Poitiers, 1er août 1999

Esaïe 55:1-3
Rom 8:31-39
Mat 14:13-21

Le cas qu'ont évoqué nos journaux radio et télévision dans la journée de vendredi est assez parlant. Un désespéré, c'est comme ça que l'on dit, après avoir tué sa famille, femme et enfants, a tué douze personnes avant de se donner la mort. Il venait de perdre beaucoup d'argent en spéculations boursières. Il ne pouvait plus vivre. Le désespoir.

Sans atteindre ce niveau, beaucoup de nos contemporains sont frappés de désespérance, de désespoir, de déprime. Les raisons en sont plus ou moins réelles, parfois bien réelles. Les conséquences en sont plus ou moins graves, parfois très graves. Certains arrivent à dépasser ce moment, d'autres pas.

Pour ceux-ci, la vie ne semblent plus avoir d'issue. Impossible de faire face. Impossible de contourner un obstacle inévitable. Impossible de fuir. Car faire face, comme contourner, comme fuir, suppose de pouvoir imaginer un après, d'avoir un quelconque espoir, une espérance. Or, tout leur parait fermé, bloqué. L'impasse, le cul-de-sac, la voie sans issue. Ou plutôt, sans issue acceptable. Les renoncements seraient insupportables. Certains refusent de vivre pour ne pas avoir à se regarder dans un miroir. Ils pensent que si eux-mêmes ne se supportent plus, les autres ne les supporteront plus non plus. On se rejette soi-même par peur du rejet des autres.

Alors certains arrêtent tout.
Oui, mais voilà, une fois que c'est fait, impossible de repartir, de recommencer.

C'est là que se place le message de l'Evangile. Il est possible de dire : On efface tout et on recommence. Sans abandonner. Le salut c'est l'espérance. C'est : demain possible. Malgré tout.

Car je suis assuré que ni mort, ni vie, ni anges, ni principautés, ni choses présentes, ni choses à venir, ni puissances, ni hauteur, ni profondeur, ni aucune autre créature, ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu, qui est dans le Christ Jésus, notre Seigneur.

Voilà les derniers versets du passage de l'épître aux Romains. C'est une autre manière de voir la vie. L'espérance, la certitude au lieu du désespoir, de l'abandon. Qu'est-ce donc, que ce salut, cet amour dont nous parle Paul, dont nous parlent les Evangiles, que proclame l'Eglise depuis bientôt presque deux millénaires ?

Dans ce passage théologique, dont la forme ressemble à un catéchisme traditionnel en questions-réponses, il y a des personnages, comme dans un récit. Quels sont-ils ? Il y a Dieu, le Christ Jésus, et nous. Enfin, Paul dit : nous, c'est à dire lui, et ceux à qui il écrit. Donc indirectement nous aussi. Il y a aussi un personnage mystérieux, celui qui est désigné par le pronom interrogatif Qui.

Voyons un peu les rôles de chacun.
Dieu.
Certes, il y a ceux qui disent qu'il n'existe pas. Alors ils n'ont pas de problème avec lui. Et leur salut, s'il en est besoin, se passe alors sans lui. Leur espérance se passe en dehors de lui. Leur raison de vivre aussi. Leur raison de continuer à vivre aussi. Tant qu'ils en ont.

Et puis il y a les autres.
Dieu est le créateur de notre univers, quelque soit le moyen qu'il ait utilisé. Il est aussi le créateur de l'homme. Et cet homme, il l'a créé libre. C'est à dire avec la possibilité de vivre loin de lui, sans lui. Et c'est ce que l'homme a fait. Et pourtant, cet homme (je parle ici de l'humanité, le français ne disposant que d'un mot pour homme-humain et homme-mâle), cet homme continue d'être aimé de Dieu, sans lui être assujéti. Mais voilà, cet amour, il l'ignore, il le refuse.
Tout au long de l'histoire, Dieu a utilisé de nombreux signes, des rites, des miracles même, pour rappeler à l'homme d'où il vient, pour redire à l'homme son amour. Il en a même fait consigner le récit dans des écrits, ceux qui forment notre Bible. Mais l'homme s'enferme dans son orgueil et sa vanité, et il se retrouve dans des situations sans issue. Il cherche le salut. Et comme son analyse de la situation ne tient pas compte de Dieu, ou alors pas de Dieu tel qu'il est vraiment, il ne trouve pas le salut.

Alors, Dieu a, par un signe frappant, voulu démontrer à l'humanité jusqu'où allait son amour. Jésus Christ est venu vivre parmi les hommes. Le Fils de Dieu est devenu LE FILS DE L'HOMME. Il a vécu en constante relation avec Dieu. Et il est mort. Mais il est ressuscité. Sa vie, son ministère, ses paroles, sa mort, sa résurection, nous parlent de l'amour de Dieu pour l'humanité, pour chaque homme.

Et voilà qu'intervient le QUI. Qui est contre nous ? Qui nous accuse ? Qui nous condamne ? Voilà où en sont ceux que le salut n'a pas atteint.Ils ne sont pas avec Dieu. Ils ne sont pas justifiés. Ou bien ils se sentent coupables, et n'espèrent pas de pardon. Pour eux salut et justification ne peuvent pas exister. Ils se sentent contre Dieu. Ils sont accusés. Ils sont condamnés. Par qui ? Mais par eux-mêmes.
Ou bien alors, ils ne voient aucune raison de se sentir coupables de quoi que ce soi, qu'ils se pensent justes, ou bien qu'ils aient pu s'arranger avec leur conscience, ou qu'ils se soient imaginé qu'il était possible de compenser par des bonnes actions. Mais cela n'est pas la véritable justification. Et à un moment ou à un autre, le bout de l'impasse apparaîtra ou réapparaîtra. Le QUI ne s'est pas éloigné.

La véritable justification consiste en ceci : Dieu nous regarde comme juste, Jésus Christ intercède pour nous. C'est le message constant de l'amour de Dieu. Il l'a montré et démontré maintes et maintes fois. Le salut nous est manifesté par des gestes, des signes de Dieu. C'est l'oeuvre de Dieu. Il n'est pas porté par des gestes d'hommes. Ce n'est pas l'oeuvre des hommes. Ils ne sont aucunement des intermédiaires, ni des moyens de salut. Les hommes annoncent le salut et le vivent, ni plus, ni moins.
C'est tout aussi simple que ça : Dieu vous offre son salut. Il propose son amour. Il donne l'espérance. Qu'est-ce que vous en faites ? Vous pouvez les prendre. Se saisir de l'offre de Dieu, c'est en reconnaître le besoin, c'est reconnaître notre état de manque, d'échec, bref de péché, et c'est reconnaître que seul, il est impossible de s'en sortir. Et alors vous ne pourrez plus vivre comme avant. Vous vivrez de et par cet amour, de la grâce de Dieu que vous manifesterez autour de vous. C'est alors que vos "oeuvres" parleront de l'amour de Dieu.

Vous pouvez bien sûr aussi refuser la grâce de Dieu, cet amour sans condition, cette espérance. Vous pouvez insister pour essayer de compenser. Vous pouvez dire à Dieu : je ferai ce que tu voudras. Je tiens à payer. Il n'est pas possible qu'il n'y ait rien à faire. Mais dire ceci, c'est passer à côté du salut gratuit, de l'amour de Dieu, de sa grâce. A la fin, ce sera l'échec, car il est impossible par soi même de rejoindre Dieu, de tenter de combler la distance que l'on pense immense. Au bout de la route, le désespoir, ou la lassitude, ou l'amertume. Pas le salut.
Vous pouvez aussi refuser la main tendue de Dieu en affirmant n'en avoir rien à faire. Vous pouvez chanter sur les toits que vous n'en avez pas besoin. Quoique...
Vous pouvez aussi la refuser, en croyant qu'un tel amour, qu'un tel accueil sont inconcevables, inimaginables. S'il est Dieu, il ne peut pas m'accueillir, là, comme je suis, où j'en suis.

Et pourtant...

Dans son épître, Paul cite un psaume. C'est un psaume d'appel au secours. Paul l'utilise pour y affirmer la solidité de l'amour de Dieu. Ailleurs il parle des ses dimensions.

Sommes-nous vraiment convaincus des caractéristiques de l'amour de Dieu pour nous, pour tous les hommes.

Car Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle.

Il est maintenant possible de se regarder en face, de regarder l'avenir. Car Dieu nous regarde, chacun de nous, avec les yeux de son amour. Il nous considère comme juste. Prenons cet avenir à bras le corps. Ne le refusons pas pour quelque prétexte. Parce qu'une fois engagé dans la vie de Dieu, vie qui commence ici et maintenant, nous recevons cette assurance que nous donne ces deux derniers versets. Certains parmi nous ont déjà, et parfois depuis longtemps, intégré cette tranquille certitude dans leur vie. Heureusement que l'amour de Dieu ne dépend pas de nous, mais uniquement de Lui. Alors donc, rien, oui rien, ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ.

Amen.

(Philippe Cousson)

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