Poitiers, 20 juillet 2003

Jérémie 23:1-6
Marc 6:30-34
Ephésiens 2:13-22

Qu'est-ce que nous sommes venus faire ici ce matin ? Il fait beau. C'est l'été. Beaucoup de nos contemporains font la grasse matinée. Pourquoi donc nous sommes-nous déplacés ? Quelle est cette obligation personnelle qui nous a poussé à nous lever, peut-être plus tôt que demain matin, à entreprendre un déplacement vers ce lieu ? Comment se fait-il que vous êtes ici ce matin à m'écouter ? Ce que je dis est-il tellement intéressant, que vous n'ayez pas voulu manquer ça ? D'ailleurs, vous ne saviez pas qui parlerait ce matin. On peut vraiment se demander qu'est-ce qui vous a mis en mouvement. Dans certaines religions, et même chez certains chrétiens, il y a des gestes, des rites, dont l'exécution est indispensable. Mais voilà, ce n'est pas le cas chez nous. Et pourtant, vous êtes là.
Vous êtes des habitués, habitants de la ville ou de son voisinage, et vous ne manquez aucun culte, ou presque. Vous êtes de passage, en vacances, et vous avez cherché où était le culte, auquel vous assistez chez vous. Il est même possible que vous ne compreniez pas tout ce que je dis, car ce n'est pas votre langue. Et vous êtes ici.
Ou alors, vous ne venez que de temps, et c'est un hasard, si le hasard existe, c'est un hasard que vous soyez ici. Et on se demande encore pourquoi.

Qu'est-ce que vous avez à gagner à venir le dimanche matin au culte ? Cela reste certainement un mystère pour beaucoup. Je ne répondrai pas complètement à cette question, elle vous appartient. Je pense que le texte de l'apôtre Paul peut fournir des éléments de réponse.

Aucune des versions que j'ai regardées ne me semble rendre la structure apparente du texte originale, celle qui le fait le mieux pourrait être celle de Darby, même si la TOB a de bonnes idées.

Dans ce texte, j'ai trouvé un certain nombre d'oppositions, de thèmes associés par deux, quelques éléments qu'on ne trouve qu'une fois, et quelques éléments récurrents. Nous verrons alors ce que nous pouvons en retirer pour nous, et aussi des éléments de réponse à ma première interrogation.

Dans le passage juste avant, et dont celui ci est logiquement la continuation, Paul parle des différences entre Juifs et Gentils, c'est à dire entre ceux qui sont sous la loi de Moïse et les païens.
Ce passage reprend donc par quatre fois l'opposition entre ce qui est deux, et ce qui est devenu un. Au verset 14, il, c'est à dire Jésus, a fait des deux un. A la fin du verset 15, des deux, il a créé en lui un homme nouveau. Au verset 16, il a réconcilié les deux en un corps. Et enfin au verset 18, les deux en un esprit.
Les deux dernières structures citées si elles n'apparaissent pas dans les traductions sont construites exactement de la même façon en grec. Elles conduiront à une autre opposition sur laquelle je reviendrai.

Autre opposition dans le même ordre d'idée, Juifs et non juifs, c'est à dire ceux qui sont proches (les Juifs) et ceux qui sont loin (les non juifs). Au verset 13, vous êtes éloignés, vous devenez proches. Au verset 17, la paix à nous les éloignés, et la paix aux proches. Au verset 19 on retrouve un peu cette même opposition, mais j'en reparlerai.

La séparation entre ce qui est loin et ce qui est proche est encore accentuée, intensifiée, parce q'y ajoute maintenant la notion d'inimitié et de paix. La paix au verset 14, l'inimitié ou la haine au début du verset 15, la paix à la fin du verset 15 et l'inimitié à la fin du verset 16, et à nouveau la paix par deux fois au verset 17.
Il est vrai qu'à notre époque on a tendance à défendre la diversité. Mais, il arrive souvent que diversité rime avec animosité, inimitié, et même conflit. Combien de terres que deux peuples ou même plus se disputent ? Combien de déchirement ? Le message chrétien de la paix est vraiment une nécessité pour l'humanité.

D'ailleurs au verset 19 Paul signale ce qui caractérise les chrétiens, et particulièrement ceux d'origine païenne, c'est à dire d'origine non juive, comme nous tous ici presque à coup sûr, c'est que nous étions des étrangers, et que nous sommes des concitoyens des saints, c'est à dire de la même cité que les croyants d'origine juive. Que nous étions à côté de la maison, mais pas dedans, et que maintenant nous sommes de la maison, de la maison de Dieu.

Si nos origines diffèrent, et elles diffèrent, non pas selon ce critère là, mais selon d'autres critères, social, professionnel, ethnique, économique, nous sommes pourtant de la même maison, nous sommes des proches. Voilà peut-être pourquoi nous nous sommes rapprochés ce matin.

Voici maintenant des paires de mots, qui apparaissent dans la structure du texte, qui ne sont pas des oppositions à proprement dit, mais qui me semblent importantes. Elles correspondent chacune à une des trois parties que j'ai trouvées dans ce texte, en m'appuyant sur les mots de liaisons du raisonnement. Au début du verset 13 : "Mais maintenant", au milieu du verset 15 "afin que", et au début du verset 19 "Ainsi donc". Trois parties donc, disons d'abord, le Christ et l'homme ancien, puis le Christ et l'homme nouveau, puis l'homme nouveau dans la maison de Dieu.

Dans la première partie, dans un parallélisme de construction on trouve au verset 13 le sang de Christ, et au verset 15 sa chair. Thème connu, n'est-il pas ? Le coeur de l'un des deux rites communs à tous les chrétiens, la cène, où sont symbolisés par le pain et le vin la chair et le sang du Seigneur. C'est sa chair, c'est son sang, qui nous rendent proches, qui nous rendent un, qui enlèvent l'inimitié, qui enlèvent les différences, comme la loi et les ordonnances.

Dans la deuxième partie du texte, voici une autre paire de thèmes : le corps et l'esprit, qui apparaissent aussi dans une structure parallèle : "les deux en un seul corps", "les deux en un seul esprit".
Jésus a détruit l'inimitié, il a fait la paix pour nous, et il a réconcilié les deux en un seul corps, avec Dieu, à Dieu ou en Dieu.
Jésus a tué l'inimitié, il nous a annoncé la paix, et a donné accès au Père, aux deux en un seul esprit.
Et, là encore, un thème bien connu, le corps et l'esprit. Le salut ne concerne pas que l'esprit, d'aucuns d'ailleurs parlent de l'âme, mais il concerne aussi le corps. Si le Christ a détruit l'inimitié et donné la paix, c'est bien aussi pour les choses matérielles, corporelles, concrètes. La religion ne concerne pas que les choses que l'on dit "spirituelles", en voulant dire coupées des réalités, intangibles, immatérielles. Elle concerne tout l'homme, quand cet homme est nouveau, renouvelé.

Car voilà maintenant un des thèmes important, qui n'apparaissent qu'une fois. Si le Christ rassemble les deux, Juifs et non-Juifs, c'est bien pour en faire un homme nouveau, qui soit citoyen d'une nouvelle cité. Et cette nouveauté vient du Christ. Comme l'unité vient du Christ. Comme la paix vient du Christ. Le centre du message chrétien reste le Christ. Si la première partie a mentionné le sang et la chair du Sauveur, au beau milieu de notre passage on trouve ce qui reste le coeur de l'Evangile, et d'où tout découle, la croix. Pas de croix, pas d'évangile, pas d'unité, pas de paix, pas de rapprochement.

On a souvent donné l'image suivante, comme celle d'un humanisme qui pourrait être chrétien : quand les hommes se rapprochent les uns des autres, ils se rapprochent de Dieu, comme s'ils suivaient les rayons d'une roue. Mais cette image ne correspond pas au message de l'Evangile. Il ne s'agit pas pour les hommes de se rapprocher, de tenter de se rapprocher, pour trouver Dieu, c'est le Christ qui est celui qui rapproche, qui détruit l'inimitié, qui donne la paix, qui réunit en un corps et un esprit, et cela par la croix, par son sang et sa chair. La seule vraie façon pour les hommes de se rapprocher, de se réconcilier, c'est de passer au pied de la croix.

Repartons sur les images de ce texte.
Dans la première partie, le Christ détruit un mur, un mur de séparation, un mur mitoyen de clôture. Et au lieu de cette construction, qu'est-ce que nous avons à la fin : une construction, une maison qui est un temple saint, une habitation de Dieu, à laquelle appartiennent les hommes nouveaux auxquels s'adresse Paul.
Le texte remplace un mur par une maison commune. Il remplace la division par la cohabitation, par la cohabitation avec Dieu.
Et le texte insiste sur cette idée de maison, car la racine grecque du mot maison, qui est restée en français dans écologie ou économie ou oecuménisme, se trouve 6 fois dans les deux derniers versets.

Et cette maison a quelques caractéristiques. J'ai dit que le texte insistait sur le rôle du Christ. Il insiste ici aussi. Jésus Christ est la pierre angulaire de cette maison, dont les hommes nouveaux sont les citoyens et aussi les pierres. La pierre angulaire, c'est la pierre principale, celle qui supporte l'ensemble, pas comme une première pierre qu'on installe en grande pompe et qu'on oublie, quand on ne l'enlève pas, mais bien celle qui est nécessaire à la construction, à sa solidité, celle qui est indispensable.

Il est dit aussi que cette maison a pour fondements, pour fondations les apôtres et les prophètes, ce que nous traduisons par l'Ancien et le Nouveau Testament. Nous n'avons plus les apôtres, nous n'avons plus les prophètes, mais nous avons ce qu'ils nous ont laissé. Notre évangile est fondé sur ce texte là. A nous de le respecter, de l'écouter, et de le mettre en pratique.

Mais attention, parce que le mur de séparation, de division, dont nous parle le verset 14 a aussi comme composantes la loi, les commandements, les ordonnances mentionnées au verset 15. Comme l'inimitié, le Seigneur les a détruits, réduits à néant, abolis, rendus caducs. Parce qu'ils ne construisaient pas la paix. Un mur de séparation peut-il construire la paix. La non-guerre, peut-être, un certain temps, mais pas la paix. Pour la paix, il faut une maison commune.

Je reviens à ma question initiale : Pourquoi êtes-vous ici ce matin ? Pourquoi suis-je ici ? Pourquoi ai-je pris du temps à préparer cette prédication ?
Parce qu'il existe une maison, une cité, dont ce bâtiment est une pâle image, à laquelle j'appartiens, à laquelle vous appartenez, de laquelle nous sommes concitoyens, parce que la paix a remplacé l'inimitié, parce que nous sommes proches, proches les uns des autres et de Dieu, parce qu'il y a eu une croix, parce qu'il y a eu la chair et le sang du crucifié, parce que nous sommes maintenant du même corps et du même esprit, parce que nous formons ce temple saint où Dieu habite, et parce que nous voulons retrouver ensemble les apôtres et les prophètes, et parce que cette unité est notre nouvelle nature. Voilà pourquoi nous sommes ici.

Il se trouve peut-être quelqu'un qui ne correspond pas à ce schéma. Quelqu'un qui est venu par curiosité, pour voir, quelqu'un qu'une question tarabuste et qui est venu chercher des réponses. Que lui dire ? Que le coeur de l'Evangile, c'est la croix. Que c'est le Christ qui sauve. Que c'est lui qui agit. Qu'il est vain de vouloir rassembler, réconcilier, construire sans lui. Qu'il est vain de vouloir se reconstruire, se rétablir, se réconcilier, sans lui. C'est à lui qu'il faut faire confiance, c'est à lui qu'il faut tout remettre.

Les païens sont ceux qui se font des dieux, qui leur construisent des maisons, des temples saints. Notre Dieu est celui qui a créé l'univers, et les hommes, et il est celui qui se construit un temple, une habitation dont nous sommes les pierres, une habitation de paix et d'unité.

Amen.

(Philippe Cousson)

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