Poitiers, 25 mars 2001

Josué 5:10-12
2 Corinthiens 5:17-21
Luc 15:1-3,11-32

Combien de nos contemporains traînent leur passé comme un boulet, leur présent comme un fardeau et même leur avenir comme une torture. Je ne parle pas ici de ceux dont la situation matérielle pourrait justifier ce sentiment, mais de ceux dont le sentiment d'échec, de culpabilité est intérieur, motivé par l'idée qu'ils se font d'eux-mêmes, par ce qu'ils croient être les sentiments des autres à leur égard, par ce qu'ils supposent être l'état d'esprit de Dieu envers eux.
Dès qu'il y a un problème grave, catastrophe, accident, émotion collective, on envoie, ou on devrait envoyer, des psychologues pour aider tous ceux qui sont confrontés à de telles situations. Et ce secours est loin d'être négligeable. Il est même le plus souvent indispensable.

Notre église, en synode, en paroisse, discute de l'évangélisation, comme une priorité. Notre église veut que cette part de son ministère soit assumée pleinement, que son rôle d'ambassadeur de Christ soit affirmé et mis en pratique. Parce que c'est ce dont beaucoup de nos contemporains ont besoin.

Le passage d'aujourd'hui dans la seconde épître aux Corinthiens nous parle de ce sujet. Paul y explique quel est son rôle, et celui de toute l'église.

Il cherche d'abord à faire comprendre aux chrétiens, aux croyants qui sont à Corinthe, ce qu'est la vie chrétienne, ce que signifie avoir cru à l'Evangile. Ce message s'adresse aussi à nous ce matin.
Ensuite, il en donne les conséquences pour la vie parmi les hommes, en partant de son exemple, et de celui des autres porteurs de la Parole. Et ceci s'adresse aussi à nous. A nous tous, et non pas seulement aux spécialistes, professionnels ou non.

Le mot clé de ce passage, qui revient 5 fois, est le mot réconciliation. Ce mot avait dans l'Antiquité le sens du mot amnistie. Il n'est donc pas tant à comprendre comme la réconciliation de deux personnes qui se seraient fâchées puis rabibochées, ni comme la réconciliation de peuples après plusieurs guerres traumatisantes, comme la France et l'Allemagne. Il s'agirait plutôt de ce qui se passe quand un supérieur libère un subalterne d'une dette, d'une charge.

De même dans ces quelques versets, on retrouve aussi 5 fois, les noms des personnages acteurs de cette réconciliation, Dieu et Christ. Ils sont associés à cette réconciliation. Il en sont ensemble responsables.

Prenons donc ce passage. Premier verset : la nouveauté de vie. La vie que mène le chrétien est nouvelle. Elle est différente de la précédente. Elle est recréée. L'ancienne est passée. C'est un verset que nous avons souvent entendu. Mais avons-nous réalisé pleinement ce qu'il signifie ? Avons-nous compris les choses qui étaient passées ?

Cela signifie que, au moment où cette vie de croyant débute, les scories de la vie antérieure ont disparu, les fardeaux, les boulets n'ont plus à être traînés. Il y a amnistie. On repart à zéro.

Au temps de Paul, et dans les peuples des gentils, il y avait beaucoup de dieux divers et variés. Dans son discours d'Athènes Paul avait voulu se distinguer de ce fonctionnement en faisant appel à un Dieu différent. Nous avons à notre époque plutôt le problème opposé. Il n'y a plus de dieu du tout pour beaucoup de nos contemporains. Alors, être réconcilié avec ce Dieu auquel ils ne croient pas n'a pour eux pas grand intérêt. Et pourtant c'est là qu'est la clé. C'est là qu'est le commencement de la libération du boulet, du fardeau que traînent beaucoup de nos contemporains. Quand Dieu n'est plus là pour les en libérer, personne ne le peut, surtout pas eux-mêmes.
C'est la réconciliation avec Dieu, qui provoque la libération d'avec nous mêmes, et qui conduit à une réconciliation avec les hommes. Nos relations humaines, sont vécues trop souvent comme des relations de créanciers à débiteurs, ou comme des rapports de honte ou de jalousie. Le déblocage de ce verrou se trouve dans le déblocage de la relation avec Dieu. Mais nous sommes incapable d'opérer ce déblocage, ni nous, ni aucun homme, ni aucune institution humaine, y compris la meilleure église qui soit.
Cette réconciliation avec Dieu, c'est Dieu qui l'opère. L'initiative lui appartient. C'est par Christ, par la mort et la résurrection de Christ que ceci est possible. Parce que cette réconciliation avec Dieu était une nécessité. Nul n'en doute, à moins d'une prétention sans borne.
Chacun se connaît pour savoir quel était son éloignement d'avec Dieu, sa façon de l'écarter de tout ou partie de sa vie. Et ça dure peut-être encore. Et il y en a peut-être encore pour s'efforcer d'y pallier, soit en cherchant à s'améliorer, soit en cherchant à compenser, à pallier à cette situation. Mais en agissant ainsi, où est la nouveauté de vie ? Les choses anciennes ne sont pas passées, puisqu'elles conditionnent encore les choses présentes. Pour que l'ensemble soit entièrement nouveau, il faut donc que les choses passées n'interfèrent plus en rien dans la vie présente. Ou au moins sans avoir été transfigurées, réconciliées, définitivement.
Dieu n'impute pas les offenses aux hommes. Il ne tient pas compte du passé de négation, de rupture, de rejet. Il a réconcilié le monde avec lui-même.

Quand Dieu regarde un homme, il ne voit pas cet homme tel qu'il est, mais il voit Christ, celui qui n'a pas connu le péché.

Le péché c'est la relation avec Dieu rompue. La réconciliation, la justice de Dieu, c'est la relation avec Dieu rétablie.
Jésus, le Christ, a toujours été en relation avec Dieu. Jamais il n'a rompu cette relation. Mais cette relation a tout de même été rompue, à la croix. Le prix de la douleur a alors été payé par les deux, par Jésus, et par Dieu. Mais cette relation a été rétablie et manifestée à la résurrection.
La douleur de Dieu à la croix est comparable à la douleur que notre éloignement, notre refus, celui de l'humanité, lui causent. Parce que le péché, cette relation rompue avec Dieu, l'est de notre fait. C'est l'homme qui a rompu cette relation. Et de plus il n'est pas capable de la rétablir. Il lui est impossible de revenir au niveau de Dieu. Ni effort, ni prière, ni bonnes actions ne peuvent rétablir quoi que ce soit. De toutes façons une vie menée dans ce but, seraient en fait une vie vécue à partir des manquements, des erreurs. Or ce n'est pas du tout ce que Dieu propose à l'homme. Il lui dit : la réconciliation est là. La relation est rétablie. Pas d'abonnement à payer. C'est fait. C'est branché.

Alors, voilà le message que l'Eglise a à donner : Soyez réconciliés avec Dieu. Lui l'est déjà. Il vous attend. Voilà ce que chaque chrétien a à proclamer autour de lui.

Parce que, et c'est l'autre point important de ce passage, les croyants ont ce message à délivrer. Dieu leur a donné le ministère, le service de la réconciliation. Dieu a mis en nous, en chaque croyant, la parole de réconciliation. Nous sommes, tous, ses ambassadeurs. Nous avons maintenant à faire connaître cette nouveauté de vie.

Le mot utilisé pour ambassadeur est aussi utilisé pour indiquer ancien. Nous sommes tous envoyés comme ambassadeurs de la réconciliation, comme porteur du message de la vie nouvelle. Et nos anciens comme les autres, et peut-être à double titre.

"Soyez réconciliés avec Dieu." Voilà notre message, voilà la parole de réconciliation à répercuter, voilà le service de réconciliation reçu.

Dieu n'est ni celui dont on se moque par provocation, ni celui dont on a peur. Il est celui qui a tant aimé le monde. Il est, lui, déjà réconcilié. Il ne demande pas à l'homme de faire l'effort de le rejoindre. Il lui dit simplement : "Soyez réconciliés avec Dieu."

Cette vie de réconciliation avec Dieu, qui se vit aussi dans la réconciliation avec les hommes et dans le service de réconciliation est une autre vie. Elle est LA vie. Elle n'aura pas de fin, car l'amour de Dieu n'a pas de fin, et Christ est ressuscité.
Passer à côté de cette vie, et donc vivre dans la mort, c'est refuser cette réconciliation, soit en réfutant Dieu, soit en voulant le mériter, soit en pensant être définitivement déchu. Mais tout ceci n'a rien d'irrémédiable. Dieu attend, patiemment.

Et l'Eglise, et les croyants doivent être là à le dire sans cesse. Et chacun de nous aussi : "Nous vous en supplions au nom du Christ, soyez réconciliés avec Dieu."

Amen.

(Philippe Cousson)

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