Le religieux est inhérent à toute société, même si elle s'en défend. Toute société est portée par des rites, des valeurs et une vision du monde qui lui sont propres. Ainsi est l'homme social. Mais ce ne sera pas l'objet de mon propos aujourd'hui. Je ne traiterai pas non plus d'une théorie de la place du religieux dans la société d'un point de vue protestant, mais j'analyserai l'attitude protestante à l'intérieur de la société et ses motivations.
Pour permettre de comprendre quelle est l'attitude des Protestants dans la vie sociale en général et en France en particulier, je commencerai par citer quelques arguments théologiques et historiques. Ensuite j'expliciterai quel type de société nous semble pour l'instant le plus adéquat. Et enfin je décrirai la part que les Protestants prennent dans la vie de nos sociétés présentes.
1.
Je citerai d'abord cette parole de Jésus telle que nous la rapporte l'Evangile
de Jean, lorsqu'il s'adresse à Dieu son Père, en parlant de ses
disciples : Ils sont dans le monde, mais ils ne sont pas du monde. Le chrétien
est par nature de passage dans ce monde, il n'en partage plus la nature.
Dans ce même évangile, voici le verset qui est essentiel pour tant de Protestants, qui est en exergue de la Confession de Foi de notre Eglise : Car Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse pas, mais qu'il ait la vie éternelle. Pour ce qui nous concerne ce soir, l'important c'est cette déclaration que Dieu aime le monde.
Si Dieu aime le monde, il est aussi demandé aux croyants d'aimer le monde et d'aimer les autres hommes : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. Et dans le même sens, je rapellerai cette parole du prophète Esaïe : Voici le jeûne que je préconise : Détache les chaînes de la méchanceté, dénoue les liens du joug, renvoie libres ceux qu'on écrase, et que l'on rompe toute espèce de joug. Partage ton pain avec celui qui a faim, et ramène à la la maison les pauvres sans abri. Si tu vois un homme nu, couvre-le, et ne te détourne pas de celui qui est ta propre chair.
Le chrétien ne doit pas se désintéresser de ses contemporains. Et le prophète Jérémie en s'adressant aux captifs de Babylone leur donnait cette recommandation : Recherche la paix de la ville où je vous ai déportés et intercédez auprès de l'Eternel en sa faveur, parce que votre paix dépendra de la sienne. Le croyant n'est pas du monde, mais il est dans le monde.
Bien que l'apôtre Paul recommande la soumission aux autorités, comme instituées par Dieu, la séparation reste de mise. Si les autorités n'appliquent pas le droit, il faut leur désobéir. Et il ne faut pas mélanger. Rapellons-nous de cet épisode où Jésus, répondant à ceux qui voulaient le piéger, prononça cette phrase devenue fameuse : Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu.
Il y a une distinction très nette entre les affaires de ce monde et les affaires de Dieu, et si le Royaume de Dieu est déjà présent dans la vie du croyant, il ne s'applique pas au monde, à la société. Pour le chrétien ce Royaume de Dieu est à la fois actuel, maintenant dans sa vie, et pas encore présent, jusqu'à l'accomplissement des temps et la vie éternelle.
2.
Si je parcours avec vous l'histoire de l'église chrétienne, il
y a un événement que certains considèrent comme une victoire
du christianisme, mais que je ne suis pas loin de considérer comme une
catastrophe, l'édit de Théodose qui en 384 a fait de la religion
du Christ la religion officielle de l'Empire. Par ce simple fait, la religion
chrétienne a été complètement dénaturée.
De religion personnelle, elle est devenue religion sociale. Et la société
lui a bien fait payer cette victoire par toutes les compromissions et les trahisons
où elle a dû passer.
Quelques siècles plus tard, après une domination religieuse et politique de la chrétienté, le Réformateur Martin Luther a formulé le principe des deux règnes, qui n'était en fait que l'expression de ce contenait déjà l'évangile. Ce n'est pas aux religieux de diriger les affaires du monde, et ce n'est pas aux politiques de diriger les affaires des églises.
Un peu plus tard, l'Edit de Nantes est venu partiellement confirmer ce principe. Il était possible d'être sujet du roi de France sans être catholique, avec restrictions certes, mais tout de même. Et le pouvoir devenait de fait détaché de la religion, même si la mise en oeuvre réelle de ce principe a pris plusieurs siècles.
Au moment de la Révolution Française, le président de la Constituante Rabaut Saint-Etienne, un protestant, a déclaré, parlant des Protestants : Nous ne voulons pas la tolérance, nous voulons la liberté.
A la même époque, en Angleterre eut lieu le réveil méthodiste. Ses principales conséquences furent durant les décennies qui ont suivi les grandes réformes sociales anglaises. De même que la fin de l'esclavage aux Etats-Unis fut la conséquence du grand Réveil du 19e siècle. Dans le protestantisme, un réveil est un mouvement suscité par la prédication d'une ou plusieurs personnes qui à la fois ravive la vie spirituelle des communautés et propage l'Evangile.
Pour revenir en France, à la fin de ce même 19e siècle, les Protestants ont soutenu le principe de l'école de Jules Ferry, gratuite, obligatoire et laïque, au point de rétrocéder leurs écoles au système public.
Certaines églises protestantes dites libres existaient déjà au 19e siècle, indépendantes de l'état, et les Protestants qui ont participé à la mise au point de la loi de 1905 sur la séparation des églises et de l'état, l'ont bien sûr approuvée, et s'y sont immédiatement conformés. Si certains points en sont actuellement discutables, en particulier le lien obligatoire avec la loi de 1901 ou l'interdiction de l'action sociale directe, cette loi a permis la mise en route d'une séparation de plus en plus complète, qui laisse à chacun son autonomie. Pour avoir subi la situation de minoritaire opprimé, le protestantisme français en particulier, ne peut accepter l'absence de liberté religieuse où que ce soit et pour qui que ce soit, même et surtout si l'oppresseur est "de la famille".
3.
Un protestant, c'est tout d'abord un chrétien. Voyons donc ce qu'est
un chrétien. Comme le disait Tertullien, on ne nait pas chrétien,
on le devient. On n'est pas chrétien parce que l'on est né ici
ou là, parce que l'on appartient à tel peuple ou ethnie. On n'est
pas non plus chrétien parce qu'on se soumettrait à un certain
nombre de règles. On devient chrétien par un acte de foi, par
l'acceptation de l'amour de Dieu et de son pardon gratuit.
4.
Voyons à présent quel est le type de société vers
laquelle les Protestants auraient la préférence. Tout d'abord,
ce serait une société démocratique, où les responsables
peuvent être choisis et rejetés, parce que personne n'est parfait,
surtout pas les politiciens. Une autre caractéristique de la démocratie,
c'est la liberté de conscience, le respect des opinions, la liberté
de parole. La démocratie, c'est aussi la liberté de changer son
opinion, la liberté de changer de religion. C'est le refus de la religion
définitive, celle qui serait inscrite sur la carte d'identité.
Même quand elle est située dans un pays de culture chrétienne,
une démocratie ne peut être purement chrétienne, si c'était
possible. Quelques affaires récentes, cinématographiques par exemple,
nous montrent que même des démocraties peuvent être piégées.
La société civile n'a pas à défendre des idées
religieuses. Le blasphème ne doit pas être un élément
du code civil.
5.
L'action du croyant en direction de la société qui l'entoure,
pour des Protestants, présente plusieurs facettes. Pour beaucoup d'entre
eux, la seule façon durable de changer la société pour
la rendre plus juste, c'est de changer les hommes eux-mêmes. Ainsi il
est essentiel pour les Protestants de pouvoir témoigner de le leur foi,
et d'appeler à la conversion.
L'amour que Dieu demande en direction des autres hommes est aussi vécu par la lutte contre les fléaux sociaux, comme le dit aussi notre Confession de foi, contre la misère, contre l'esclavage, contre la torture, contre les fractures sociales, mais aussi contre ce qui les provoque, ce qui les maintient. Il s'agit pour les croyants de manifester concrètement leur foi au Christ Sauveur.
Tant le témoignage que l'action sociale du croyant sont conduits dans l'action, mais aussi dans la prière, l'un étant indissolublement lié à l'autre.
6.
Notre société civile actuelle est en tel désarroi, en rupture
de la moindre religion civile, ici en Europe, après avoir le plus souvent
rejeté le christianisme en rejetant la chrétienté, qu'elle
fait appel aux religions et aux familles de pensée quand il s'agit d'établir
des bases communes pour des sujets sensibles. Les Comités d'éthique
sont nés d'une demande sociale, et c'est avec responsabilité que
des intellectuels protestants y prennent part. Mais il reste des sujets sur
lesquels on se garde bien de demander leur avis aux institutions religieuses,
dans les affaires sociales ou d'immigration par exemple.
7.
Si comme nous le croyons, tous les hommes sont aimés de Dieu, puisque
Christ est mort et réssucité pour chacun, nous devons les aimer
et les respecter tous.
Ce que les Protestants refusent, c'est une quelconque domination sur la société, la moindre contrainte sur les esprits et les corps. Je cite quelques passages du texte de la déclaration de notre dernier synode à Aix-en-Provence : La Foi en Jésus-Christ mort et ressucité ne saurait conduire à l'exercice d'un pouvoir qui cherche à imposer des normes ou des croyances. Elle ne saurait se limiter à la sphère privée. Il faut se mettre à l'écoute des autres et témoigner de l'évangile d'une manière explicite.
8.
Le croyant protestant vit sa foi comme une relation personnelle avec son Dieu
et comme un appel à la partager et à manifester son amour et son
espérance autour de lui. Voilà la place qu'il demande dans une
société où la dignité et la valeur de tout homme
est reconnu.
Je vous remercie.
Philippe Cousson
membre du Conseil Presbytéral de l'Eglise Réformée de Poitiers
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