Ecclésiaste 1:2;2:21-23
Colossiens 3:1-11
Luc 12:13-21
Chers frères et soeurs en Christ,
Ah ! Si j'étais riche ! La la la la la la... Vous vous souvenez peut-être
de la chanson.
Nous voilà ce matin en face d'un texte qui parle de la richesse. Et la
péricope suivante poursuit autour du même thème.
Voyons un peu ce qu'il en est.
Quelqu'un hèle Jésus, pour une histoire d'héritage. Problème
important sans doute. Mais voilà que Jésus refuse de répondre,
et comme à son habitude raconte une histoire, une parabole. Et sa conclusion
n'a semble-t-il rien à voir avec la demande initiale.
Avant de reprendre le texte, je voudrais préciser que ce texte a une caractéristique particulière : presque à chaque verset on trouve une des formes du verbe dire ou parler (10 fois en 9 versets). Ce passage pourrait très facilement être mis en scène, avec narrateur en voix off, personnages dont Jésus qui raconte une histoire. On pourrait même l'imaginer avec une seule personne qui jouerait tous les rôles. Il dit, il dit, disant, je dirai, il dit. Mais il ne s'agit pas ici de parler pour ne rien dire, mais bien de faire comprendre des choses essentielles.
Quelqu'un élève la voix dans la foule, et visiblement s'adresse
à Jésus. Même si certaines de nos traductions mentionnent
Jésus, le texte original ne le fait pas. Mais le titre que cet homme
utilise désigne très certainement Jésus : Maître.
Maître, c'est à dire, tu es un enseignant, un grand homme, avec
des disciples, tu es un homme bon, tu es un homme sans doute influent, tu es
capable de convaincre.
Moi je n'y arrive pas. Alors viens convaincre mon frère, viens lui parler,
pour qu'il partage notre héritage.
La question semble pertinente. Le choix de l'autorité de référence
aussi.
Mais voilà, Jésus refuse. Il lui répond, sans lui donner
son nom, qu'il ne connaît peut-être pas, et l'appelle : Homme !
Tout simplement. Pas de titre de politesse, pas de considération particulière.
Homme !
Qui m'a établi, institué juge et partageur pour vous. Juge, c'est
le mot kriter. Jésus n'est pas le bon critère pour ces
problèmes-là. Jésus n'est pas concerné. Le droit
de la propriété, ce n'est pas son affaire. Par contre, pour ce
qui de l'utilisation des biens, là il a des choses à dire, et
il a déjà souvent parlé là-dessus.
J'ai tout à l'heure mentionné la répétition du verbe dire ou parler. Il y a une autre répétition dans ce texte. Il s'agit des possessifs ou de réflexifs : Mon frère, avec moi, raisonnait en lui-même, ma récolte, mes greniers, mes biens, mon âme, thésauriser pour lui-même. On commence à se douter du problème que Jésus va pointer : s'occuper de soi-même, se soucier de soi-même.
Voyons donc cette parabole. Jésus nous donne une phrase d'introduction en forme d'avertissement. Sa formule a d'ailleurs posé quelques problèmes aux traducteurs qui s'en sont sortis comme ils pouvaient. Ça pourrait donner tout aussi bien : Faites attention et prenez garde à la cupidité. Jésus, ou plutôt l'auteur de l'Evangile qui nous rapporte cette parole, utilise deux presque synonymes pour bien insister sur la prudence, la méfiance à avoir avec ces choses, avec la richesse et la propriété. La vie n'est pas dans la surabondance des biens.
On trouve dans ce verset 15 le mot vie. Un autre mot presque équivalent dans sa signification est utilisé deux fois à la fin du passage. J'y reviendrai un peu plus loin.
Voici donc la parabole : Les terres d'un homme riche rapportent beaucoup. Ceci
n'est pas surprenant aujourd'hui où ce sont les riches qui s'enrichissent
de plus en plus. Mais la situation a l'air de surprendre cet homme. Il réagit
comme s'il ne l'avait pas prévu. Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire.
Il faut bien que je stocke quelque part ce que j'ai récolté. Et
je n'ai plus de place. Bizarre cette imprévoyance.
Voilà ce que je vais faire : je vais augmenter mes capacités de
stockage. J'aurais alors tout sous la main. Plus de besoins matériels.
Des réserves. La belle vie en perspective.
Et je dirai : Mon âme. De nos jours, on s'attendrait plutôt à
entendre : Mon vieux ! Il ne s'adresse pas à une partie de lui-même
qui serait son âme, il s'adresse à lui-même. Le sens du mot
âme est quasiment le même que celui du mot vie. Il signifie donc
âme, mais aussi vie, souffle, être, personne. Et il s'interpelle
lui-même : Âme ! C'est bien lui qui est riche, et pas son âme
comme on a tendance à la comprendre depuis la philosophie grecque.
D'ailleurs au verset suivant, son âme est redemandée, son âme,
c'est à dire sa vie.
Je voudrais vous faire part d'un jeu de mot que je soupçonne dans ce
texte, et même si ce n'est pas le cas, l'idée me semble intéressante.
Le mot qui signifie rapporter au verset 16 est très proche par la forme
du verbe du verset 19 qui signifie se réjouir, prendre plaisir, et ces
deux mots du texte sont proches d'un autre mot qui n'est pas dans le texte et
qui signifie lui sensé, intelligent. Or l'apostrophe avec laquelle Dieu
dans le récit de la parabole interpelle l'homme est justement le contraire
de ce dernier mot : Insensé !
Ce qui pourrait se comprendre comme cela : Tu te crois malin, tu t'intéresses
à ce qui rapporte, tu t'occupes de ce qui te fait plaisir, tu penses
que c'est cela l'intelligence, la sagesse, mais tu es un fou, un insensé.
Cet homme, qui n'avait pas prévu ce qui lui est arrivé, qui n'avait pas anticipé sa récolte, se met à vouloir construire des greniers, des châteaux en Espagne. Pour quoi faire ? Pour qui ? C'est au moment où il envisage d'accumuler pour l'avenir, où il se met à anticiper, que la parabole met fin à sa vie.
Et voilà la conclusion de Jésus, après le récit
: celui qui thésaurise pour lui-même et n'est pas riche pour Dieu
ne profitera pas de ce qu'il aura accumulé.
Il y a là aussi quelques mots qui ont posé des problèmes
aux traducteurs : qui n'est pas riche pour Dieu, qui n'est pas riche en Dieu,
qui est pauvre devant Dieu, qui n'est pas riche en vue de Dieu, qui n'est pas
riche envers Dieu, au lieu de s'enrichir auprès de Dieu.
Cette parabole est-elle une condamnation des assurances-vie ? On pourrait le
croire.
En fait, il y a quelques questions fondamentales qui apparaissent : pour qui
cela sera-t-il ? Où est la sagesse ? De quoi dépend ma vie ?
Ce n'est pas à vous que j'apprendrai la fragilité de la vie, et comme le dirait l'Ecclésiaste, la vanité de beaucoup de choses.
Première question : A quoi sert ce que nous faisons ? A quoi a servi
le fruit de notre travail ? Qu'en restera-t-il et pour qui ? Est-ce que nous
avons amassé pour nous mêmes ? Que valent nos trésors ?
Quelle a été la valeur de nos trésors ? Qu'est-ce qui disparaîtra
? Qu'est-ce qui restera ? Qui en profitera ?
C'est la question permanente du sens de notre vie, mais une question qui n'est
jamais une question piège, puisqu'elle ouvre sur l'Evangile de la grâce.
Deuxième question : Où est la sagesse ? La suite du texte nous
donne quelques éléments de réponse : Qui par ses inquiétudes
peut rajouter une coudée à la durée de sa vie ? Et aussi
: Cherchez d'abord le Royaume de Dieu, et toutes ces choses vous serons données
par dessus.
Tout ce que nous recevons nous est donné. Tout est reçu. A nous
d'en faire bon usage, avec des actions de grâce. La cupidité, si
elle paraît sage en accumulant, n'apporte en fait que soucis et inquiétudes.
Elle éloigne du sens véritable de la vie en restant concentrée
sur le rendement et la jouissance. Or le sens de la vie est plutôt dans
le remerciement, la louange et l'amour vers Dieu et vers les autres.
Troisième question : De quoi dépend ma vie ? De moi ? De ce que
je fais ? De ce que je ferai ? Est-ce que je ne dois rien à personne
?
En partie, oui, ma vie dépend de moi. Elle dépend de ce que je
fais, mais ce que je fais dépend de ce que j'ai reçu. En réalité,
elle dépend de ce que je fais de ce que j'ai reçu. Selon que j'accumule
ou que je transmets ce que j'ai reçu. Selon que je suis riche pour moi-même
ou pour Dieu.
Dans la suite du texte, l'évangéliste nous parle des plantes et
animaux dont Dieu s'occupe, pour dire qu'il peut aussi s'occuper de nous. Et
c'est ce qu'il fait en permanence. Il s'agit pour nous de recevoir avec remerciements,
sans chercher à nous constituer des greniers. Mais il ne s'agit pas par
contre de dilapider ce que Dieu nous donne pour notre vie. Autant il est fou
d'entasser, autant il est fou de disperser. Ma vie dépend de ce que je
reçois, mais si je le reçois, c'est sans doute que j'en ai aussi
besoin, besoin pour moi ou besoin pour autour de moi. En tous cas, ma vie de
dépend pas des inquiétudes que je pourrais en avoir, quand je
comprends que Dieu ne m'oublie pas.
On se trouve maintenant très loin de la question posée à
Jésus et à laquelle il a refusé de répondre. Et
pourtant...
Cet homme voulait partager l'héritage avec son frère. Il voulait
récupérer sa part. Il ne cherchait pas à partager avec
son frère. Il y a une différence importante, traduisible par un
geste, suivant que les mains ramènent à soi ou offrent. Suivant
que l'on amasse pour soi ou que l'on est riche pour Dieu.
Amen.