Poitiers, 4 août 1991 

Exo 16:1-18
Eph 4:17-24
Jn 6:24-35
Psa 119:113-120

  "Pour ce pain que tu nous donne ..." Il vous est déjà arrivé à presque tous de chanter ce petit refrain avant de manger.

  Je vais essayer de faire le tour de ce qu'évoque le mot "Pain". Il véhicule tout un tas d'images, de connotations, tant d'expressions l'utilisent. Puis nous nous intéresserons à Jésus-Christ, pain de vie. Je terminerai par un autre aspect de l'universalité du pain.

  Le dictionnaire nous apprend, si nous ne le savions pas déjà, que le pain est formé de farine, d'eau et de sel. Que cet ensemble subit trois opérations, le pétrissage, la fermentation et la cuisson. Mais le pain à l'origine contenait aussi d'autres ingrédients, ce qui en faisait un aliment complet, et non pas seulement un accompagnement, comme chez nous maintenant.

  Un accompagnement, mais indispensable ! Ne dit-on pas "long comme un jour sans pain". J'espère que ce ne sera pas le cas de mes propos de ce matin. Nous autres français ne pouvons imaginer un jour, un repas, qui ne serait accompagné de pain. Il est pour nous encore plus indispensable que du fromage, ou même pour certains du vin : Du pain, du vin, et du...

  Qu'est-ce que le bon pain ? A quoi le bon pain vous fait-il penser ? A une odeur ? Au bruit de la croûte qui craque sous la lame du couteau ? A la chaleur que la mie dégage encore et qui fait légèrement fondre le beurre du matin ? Peut-être aussi à la vitesse à laquelle la baguette fraîche, ou chaude si vous préférez, à la vitesse à laquelle elle disparaît ? Du pain moins frais, même s'il reste bon, est consommé moins vite. C'est d'ailleurs peut-être meilleur pour la santé ?

  Tiens ! A propos, c'est un grand débat : le pain est-il bon pour la santé ? Faut-il en manger, combien, et lequel ? Je n'entrerai pas dans cette dispute de spécialistes. On le sait, il existe des pains de régime, sans sel, sans gluten, etc.

  Il n'en reste pas moins qu'on dit toujours "gagner son pain". Et je crois que ceux que le malheur du chômage frappe comprennent pleinement cette expression. Dans l'expression "gagner son pain", il y a à la fois la sueur qui coule du front, et l'honneur de celui qui pourvoit aux besoins des siens.

  Vous, nous, qui pour l'instant gagnons notre pain, n'oublions jamais que nous mangeons, comme on dit, notre "pain blanc". Personne n'est sûr de l'avenir, personne ne peut garantir que les aléas de la vie l'épargneront toujours. Le pain que nous mangeons peut être pour l'instant frais, mais n'oublions jamais que ce pain peut rassir.

  N'oublions pas non plus, si nous sommes dans la situation privilégiée de celui qui a du pain, que l'homme ne vit pas de pain seulement, que cette nourriture qui passe, qui rassit, qui sèche ou qui pourrit, ne peut pas satisfaire l'ensemble des besoins humains, qu'un autre pain, qu'une autre nourriture est pour la vie éternelle.

  Dans ce passage de l'Evangile, Jésus se présente comme étant le pain venu du ciel, le pain de vie, cette nourriture spirituelle différente.

  Le pain venu du ciel était une allusion transparente pour les juifs qui constituaient l'auditoire de Jésus, une allusion à la manne que Dieu a fourni pendant 40 ans dans le désert. Ce pain-là, Dieu le fournissait, sans que l'homme ait besoin d'y travailler, chaque jour la bonne quantité pour chacun, pour la journée, sans qu'il soit possible de capitaliser. Si Dieu pourvoit chaque jour, il est alors absurde de vouloir emmagasiner pour plus tard, puisque Dieu pourvoira également le lendemain, avec la notable exception du Sabbat. La veille, le vendredi, il était possible de ramasser pour deux jours, et la manne se conservait, parce que le samedi (le jour du Sabbat) il n'y en avait pas.

  Que nous dit encore le Christ, que celui qui vient à lui n'aura plus jamais faim, ni jamais soif. Est-ce à dire que la gorge et l'estomac seront toujours satisfaits ? Là n'est pas son propos. Il dit simplement que comme la manne dans le désert, il donnera à celui qui se tourne vers lui, chaque jour, la nourriture spirituelle dont il aura besoin. Que son être, son esprit seront en paix, et même, il dit ailleurs que la vie spirituelle débordera, et coulera comme un fleuve.

  Jésus-Christ, né à Bethléem, c'est à dire la "maison du pain", a juste avant de mourir partagé le pain du dernier souper. Ce pain qu'il a multiplié pour la foule, il l'a distribué aux disciples. Et même il a dit, ce pain c'est mon corps, mon corps qui va souffrir sur la croix, et auquel je vous appelle à prendre part. Rappelez-vous en le partageant.

  Au moment où nous partageons le pain de la cène, au moment où il est rompu, nous nous rappelons bien sûr de son sacrifice sur la croix. Mais comprenons-nous aussi qu'il nous appelle à rompre notre pain à nous, notre pain matériel aussi bien que notre pain spirituel, à rompre notre pain et à le partager, à le distribuer. Ce pain de vie qu'il est, lui Jésus, ce pain venu du ciel qu'il nous communique, nous devons nous aussi le partager, le faire partager. Cette vie spirituelle n'est pas un apanage à conserver pieusement et à défendre âprement, c'est surtout une invitation à transmettre, un trésor à partager, un amour à distribuer.

  Cette vie spirituelle, qui par nature est tournée vers l'extérieur, est semblable au pain. Elle est à la fois, et surtout, le fruit de la grâce de Dieu, et aussi le résultat de l'action humaine. Dieu donne à l'homme la plante, qu'il cultive, améliore, récolte, moud ; Dieu donne aussi l'eau, le sel, le ferment, et l'homme pétrit, et prépare le pain qu'il fait cuire et qu'il offre à manger.

  Il reste encore un point qui me semble important. Je reviens d'un congrès espérantiste chrétien en Suède. Le pain s'il est quasi universel, varie énormément dans sa forme et dans sa préparation. Il ne se mange ni au même moment, ni de la même façon. Notre baguette, notre pain de 2, sont bien à nous. Inutile d'en chercher sur des tables étrangères. Et leur pain, même s'il ressemble à notre pain de mie, ou s'il est cassant, ou s'il est sans levain, ou s'il est fabriqué avec d'autres céréales, riz ou maïs, s'il contient d'autres ingrédients, épices, fruits, le pain des autres n'est-il pas tout de même aussi du pain. Le pain que nos frères catholiques mangent à l'eucharistie, n'est-il pas une autre forme du pain de la Cène.

  Jésus est le pain de vie, le pain venu du ciel, la véritable nourriture spirituelle. Oui mais voilà, les chrétiens sont différents. Ils ne sortent pas tous du même moule. Ils n'ont pas la même histoire, même s'ils ont le même sauveur. Et Jésus est le pain de vie, le pain qu'il faut pour chacun, et ce, jour après jour. Alors comprenons que de même que les pains diffèrent d'une culture à l'autre, l'image de Jésus-Christ puisse aussi différer, que Dieu puisse se révéler à chaque croyant d'une manière dont Lui, Dieu, est le maître, et comprenons que ce n'est pas à nous de le critiquer lui, s'il laisse à d'autres une recette du Pain de Vie, qui ne soit celle que nous connaissons.

  Mais, non plus, ne considérons pas que ce que nous croyons soit relatif. La Vérité, même si elle présente des faces différentes, reste la Vérité. Restons donc dans ce que Dieu nous a donné de connaître de Lui, en acceptant qu'il s'adresse à chacun différemment.

  Jésus-Christ est la véritable nourriture spirituelle, le Pain de Vie. Il est le pain, dont chacun a besoin. Il est le pain qui correspond au besoin de chacun. Et celui qui vient à lui n'aura plus jamais faim.

  Amen.

(Philippe Cousson)

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