Poitiers, 21 mars 1993

Osée 5:15-6:2
Rom 8:1-10
Mat 20:17-28

     Churchill aurait dit : " La démocratie est le pire des systèmes, à l'exclusion de tous les autres. " Pourquoi le système démocratique n'est-il pas le système parfait ? Parce que les hommes ne sont pas parfaits. Et c'est d'ailleurs ce qui fait que les autres systèmes sont "plus pires". Comme personne n'est parfait, tous ceux qui prétendent l'être, et prétendent à cause de cela gouverner les autres, ne le sont pas non plus. Et leurs prétentions en sont la preuve.
     Car en fait, quelqu'un peut il mériter une place de pouvoir, une place d'honneur ?
     Deux disciples de Jésus, Jacques et Jean voulaient avoir les premières places, et pas n'importe où s'il vous plaît, dans le Royaume ! C'est quand même mieux que le Palais Bourbon. Mais Jésus leur répond en leur donnant la solution, le truc pour être le plus grand, pour être le premier. Il suffit de placer les autres en premier, de les considérer comme plus grands. Pour être le premier, il faut renoncer à l'être, renoncer à l'idée même de le devenir.
     Jésus demande à ses disciples d'être serviteurs les uns des autres. Et même quelques mots plus loin, d'être esclaves les uns des autres. Il ne s'agit plus de porter ses intérêts, ses soucis sur sa propre personne, mais bien sur les autres, dans quelque groupe humain qu'on se situe, et en particulier dans le groupe des disciples.

     On pourrait essayer de trouver des verbes pour rendre la variété de sens que recouvre ce verbe : servir : aider, favoriser, soutenir, pousser, prendre soin.

     Il n'est en rien question ici de se retrancher derrière quelque action qui pourrait être méritoire. Il n'y a pas de compteur de bonnes actions, qui pourrait indiquer que le compte y est ou n'y est pas. Ce que nous demande le Christ, ce n'est pas d'acquérir un certificat de bonne conduite, de bonne action humanitaire. Il nous demande simplement un état d'esprit totalement différent, qui ne calcule pas, qui n'accumule pas les bons points. Le moteur de notre vie doit être non nous mêmes, et notre compte avec la loi, mais les autres et leur service. Mais vous savez tous que ce n'est pas facile, et que le chemin de la sanctification est un chemin long, un chantier où le Saint Esprit travaille en permanence.

     Même si elle n'est pas toujours placée au même endroit, dans de nombreux pays démocratiques on insiste sur l'honnêteté des hommes politiques. Mais il nous faut bien comprendre que l'Evangile ne nous demande pas d'être honnête. Comprenez moi bien, je ne veux pas dire qu'il faut être malhonnête, je dis qu'il ne faut pas chercher à être honnête pour être honnête. Notre honnêteté doit être une conséquence d'un état d'esprit de service, et non un objectif à viser, et non des règlements, des lois à observer. Voici à cet égard une petite histoire lue récemment :

     L'enfer était déjà bondé mais une multitude de gens faisaient quand même la queue à la porte d'entrée. Le diable lui-même était obligé de renvoyer les candidats...
     -- Chez moi, tout est complet ! -- disait-il. -- Il ne me reste qu'une seule place, un seul siège. Y a-t-il des assassins par ici ?

     Et il posait des questions aux gens à propos de leurs fautes et de leurs mauvaises actions. Mais tout ce qu'ils pouvaient dire ne lui paraissait pas suffisamment affreux pour donner à l'un ou à l'autre la dernière place libre dans l'enfer... Le diable continuait à interpeller les gens ici et là.

     Pour finir, il aperçut quelqu'un qu'il n'avait pas encore questionné.
     -- Qui êtes-vous ? -- lui demanda-t-il -- Pourquoi êtes-vous là, tout seul ? Qu'est-ce que vous avez fait ?

     -- Rien -- lui répondit l'homme. -- Rien. Je suis un homme bien et c'est par erreur que je suis ici. Je pensais que les gens faisaient la queue pour des cigarettes.
     -- Mais vous avez certainement fait quelque chose de mal -- rétorquait le diable. -- Tout le monde fait au moins une bêtise dans sa vie.
     -- Oui, vous avez raison. Je les ai vu faire en effet, -- répondit l'homme bien, -- mais je ne me suis pas joint à eux. J'ai vu des hommes poursuivre leurs semblables mais je n'ai pas participé à leurs mauvaises actions. Ils ont laissés mourir de faim des enfants ; ils en ont vendu d'autres comme esclaves ; ils ont piétiné les faibles. Partout, ils ont tiré profit de leurs mauvaises actions. Moi seul, j'ai résisté à la tentation et je n'ai rien fait de mal.
     -- Vraiment rien ? -- lui a demandé le diable, incrédule. --Et vous êtes vraiment sûr d'avoir vu toutes ces choses horribles ?
     -- Oui, ça s'est passé devant ma porte, devant chez moi, -- insistait l'homme bien.
     -- Et vous n'avez rien fait ? -- répétait le diable.
     -- Non.
     -- Entre par ici, mon fils, cette dernière place est pour toi.

     Et quand il a laissé entrer "l'homme bien", le diable s'est reculé afin qu'il ne le touche pas.

     C'est très facile, et il n'est pas besoin d'avoir une très grande imagination pour ne s'intéresser qu'à soi, qu'à ce qui touche à soi, qu'à ses intérêts bien compris, pour ne voir dans les autres que soit des moyens d'atteindre des objectifs toujours plus élevés ou rentables, soit alors des gêneurs, des empêcheurs d'"égoïsmer en rond".

     Par contre, s'il suffit simplement d'ouvrir les yeux et les oreilles pour voir et entendre les autres, et encore c'est peut-être à vérifier, il faut une volonté, et même de l'imagination créatrice pour les servir, les aider, les favoriser, les soutenir, les pousser, en prendre soin. Il faut que le service des autres, plus ou moins proches, soit l'objectif de notre vie, pour que notre vie ait alors un sens. Dans l'histoire du monde, de l'Eglise, tant d'hommes ont fait preuve de cette imagination, de cette créativité, tournée vers le service des autres, et cela non pas pour être connu, respecté, mais uniquement pour servir, parce que d'autres en avaient besoin. Le fait que maintenant des rues portent leur nom était vraiment loin de leur esprit. Seuls comptaient ceux qui avaient besoin d'eux.

     Parmi ceux qui se présentent aujourd'hui à nos suffrages, il se trouve certainement des hommes qui ont pour souci le service des autres, et qui pensent pouvoir servir mieux à la place qu'ils briguent. Et c'est à nous, imparfaits que nous sommes, de choisir. C'est ici l'honneur de la démocratie de pouvoir choisir justement ceux-là.

     Il en est d'ailleurs de même dans l'Eglise, où en plus les candidatures sont le plus souvent sollicitées. Les services auxquels appelle le Seigneur sont très variés. Peut-être vous demandera-t-on aussi de prendre une part à ce service, service du Seigneur, service des frères chrétiens, service des frères humains.

     Le Fils de l'homme est venu, non pour être servi, mais pour servir et donner sa vie en rançon pour beaucoup. Il a servi les hommes, donner sa vie pour nous, en nous donnant une vie nouvelle. Qu'en faisons-nous ?

     Mais attention, ne vous méprenez pas. Il ne s'agit pas ici d'effort à faire, et surtout pas d'effort méritoire. Il s'agit simplement de vivre de la vie nouvelle donnée par l'Esprit Saint, en s'éclairant de la Parole et de la prière, prière et écoute de la Parole qui devraient être tant personnelles que communautaires, vécue, partagée et proclamée. Mon propos n'est d'ailleurs pas de "remonter les bretelles" à qui que ce soit, sinon alors à moi-même, mais de nous exhorter à la sanctification pour le témoignage et le service.

Amen

(Philippe Cousson)

Retour