Poitiers, 24 décembre 2006

Michée 5:1-4a
Hébreux 10:5-10
Matthieu 1:18-25

Chers frères et soeurs en Christ,

"La paix !" "Qu'on me laisse en paix !" "Qu'on me fiche la paix !"
Paroles souvent entendues, cris souvent entendus. Paroles peut-être déjà dites, paroles peut-être trop souvent dites. Mais de quelle paix s'agit-il ?

Quel est le véritable état d'esprit, ou état d'âme, de celui qui profère ce cri ? Est-ce vraiment sa paix que l'on viendrait troubler ? Est-ce que quelqu'un en paix pourrait dire ces paroles ?

J'ai plutôt tendance à penser que celui-ci qui veut qu'on le laisse tranquille ne l'est justement pas, tranquille. Qu'il n'est pas en paix celui qui veut qu'on le laisse en paix. Parce qu'on supporte mal d'être dérangé quand ça ne va pas, parce que les problèmes, les soucis, ce n'est pas ce qui facilite la communication, qui donne envie de parler. Celui qui n'est pas en paix avec lui-même n'a pas forcément envie de partager, et veut qu'on le laisse avec ses problèmes, qu'on le laisse en paix. Comme si la solution ne pouvait qu'être interne, personnelle, sûrement pas partagée, sûrement pas venir d'ailleurs. Et c'est ainsi que celui qui a des problèmes essaie de se débrouiller seul, de s'en tirer seul.

C'est vrai que s'appesantir sur son propre sort résout les problèmes, amène des solutions, éloigne du cercle vicieux du mépris de soi. Qu'on me fiche la paix, il faut que je m'en sorte seul, même si ça me paraît impossible.

Et les hommes ont depuis toujours essayé de trouver des solutions à leurs problèmes, à leurs échecs, à leurs méfaits, à leurs péchés, à leur sort.

Plusieurs exemples de ceci dans nos textes.
Joseph est fiancé. Et voilà que sa promise est enceinte ! Que faire ? Mais Joseph n'est pas mauvais homme. Situation embarrassante pour lui certes, mais aussi pour la jeune fille. Il faut trouver une solution. La séparation, la rupture, la répudiation. Et l'honneur sera sauf. Non, à ce moment-là, il n'est pas en paix, Joseph. Il dort mal. Il médite, examine la situation sous toutes les coutures. Il a trouvé cette idée de rupture, mais il n'en est pas encore satisfait. Comment pourrait-il l'être ?

Autre cas, dans l'épître aux Hébreux, le culte auquel ne prend pas plaisir Dieu, comme dit Esaïe, est lui aussi une solution qui permet aux hommes de se tirer d'une situation, d'un état par une action, par des gestes, par des rites, comptabilisables.
Les hommes, les gens du peuple, tous pensent que c'est en appliquant des règles, des pratiques rituelles, que les péchés, les échecs, les erreurs, les ratages, le malheur, peuvent être effacés. Mais Dieu fait dire ici, qu'il ne veut pas de ces sacrifices, de ces holocaustes, de ces offrandes pour le péché. Ceci n'est pas la volonté de Dieu. C'est simplement ajouter l'échec à l'échec.
Mais pourtant, on trouve ceci dans la loi, n'est-ce pas ? Tout un tas de rites sont codifiés, indiqués, prescrits. Mais quel est donc leur sens ?

Ceci pose d'ailleurs un autre problème, qui est celui de la Révélation. Dieu a choisi de s'adresser aux hommes en utilisant d'autres hommes. Il a choisi une méthode faite de récits, où des hommes racontent à d'autres hommes comment Dieu leur a parlé. Il me semble qu'il faut chercher dans ce qui nous reste de cette communication de Dieu, ce que Dieu a voulu dire à chaque époque, et ce qu'il veut nous dire à notre époque. Il faut pour cela essayer de penser comment pensaient les contemporains de ceux auxquels il parlait, comment pensaient les contemporains de ceux qui ont rapporté et noté ces choses.

Or, le message de Dieu est et est toujours resté un message de libération, de libération déjà opérée. Tout ce qui est prescrit ne l'est pas, comme cela l'était aux époques antiques, pour une action immédiate et simultanée, pour un effet magique, mais pour indiquer, pour rappeler le salut de Dieu, la libération de Dieu. Mais le peuple a continué à penser que ces rites étaient la condition sine qua non du salut, une nécessité à cause du péché. En fait il a continué à raisonner comme ses contemporains, comme tous les peuples alentours, avec leur dieux et leurs rites.

Alors Dieu a voulu aller plus loin pour montrer, pour démontrer son salut, son amour, pour faire sortir les hommes de la voie sans issue où ils se sétaient engagés, ajoutant péché à péché, échec à échec, erreur à erreur. Il a choisi de venir, de s'incarner.

Deux fois, l'épître aux Hébreux nous témoigne de la pensée de Dieu : Voici, je viens. C'est par cet autre lui-même que nous appelons Fils, qu'il s'est incarné, celui qui a reçu les noms de Jésus, c'est à dire Sauveur, mais aussi de Emmanuel, Dieu avec nous. Ce n'est pas rien : Dieu avec nous. Il n'est pas lointain, Dieu, il n'est pas parti, il n'est pas absent. Il ne se désintéresse pas du tout de l'humanité, ni de chacun des hommes.

Dieu n'a pas voulu que l'homme, qu'il aime, reste en tête à tête avec lui-même à ressasser ses problèmes, à sacrifier des sacrifices inutiles, à échouer dans la correction de ses échecs. Il est venu. Il s'est offert. Il s'est présenté. Ce qu'il a apporté, c'est lui-même. "Il s'est amené".

Il a choisi l'incarnation, il a choisi de donner un corps à son oint pour vivre la vie des hommes, pour que les hommes ne disent plus de Dieu qu'il ne s'intéresse pas à eux. Et le Christ est avec nous pour faire la volonté de Dieu. Pour savoir où est cette volonté, il nous faut regarder la vie que Jésus a vécue.

Beaucoup de théologiens, depuis Paul ou les Pères de l'Eglise ont essayé d'expliquer cette bonne nouvelle du salut de Dieu. Il ont utilisé des images qui parlaient à leurs contemporains, qui peuvent aussi nous parler. Mais par la suite ce qu'ils ont dit a été accumulé pour construire des systèmes parfois complexes, qui n'éclaircissent pas forcément plus la volonté de Dieu, ni n'aident à comprendre ce qu'il veut.

Dieu avec nous, Emmanuel, Jésus le Christ, est venu dans un corps. Et il est venu ainsi en offrande, c'est à dire qu'il a été apporté, présenté. Il manifeste ainsi l'amour de Dieu, il le rend concret, réel. Il a vécu dans la fidélité et dans l'amour et a supporté toutes les erreurs, tous les péchés des hommes, au point d'être mort sur la croix. Parce qu'en fait, quel aurait pu être le cri des hommes qui l'ont cloué, sinon : fiche-nous la paix ! Et combien de fois n'avons-nous pas souhaité que Dieu nous laisse, nous fiche la paix ? Combien de fois ne l'avons-nous pas cloué à cette croix, nous aussi ?
Et pourtant son amour reste, son salut est toujours là.
Mais nous voulons autre chose. Nous visons autre chose. Nous calculons autrement. Nous calculons avec nous. Et c'est là notre erreur. C'est là notre péché. C'est la mauvaise cible. Nous ratons ainsi la bonne cible. C'est ça le péché.

Par son obéissance, par sa vie d'amour, par ce salut qu'il apporte, nous sommes sanctifiés, renouvelés. La cible de notre vie a changé. Nos objectifs sont ailleurs. Et l'incarnation de Dieu se poursuit alors dans nos vies. Nous savons que nos péchés sont pardonnés. Nous marchons vers un but autre que notre satisfaction, et nous recevons alors paradoxalement la paix, celle que nous n'arrivions jamais à atteindre par nous-mêmes.

Il a fallu à Joseph la visite de l'ange pour comprendre que Dieu venait de s'immiscer dans sa vie, dans sa vie de couple et dans sa vie personnelle, et par là dans celle de l'humanité de façon charnelle. Et c'est en paix qu'il a pris Marie chez lui et qu'ils ont attendus l'enfant.

Je conclurai par les trois mots qui terminent le passage retenu du prophète Michée. D'abord, une remarque sur le découpage en versets. Ce passage est le début soit du verset 5, soit du verset 4 suivant les traductions. Je serais d'ailleurs curieux de savoir les explications données sur cette variante du découpage. Je soupçonne des ciseaux chrétiens.
Pour ce qui est de la traduction, elle peut beaucoup varier, mais le plus souvent, je soupçonne aussi un regard volontairement chrétien. Vehayah zéh shalom. Mot à mot : il sera - ceci - paix. Beaucoup traduisent en interprétant qu'il s'agit du Messie qui donc sera la paix, ou apportera la paix, ou des tournures semblables. Je n'ai trouvé que Chouraqui pour traduire : Et ce sera la paix. Je trouve cette traduction moins tirée par les cheveux que les autres.

Parce qu'enfin, c'est bien quand il est venu, quand Dieu est venu parmi nous, après qu'un petit enfant soit né, qu'un enfant, puis un homme ait vécu notre vie, sans avoir manqué la cible, qu'il soit mort de cette obéissance à la volonté de Dieu étant devenu cible du péché des hommes, c'est bien par cette incarnation qu'est à nouveau possible la paix, qu'est à nouveau manifesté la paix. Et pas la paix que l'on crie, mais la paix que l'on vit, pas la paix que l'on réclame, mais la paix que l'on donne, pas la paix trop lointaine mais la paix intérieure, la paix de l'amour, la paix du pardon.

Et ce sera la paix ! Jésus est venu. Et c'est la paix, pour qui la reçoit, simplement.

Amen.

(Philippe Cousson)

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