Poitiers, 3 novembre 1996

Mal 2:19
1 Tes 2:1-12
Mat 23:1-12

     Jésus est maintenant à Jérusalem. Après son entrée triomphale, il parle, parle. Il a tant de choses à dire, et il sait que le temps lui est compté.

     Matthieu nous précise ici à qui il parlait alors : aux foules et à ses disciples. Ce qu'il va dire, si cela concerne les Pharisiens et les scribes, cela concerne aussi et surtout les foules et les disciples, c'est à dire ceux qui croient (ou croiront) en lui, et ceux qui les encadreront. Ce texte est un message sur le fonctionnement de l'église, en contrepoint du fonctionnement de la synagogue de son époque.

     Jésus reconnaît la fonctions des Scribes et des Pharisiens, de dire et d'expliquer la Loi de Moïse. Ils sont dans la chaise de Moïse, ils occupent la chaire de Moïse, ils sont chargés d'enseigner la Loi. Il ne leur enlève pas cette caractéristique. Il leur reproche seulement un petit rien : ils ne vivent pas en conséquence. Ils ne font pas ce qu'ils disent. D'ailleurs Jésus dit : Faites ce qu'ils disent, ne faites pas ce qu'ils font.

     Pour expliquer leur défaut, il commence par une image. Un marchand de l'époque charge un chameau, ou un dromadaire si vous préférez. Pour cela il dépose la lourde et encombrante charge sur le dos de l'animal. Il lui reste ensuite à équilibrer le colis en le poussant un peu dans un sens ou dans un autre, du doigt, de la main.

     Nos Pharisiens et Maîtres de la Loi chargent donc les hommes des lourds fardeaux des lois et coutumes du judaïsme naissant, mais ils ne font rien pour aider les hommes à les porter, à les replacer, à les arranger, à les équilibrer.

     Mais cela n'est rien. le pire est à venir. Non contents d'écraser les autres, ils se font remarquer, ils se font voir. Tout le monde doit savoir qui ils sont. Tout le monde doit leur reconnaître une prééminence, un rôle social essentiel, une primauté dans la société, les premières places dans banquets et synagogues, les salutations et compliments, les envies et admirations.

     Ils portent les phylactères, étuis de cuir contenant des textes de la Torah, que tout juif pieux portait, et porte encore aujourd'hui, mais les leurs étaient particulièrement grands. Comme Jésus, ils portent des franges attachées à leur vêtement. Rappelez-vous la femme qui touche la frange du vêtement de Jésus. Mais bien sûr, il faut que leurs franges soient plus larges.

     Alors Jésus contrebalance tout ceci, en reprenant les titres qu'ils aimaient porter. Vous, ne soyez pas comme eux. Ne vous faites pas appeler Maître (ou Rabbi), ni Père, ni Chef (ou Directeur, ou Conducteur). Vous êtes tous frères, vous n'avez qu'un seul Père, celui qui est au ciel, et un seul Chef, le Messie.

     Celui que vous devez chercher à être, c'est le serviteur. Le mot utilisé est celui qui a donné diacre, rendu aussi plus tard par ministre. C'est le serviteur de maison, celui qui sert à table. Il ne s'agit pas du mot qui veut aussi dire esclave.

     Ne cherchez donc pas à dominer mais à servir. Si vous voulez vous positionner haut, vous chuterez, mais si vous êtes modestes, à la place que vous croyez la vôtre, vous serez relevés. Ne visez pas votre place à vous, mais le service des autres.

     Voilà la communauté des ses disciples que Jésus désire, demande, une société humaine ou chacun est au service des autres, et les aide au lieu de les opprimer.

     Après ce rapide parcours du message que Jésus a voulu laisser, voici quelques points qui m'ont paru essentiels, l'image et le service.

     Nous vivons dans un monde où l'image règne, où l'image prime. Des sociétés font de la publicité, non pas pour vanter un objet, non pas pour vendre un produit, mais pour améliorer, modifier leur image. Ainsi les Maîtres de la Loi et les Pharisiens soignaient-ils leur image. Et pas n'importe laquelle, une image respectable, honorable, notable.

     Comme celui qui fait le mal préfère que cela ne se sache pas, selon l'adage : pas vu, pas pris, celui qui fait le bien doit-il le faire savoir ? Jésus n'a-t-il pas dit : A ceci, tous connaîtront que vous êtes mes disciples, et Paul n'a-t-il pas écrit : Que votre douceur soit connue de tous les hommes ?

     Le chrétien ne devrait-il pas alors se faire voir, se faire bien voir, montrer comment il vit ? Car enfin, si nous voulons que d'autres entrent en contact avec l'Evangile, nous montrer semble un moyen logique. Et pourtant, je ne crois pas que l'ostentation des vertus qui seraient chrétiennes aient une quelconque efficacité, ni une quelconque justification. Hormis, mais ce serait alors un contre exemple, la vanité.

     Vous avez sans doute entendu parler des Amish, ces mennonites américains, vivant encore presque comme il y a un siècle. Au moins vous avez peut-être vu le film "Witness". L'objectif de leur vêtement, de leur vie, est d'être "modeste", de ne pas rechercher à se faire remarquer soi même. Bien sûr, eux, on les remarque, mais pas un parmi les autres. Il me semble qu'il y a là une partie du message de l'Evangile : vivre en croyant, en disciple, "modeste", qui ne veut pas se faire remarquer en tant qu'individu, en tant que l'individu aurait des qualités plus remarquables. Non, chacun est fidèle. Sans plus. Sans plus de fioriture.

     Mais faut-il, à l'instar des moines, vivre coupés du monde, suivant un autre adage qui dit que : pour vivre heureux, vivons cachés ? Je ne le crois pas. Etre fidèle à Dieu et à l'Evangile, c'est aussi, et surtout, l'être au milieu des hommes. Non pour les épater, mais pour les servir, humblement, modestement.

     Maintenant, que ce service, humble, discret, soit remarqué, semble un peu normal, obligé. Mais cela ne devrait jamais être notre souci. S'il nous faut toujours être prêts à rendre compte de l'espérance qui est en nous, comme nous le demande Pierre, il nous faut avant tout rester des serviteurs de l'Evangile. Le Saint-Esprit souffle où il veut, et comme il veut. S'il se sert de nous et de notre image, alléluia. S'il agit autrement, sans nous ou malgré nous, alléluia aussi. De toutes façons, c'est lui qui agit, qui ouvre à l'Evangile, qui convainc de péché, c'est lui qui apporte la grâce. Certainement pas nous, aucun d'entre nous, simples hommes, simples serviteurs.

     Quand on est croyant, il ne s'agit pas de se présenter, de se dire, de se raconter, mais bien de servir, et alors ensuite, éventuellement, de présenter, de dire, de raconter Christ, l'Evangile de la grâce, Dieu le Père. La profondeur et la vérité de la foi de chacun n'a rien à voir avec ce que chacun pourrait vouloir en montrer. Elle apparaît en étant vécue, c'est tout.

     Le plus grand parmi vous doit être le serviteur. Faut-il être serviteur, avec l'idée d'être ainsi grand ? Ceci peut aussi devenir un piège à vanité. Le disciple est serviteur parce qu'il est disciple, tout simplement, et non pour devenir autre chose.

     S'adressant aux foules et aux disciples, Jésus s'adresse donc au "simple" croyant ainsi qu'à celui qui est appelé à servir la communauté. Et celui qui est responsable, en charge du troupeau, doit, lui aussi, se conduire en serviteur humble, modeste. Il a reçu du Seigneur une charge, pas une estrade. Les ministères ne sont pas des postes "en vue", des postes à piédestal. Responsables des communautés, attention à ne pas vous faire mousser : ne vous faites pas appeler : Maître, Père, Chef, ou quelque titre humain quelconque, quelque titre religieux quelconque, soyez de simples serviteurs, ministres.

     Ne cherchez pas, comme le faisaient les Pharisiens et les Maîtres de la Loi, à écraser les fidèles, les enfants de Dieu, à les enfoncer, mais cherchez bien à les encourager, à les tirer, à les libérer.

     Mais d'ailleurs, chacun, chaque croyant, chaque fidèle, est aussi serviteur de sa communauté, responsable de sa communauté, serviteur de l'Evangile et de l'Eglise entière, responsable de l'Eglise entière, chacun, qu'il soit ministre en fonction ou non.

     Quant à savoir qui sera élevé ou abaissé, là n'est pas le problème. Evitez toujours de vous élever. Dieu connaît chacun, mieux que celui-là même, mieux que les autres. Alors, servez-le, tout simplement, tout humblement, complètement.

     "Le plus grand parmi vous doit être votre serviteur. Celui qui s'élève sera abaissé, et celui qui s'abaisse sera élevé."

     Amen.

(Philippe Cousson)

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