Poitiers, 30 octobre 2005

Dimanche de la Réformation
1 Cor 1:1-31

Chers frères et soeurs en Christ,

Ce dimanche est un jour particulier pour nous dans l'année. Pas pour des raisons théologiques ou liturgiques ou rituelles. Simplement pour des raisons historiques. C'est à très peu de choses près l'anniversaire de la Réforme, ou de la Réformation. C'est l'anniversaire de l'affichage des 95 thèses de Martin Luther contre la vente des Indulgences. C'est pour nous l'occasion de se reconnaître, de s'identifier comme protestants, comme fils et fille de cette Réforme, comme disciples de ces glorieux prédécesseurs qu'étaient Martin Luther, Jean Calvin et les autres. Nous affirmons notre différence en relevant ce qui fait notre caractéristique par rapport aux autres chrétiens : l'écriture seule, la foi seule, la grâce seule. Même si j'endosse cette filiation, vous pourrez comprendre qu'elle n'est pas pour moi essentielle, qu'elle peut même parfois être dangereuse, équivoque.

Mais alors, où est le problème ? Si on se souvient de ce premier chapitre de la première épître aux Corinthiens, on peut comprendre ce que je vais dire.

Qu'est-ce que nous avons à annoncer, à proclamer ? Notre protestantisme ? La Réforme ? Une certaine idée de l'homme ? Une foi pour le monde contemporain ? Un humanisme ? Vous comprendrez sans doute que ma réponse est "non". On a, à mon avis, trop souvent prêché le protestantisme, au lieu de prêcher Jésus-Christ.

C'est ce que Paul nous dit, nous indiquant par là que la première église, l'église primitive, l'église du Nouveau Testament, était loin d'être unanime, d'être unique. Elle était déjà diverse. Et déjà à l'époque, on se réclamait de tel ou tel prédécesseur, de tel ou tel prédicateur ou commentateur. On disait : je suis de Paul, je suis d'Apollos, je suis de Pierre, et moi, je suis de Christ.

Et nous irions dire : moi, je suis de Calvin, moi je suis de Luther, moi je suis d'Augustin ou de Thomas d'Aquin, moi de Wesley, moi de Barth, et moi je suis de Christ. Le Christ est aussi divisé aujourd'hui qu'il l'était hier, malgré l'appel de Paul.

Avant de reprendre mon idée, je voudrais m'en écarter un peu pour d'une certaine façon contester ces étiquettes. Notre église, toute église est catholique, c'est à dire universelle. Elle est partie de cette église universelle. Elle n'en est pas détachée. Elle fait partie de son histoire, elle vit de cette histoire, elle vit d'une solidarité globale. Notre église, toute église est ainsi oecuménique. Elle est l'expression locale de cette église qui vit et témoigne sur l'ensemble de la planète. Notre église est réformée, mais les autres le sont aussi, quand elle laisse l'Esprit la réformer, quand elle comprend qu'elle a toujours à être réformée. Notre église est baptiste, parce qu'elle vit du signe que le Seigneur nous a donné, du signe du baptême, comme toute l'église, même si la forme varie. Notre église est adventiste, car elle vit dans l'espérance de ce qui lui a été promis, parce que notre Seigneur est celui qui est, qui était et qui vient. Notre église est méthodiste, parce qu'elle annonce que la vie chrétienne se vit aussi par une vie spirituelle, qui est un chemin de sanctification. Notre église est évangélique, car elle partage et annonce l'Evangile, la bonne nouvelle du salut aux hommes. Notre église est biblique, car sa théologie y trouve sa racine profonde. Notre église est pentecôtiste, car elle est partie comme toute l'église de ce jour de Pentecôte où l'Esprit a été répandu, et qu'elle croit que l'Esprit conduit encore l'église et les croyants. Notre église est missionnaire parce qu'elle comprend que ce message est à partager au près comme au loin. Notre église est orthodoxe, parce qu'elle reçoit des Ecritures Saintes la doctrine droite. Et je n'ai pas mentionné les étiquettes qui viennent d'un nom de personne (luthérienne, calviniste, mennonite, etc.) Mais je pense que dans la pensée de tous ces théologiens, on trouverait quelque chose à retenir. Mais, pour terminer comme ceux que Paul reprend, notre église est une église chrétienne. Parce qu'en fait c'est là l'essentiel. Nous sommes l'église de Jésus-Christ.

Notre protestantisme c'est pour nous souvent à la fois une identité et une image, une manière de se démarquer, à la fois des catholiques et des non-croyants. Et je crois que bien trop souvent on se définit d'abord comme protestant, et puis ensuite peut-être comme chrétien. Il est vrai que dans le langage courant en France, un chrétien c'est plutôt un catholique romain. Pourtant, notre véritable identité d'enfant de Dieu, de racheté, de disciple, c'est d'être chrétien. Même si c'est par le témoignage du protestantisme, notre foi est une foi en Jésus-Christ. Notre salut est un salut en Jésus-Christ. La prédication du protestantisme, ce n'est pas la prédication "du protestantisme", c'est la prédication de Jésus-Christ, c'est la prédication de la croix du Christ.

Et face à cette prédication, on trouve encore de nos jours les mêmes réactions qu'à l'époque de Paul : ceux pour qui la croix est un scandale, et ceux pour qui cette croix est une folie.

Elle reste pour les Juifs de notre époque ce qu'elle était pour ceux de l'époque de Paul, un scandale. Le Messie qui meurt sur la croix, ce n'est pas imaginable, ce n'est pas possible. Mais surtout, ce qui n'existait pas à l'époque des Apôtres, c'est un scandale aussi pour les Musulmans. Il n'est pas possible qu'un prophète, ce qu'ils disent que Jésus était, puisse être ainsi exécuté. Alors imaginez le Fils de Dieu... Déjà que pour eux, Dieu ne peut pas avoir de Fils, alors en plus le voir mort sur une croix...

Et pour la plupart de nos contemporains, comme pour ceux que Paul appelait les Grecs, ce message de la croix est tout simplement insensé, c'est une folie. Ça n'a pas de sens. Parler de l'homme, du progrès de l'humanité, ça, ça a du sens.

Mais comme le dit Paul, le monde, c'est dire celui qu'il appelle "le raisonneur de ce siècle" ne connaît pas Dieu. Ce qu'il demande, c'est une sagesse. Mais Dieu préfère la folie de la prédication. Alors, attention à notre prédication. Est-elle toujours cette folie du message du Christ, ou aurait-elle tendance à devenir cette sagesse que le monde attend, mais qui ne peut pas le conduire au salut ? Est-ce que notre discours, trop souvent politiquement ou théologiquement correct, même s'il est bien agencé, ne nous éloigne pas de l'annonce de l'Evangile ? Oserions-nous dire que nous n'espérons pas par notre raisonnement convaincre de la justesse de nos vues ?

Et pourtant ce n'est pas ce qui nous est demandé.

On retrouve dans ce chapitre les deux fonctions principales de l'Eglise, celles qui sont sa nature et sa raison d'être : le témoignage, la prédication, l'appel, et puis la gloire de Dieu, le culte, la louange rendus à Dieu. C'est à cela que nous sommes appelés. C'est le sens du mot église, l'assemblée de ceux qui sont appelés.

L'église n'a pas à parler d'elle même. Nous n'avons pas à parler de nous mêmes, nous n'avons pas à nous glorifier nous-mêmes, si tant est que nous puissions en avoir des motifs. L'église doit prêcher Jésus Christ, et Jésus Christ crucifié. Nous devons prêcher Jésus Christ crucifié, et comme Paul l'ajoute ailleurs, Jésus Christ ressuscité.

Tout ce que fait l'église, tout ce que dit l'église, se situe dans ce cadre-là. Lorsque qu'elle manifeste dans des actes l'amour de Dieu pour ce monde, parce qu'elle a reçu et vécu cet amour, cela reste un témoignage, justement, de ce qu'elle a reçu, cela reste une prédication de la croix.

Si le protestantisme a une image de contributeur au progrès de l'humanité, d'organisation humanitaire, il ne doit pas revendiquer cette image, il ne doit pas se définir comme tel. Son essence n'est pas ici, elle est dans l'amour de Dieu, elle est dans le ministère de Jésus Christ, elle est dans le scandale et la folie de la croix.

Une autre image s'attache au protestantisme, que nous revendiquons volontiers, celle de notre fonctionnement démocratique. Mais qu'en est-il vraiment ? Nous avons débattu récemment en synode et en église de l'autorité. Où est l'autorité chez nous ? Elle n'est pas comme chez certains frères chrétiens, dans un système hiérarchique et clérical. Elle n'est pas académique comme dans la principale branche de l'islam, où c'est l'érudit qui dit le dogme. Notre autorité se trouve définie en Christ. Elle est portée par l'ensemble de l'église à travers temps et lieux et provient de la seule écriture. Aucune voix n'a de prépondérance, mais tous sont écoutés, et tout est soumis à cette écoute du texte de la Bible, dans la foi au Dieu sauveur. Mais ce n'est pas non plus la majorité qui a raison. C'est l'écoute commune du texte dans la prière qui fait autorité. Personne n'en détient à priori l'interprétation juste et définitive. Ni le docteur, ni le clerc, ni le peuple ne peuvent prétendre détenir cette autorité qui n'appartient qu'à Dieu, Père, Fils et Saint-Esprit.

Paul salue au verset 3 l'église de Corinthe par cette même salutation qu'il reprend souvent. Cette salutation regroupe les salutations sémitique et grecque : "La grâce et la paix". L'évangile est celui du salut par grâce, que personne ne mérite, et il est celui qui apporte la paix, la paix que peut seul apporter le pardon de Dieu.

Mais pour revenir à une éventuelle spécificité de la Réforme Protestante et des églises qui sont apparues dans son sillage, il faut reprendre un des termes de cette salutation, et noter qu'il était essentiel pour Martin Luther : la grâce.

Contrairement à une opinion trop répandu, le protestant n'est pas celui qui aurait par son travail, son opiniâtreté, son intégrité, sa probité, mérité son état actuel, son bien-être, son aisance.

Le protestant est celui qui a tout reçu de Dieu, et qui lui en rend grâce en permanence. Le protestant n'est pas celui qui cherche par ses mérites à s'acquérir les "bonnes grâces" de Dieu. Il sait qu'une telle quête est vaine. Mais il sait qu'en retour Dieu espère de lui un comportement, un témoignage, une sanctification. Le protestant n'est pas en permanence en recherche de la bienveillance de Dieu. Il est assuré de cette bienveillance. Il ne maintient pas son regard sur son propre sort, mais renvoie cette bienveillance autour de lui.

Les théologiens catholiques romains et les théologiens luthériens ont signé il y a quelques années la déclaration commune sur la justification par la foi. Mais il reste encore beaucoup de chemin jusqu'à ce que l'ensemble des catholiques soit convaincu que la foi seule suffit, qu'il est inutile de chercher à gagner son salut, à mériter sa vie. Il reste encore de la place pour une parole différente, qui rappelle l'Evangile de Jésus Christ, l'Evangile de la grâce, scandale pour les uns et folie pour les autres.

C'est ce point de théologie qu'avait relevé la Réforme et qui reste d'actualité, et qui fait que les églises de Jésus-Christ qui suivent les Réformateurs, les églises de Luther, de Calvin et des autres, ont à proclamer, répéter, prêcher : le salut par grâce. L'anathème que Paul lançait dans l'épître aux Galates, concerne uniquement ce point, essentiel pour lui. Il n'y a rien à ajouter à l'oeuvre de Dieu en Jésus Christ. La foi est suffisante. C'est l'action de l'Esprit.

Si on doit relever un message, une caractéristique de la Réforme, c'est là qu'il faut le prendre : le salut par grâce, scandale pour les uns, folie pour les autres. C'est ce que doit dire la prédication de nos églises. Et c'est cela le message de l'ensemble des églises de la Réforme, quelque soit leur étiquette, leur nom. Elles sont toutes églises de Jésus Christ, de Jésus Christ crucifié et ressuscité.

Amen.

(Philippe Cousson)

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