait ?

     Mais cet homme n'est pas n'importe qui. Il a des serviteurs, ou plus précisément des esclaves. On en cite trois. Ils sont manifestement différents.

     Le maître, puisqu'il a des esclaves, ou des serviteurs, leur confie ses biens. Il ne les leur donne pas. Il les leur confie. Ce n'est pas un cadeau, c'est une responsabilité. Il confie à chacun selon ses capacités. Il connaît bien ses employés. Il sait ce qu'il peut confier à chacun. Il n'y a ni surchargé, ni planqué. Chacun se voit confié selon ce qu'il peut faire.

     Il est parti. Les deux premiers serviteurs, s'occupent des affaires de leur maître. Tout de suite. Sans attendre. Sans se reposer. Sans se dire qu'il y a du temps. Aussitôt que le maître a le dos tourné, dès qu'il s'est éloigné d'un pas, ils se lancent dans leur mission. Pour eux, pas de planification, pas d'insouciance. Les affaires de leur maître sont leur objectif. Rien à dire. Des employés modèles. Des hommes de confiance. Et ce n'est sans doute pas par hasard que c'est à eux que le maître a confié le plus.

     Et l'autre, le troisième, celui qui s'est vu confié la plus petite part, lui non plus, il ne perd pas de temps. Il ne tergiverse pas. Il enterre le talent, un beau magot, un gros paquet d'argent. Il n'y touche plus. a n'est plus son affaire.

     Le maître savait sans doute à quoi s'en tenir, quant à lui. Mais il a tout de même voulu lui confier quelque chose. Ce maître espérait encore.

     Oui mais voilà. Au lieu de s'occuper des affaires de son maître, il les enterre. C'est comme s'il ouvrait une parenthèse. Le chat parti, les souris dansent. On enterre le magot du maître, on enterre sa mission, on enterre ses responsabilités. Une autre vie peut commencer, le maître n'est plus là, il n'est plus l'esclave. Il peut maintenant s'occuper de ses propres affaires, autrement plus importantes, et vitales, pour lui.

     A-t-il vécu tranquille ? Peut-être, quoi que, au retour du maître, inopiné parce que pas annoncé, il a peur. Et il cherche a se justifier. Et pour cela, il reprend sans doute des rumeurs. Vous savez, quand quelqu'un est loin. Quand on vit loin de quelqu'un, on s'en fait une image, un portrait, parfois idéalisé, parfois pas toujours flatteur. Et les ragots, ça court vite. Il se justifie donc en décrivant son maître, celui qui fut son maître, de telle façon qu'on doute qu'il l'eût jamais bien connu.

     Mais le maître trouve une réponse à ce serviteur qui n'a pas voulu faire ce qu'il avait à faire, qui a caché son talent. Il lui demande alors pourquoi n'avoir pas laisser son argent au banquier. Au moins celui-là lui aurait rapporter des intérêts. Il lui dit, en quelque sorte, si tu ne voulais pas t'en occuper toi-même de ce que je te demandais, il fallait que tu confies alors cela à un autre, à un mercenaire, à quelqu'un qui ne serait pas de la maison, mais qui serait efficace. Et tu n'as même pas fait cela.

     Mais revenons un peu à la description du maître donnée par ce serviteur. Et d'ailleurs, le maître ne la réfutes pas. Il s'en sert.
    A quoi nous fait penser cette image agricole que le troisième serviteur utilise ? Moissonner, semer, récolter, répandre ? Au sujet de quoi chantons-nous la moisson ? Dans notre langage d'église, quand parlons-nous de semer ? ... Quand nous parlons d'évangélisation, d'annonce de l'évangile, de témoignage. Dans l'évangélisation, dans la mission, que fait l'église, sinon semer, répandre ? Et c'est Dieu, et c'est le Saint-Esprit qui moissonne, qui récolte.

     Le maître a confié à l'église, aux croyants cette mission de répandre la Bonne Nouvelle, de semer l'Evangile. Il lui en a laissé les moyens, le Saint-Esprit. Et il n'a indiqué à l'église aucun délai fixe. On ne connaît pas la date de son retour. Et pourtant, depuis des siècles, l'église agit, fait valoir les intérêts de son maître, sans lassitude, et sans oubli. Oh, certes, il y a bien eu certains chrétiens, dans l'histoire, qui ont confondu bien des choses, qui n'ont plus compris où étaient les intérêts du maître. Mais l'évangile est malgré tout parvenu jusqu'à nous. Ce qui signifie qu'il y a eu des serviteurs fidèles.

     Mais serais-je quelque peu optimiste ? Sommes-nous vraiment comme les deux premiers serviteurs, prompts à servir les intérêts du maître, sans délai, avec constance et clairvoyance ? Ou bien ne sommes-nous pas plutôt comme le troisième, à nous être vu confier peu, et à l'avoir enterré ?
     Où est vraiment notre souci majeur, de tous les instants ? Se trouve-t-il effectivement chez notre maître ? Est-ce que nous travaillons dans l'intérêt du maître ? Ou alors, est-ce que nous travaillons presque (ou totalement) exclusivement pour notre propre intérêt.

     Que sont nos motivations dans l'existence ? Plaçons-nous tous les instants de notre vie sous le contrôle de la volonté du maître ? Ou alors notre souci, notre propre bonheur passent-ils avant tout ? Avant les autres, avant Dieu ? Ce qui souvent revient au même.

     Mais alors, est-ce que je m'adresse au bon auditoire ? Il se trouve que je parle à ceux qui se déplacent, un dimanche matin, pour écouter la parole. Pourtant, le discours de Jésus s'adressait à ses disciples, à ceux qui le suivaient jour après jour.
     Ce rendez-vous dominical serait-il une parenthèse dans la vie ? Un moment, où on se rappelle du maître ? Avant de revenir dans le monde, avant de reprendre le train-train, avant de remonter dans le TGV de notre société de consommation ? Avant d'enterrer dans notre for intérieur cette parole jusqu'au dimanche suivant ?

     La vie de chrétien, le statut de disciple, de serviteur du Maître, ne sont pas des appendices de l'existence. Ils sont toute la vie. On n'est pas croyant et disciple le dimanche matin, puis rien. Le maître attend de ses serviteurs qu'ils fassent fructifier ce qu'il confie, son salut, son Esprit, sa Parole, son Amour.

     Veillez donc puisque vous ne savez ni le jour ni l'heure.

     Amen.

(Philippe Cousson)

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