Poitiers, 3 mai 2009

Exode 5:1-7:7

Chers frères et soeurs,

Je poursuis avec vous mon étude des conversations avec Dieu qui nous sont rapportées dans le texte biblique.

Dans ces presque trois chapitres on trouve la poursuite du dialogue que Dieu entretient avec Moïse. Cette partie trouve sa place entre l'épisode précédent du buisson ardent et les dix plaies.

Comme je vais surtout m'intéresser au dialogue direct rapporté par le texte, je vais d'abord présenter rapidement les autres parties de ce passage.

Les 21 premiers versets nous rapportent la première rencontre de Moïse et Aaron avec le Pharaon et les conséquences de cette rencontre, c'est à dire qu'au lieu de laisser aller le peuple, le Pharaon impose au peuple d'Israël des corvées encore plus difficiles, et que les chefs du peuple s'en plaignent à Moïse.

Après un premier dialogue avec Dieu, Moïse présente au peuple les paroles de l'Eternel, paroles que le peuple ne veut pas écouter.

A l'intérieur du dialogue suivant est insérée une généalogie qui va de Jacob à Moïse et Aaron.

On trouve à la fin une petite conclusion et une transition vers l'épisode du bâton d'Aaron transformé en serpent, puis les dix plaies.

Mais revenons à ce qui nous concerne ce matin, le dialogue entre Dieu et Moïse.

Moïse vient de vivre un échec. Sa tentative s'est révélée être une catastrophe pour le peuple.

Alors, il se retourne vers Dieu, et il lui adresse un reproche effondré.
Ou même, en faisant sans doute un contresens de traduction, une erreur grossière, mais la tentation est trop forte. Il s'asseoit tourné vers Dieu. Ce qui lui arrive lui coupe les jambes, l'asseoit. Il n'en peut déjà plus et adresse sa plainte à Dieu du style : Je te l'avais bien dit. Je m'en doutais. Cela ne pouvait pas se passer autrement.

Pourquoi ? Pourquoi ? Le même mot utilisé par Jésus sur la croix : Lama.
Il ne cherche pas vraiment la raison. Il ne comprend pas. Il aurait de beaucoup préféré que cela marche, et on passe à autre chose.
Mais voilà. Le peuple souffre. Et c'est aussi un peu de sa faute à lui, même s'il ne le dit pas directement. Qu'est-ce qu'il est allé faire à aller provoquer le Pharaon. Il aurait sans doute mieux fait de rester sagement à Madian. Mais Dieu a su être persuasif. Apparemment à tord.
Qu'est-ce qu'il a fait ? Qu'est-ce qu'il fait là ? Il est bien allé voir le Pharaon, et voilà le résultat ! Le peuple a mal, il se le reproche peut-être, il le reproche à Dieu, puis au Pharaon. En fait il reproche à Dieu de ne pas avoir donné la délivrance promise.

Il faut noter dans ce dialogue une évolution de vocabulaire dans la désignation du peuple. Moïse commence en disant : "ce peuple", puis il passe à "ton peuple", puis à la suite de Dieu, il passe à "les enfants d'Israël".

"Tu n'as pas délivré TON peuple". Un peu comme un des parents qui parle à l'autre des frasques de "TON fils", même si c'est le fils des deux. L'amertume de Moïse est grande. Qu'est-ce qu'il fait dans cette galère ?

Dieu lui réponds : Tu verras.
Ne te fies pas à ce que tu voies maintenant. Ecoute ce que je te dis, aies confiance. Tu verras. Tu verras une main puissante. N'en reste pas à tes impressions actuelles, n'en reste pas aux apparences.

Dieu alors rappelle qui il est. Il redonne son nom : Je suis l'Eternel, 5 fois dans ce dialogue.

Il rappelle l'alliance avec Abraham, Isaac et Jacob, la promesse faite aux patriarches. Il promet la délivrance à ce peuple qui souffre. Il faut aussi noter qu'il ne justifie pas la souffrance du peuple. Il ne s'agit pas d'une quelconque punition, d'une quelconque épreuve. Il annonce simplement la délivrance du peuple au nom de la promesse faite aux patriarches. Simplement mais fermement.

Il donne mission à Moïse de transmettre ce rappel de l'alliance et cette promesse de délivrance au peuple, aux enfants d'Israël.
Je vous prendrai pour peuple, je serai votre Dieu. C'est moi l'Eternel qui vous libérerai.

Mais voilà le peuple n'écoute pas.

Alors quand Moïse reçoit aussi l'ordre de parler avec le Pharaon, à nouveau, il conteste le moyen. C'est parole contre parole. Moïse parle à Dieu.
Les enfants d'Israël, puisque tu les nommes ainsi, les enfants d'Israël ne m'ont pas écouté. Alors le Pharaon ne m'écoutera pas non plus.

Important le choix de ce verbe écouter.
C'est le même verbe que l'on trouve dans la prière juive tirée de l'Exode, que nous chantons aussi en hébreu : Ecoute Israël, le Seigneur est notre Dieu, le Seigneur est un, Shma Israël, Adonai Elohenou, Adonai Ehad.

Un autre mot, qui répond à celui-là est aussi important dans ce passage, même s'il apparaît moins souvent en traduction française : parler ou parole, davar. C'est un mot dont le sens est très large. C'est la parole, c'est la chose. C'est le mot qui correspond au grec Logos. Dieu parle. Moïse est chargé de parler, de porter la parole. J'y reviendrai.

Mais voilà que Moïse ressort un argument déjà utilisé par lui au buisson ardent. "Je n'ai pas la parole facile" dit la traduction que j'ai lue. Mais l'original est plus imagé : "Je suis incirconcis des lèvres". Je ne suis pas propre au service de Dieu. Je suis donc tellement handicapé que Pharaon non plus ne m'écoutera pas.
Ici pas de braise porté à ses lèvres, mais un ordre de Dieu, net : Parle à Pharaon tout ce que je te dis. Porte ma parole.

Et viens alors un verset un peu énigmatique, qui a beaucoup gêné les traducteurs, mais dont j'apprécies la traduction que j'ai utilisée : Vois, je te fais dieu pour Pharaon, et Aaron ton frère sera ton prophète. J'y reviendrai aussi.

Puis il continue : Tu parleras tout ce que je t'ordonnerai, et Aaron ton frère parlera.

Tous les miracles et les signes que je ferai seront insuffisants pour Pharaon, mais la délivrance viendra. C'est toi, et Aaron qui porterez ma parole, mais c'est ma main que j'étendrai sur l'Egypte, et j'en ferai sortir le enfants d'Israël.

Je te fais dieu pour Pharaon. Ou encore : je te donne dieu pour Pharaon.

Alors les traducteurs ont voulu compléter : je te fais comme dieu, je te fais un dieu, je t'ai donné pour dieu, je t'ai fais ambassadeur, je t'investis d'une autorité divine. Et pourtant, pas de mot pour réduire. Je te donnes, je te fais, je te places dieu pour Pharaon, à Pharaon.

Nous nous trouvons bien ici dans un cas d'incarnation. Pas d'une incarnation totale, plénière, pas non plus d'un avatar. Mais tout de même.
C'est la première fois que Dieu se place parmi les humains, qu'il choisit cette façon d'intervenir. Nous l'avons vu, il a déjà dialogué avec des hommes. Mais ici il va plus loin. C'est déjà une figure de la véritable incarnation qui viendra en Jésus-Christ.

En fait, Moïse est dieu en ce qu'il est porteur de la parole de Dieu. Tu parleras tout ce que je t'ordonnerai. Alors il est dieu, non pas un dieu, non pas comme Dieu, non pas ambassadeur de Dieu, mais dieu, en tant qu'il porte la parole de Dieu. Pour Pharaon, il est celui qui parle la parole de Dieu, il est dieu. D'ailleurs sur mon texte écrit, j'ai des hésitations quant à la majuscule.

Pour le peuple d'Israël, le message est un message de délivrance, ce n'est pas un message de condamnation. Dieu, tel qu'il se présente au peuple, est le Dieu des promesses et de la délivrance annoncée, il est aussi le Dieu de l'histoire, le Dieu des patriarches.
Il faut noter que Dieu ne dis pas à Moïse qu'il est dieu quand il s'adresse à son peuple. Uniquement quand il porte la parole à Pharaon, pour Pharaon.

Ce passage raconte un épisode avant l'existence du texte écrit de la révélation, puisqu'il en est une partie. Mais ce texte écrit est lui aussi porteur de la Parole divine. Il est aussi d'une certaine manière une incarnation de Dieu. Comme Dieu a risqué de se placer par Moïse face à Pharaon, il a risqué de se placer dans des mots humains, dans un livre, pour se révéler aux hommes. Il s'est aussi incarné dans cette Parole qui est parvenu jusqu'à nous. Mais pour saisir correctement cette Parole, pour qu'elle soit pour nous ce qu'elle est, il a fallu l'Esprit Saint aux écrivains et rédacteurs, aux copieurs et traducteurs, et il nous faut aussi l'Esprit pour la comprendre et la transmettre.

Mais, pour aller plus loin, Dieu n'as pas choisi de manifester directement aux hommes, de s'imposer aux hommes, il a choisi de passer par des témoins, par des porteurs de sa Parole. Porteurs qui se savent imparfaits, mais porteurs qui devraient, en s'appuyant sur l'Esprit et sur les Ecritures, savoir qu'ils sont porteurs de Parole, qu'ils sont aussi, quand il parlent tout ce qui est ordonné, la présence de Dieu même, qu'ils sont aussi dieu pour celui qui est en face.

Alors, notre responsabilité est grande. Resterons nous à nous abriter derrière l'incirconcision de nos lèvres, derrière l'imperfection de notre témoignage, derrière notre méconnaissance des Ecritures, pour refuser d'être ces témoins que Dieu a choisi d'utiliser.

Il nous reste donc à nous mettre à l'écoute de l'Esprit, celui dont il est dit qu'il placera les mots à dire dans notre bouche, nous mettre à l'écoute et à l'étude des Ecritures qui portent aussi la Parole de Dieu, qui portent aussi Dieu, en nous mettant aussi au bénéfice critique et lucide de ceux qui nous ont précédés, en communion les uns avec les autres. Parce que nous sommes tous et chacun, collectivement et individuellement des porteurs de cette Parole, dès que nous nous plaçons nous mêmes sous l'autorité du Dieu que nous représentons et qui a choisi de se manifester ainsi pour transmettre son message d'amour et de délivrance.

L'histoire des relations de Dieu avec les hommes est devenue l'histoire du salut à cause des hommes. Dieu a voulu parler aux hommes. Il a chercher le contact avec des hommes qui le fuyaient, le refusaient. Il a dû envoyer des messagers porter sa Parole, être sa Parole, il a cristallisé cette Parole dans les Ecritures, il a envoyé son Fils, l'incarnation véritable et complète, et il continue d'utiliser le témoignage de ceux qui sont ses rachetés, ses adoptés.

Mais il nous a promis son Esprit, il nous ordonnera la Parole à dire. C'est un Dieu de délivrance, et pas seulement au temps de l'Exode. Ecoutons-le.

Amen.

(Philippe Cousson)

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