Poitiers, 4 juin 2000

Actes 1:15-26
1 Jean 4:11-16
Jean 17:11-19

C'est la guerre des mondes !
Parce que le monde et nous, nous n'avons pas les mêmes valeurs !
Et non, les chrétiens ne sont pas dans le monde comme des poissons dans l'eau !

Essayons donc ensemble de comprendre un peu ce passage, si souvent lu, si souvent interprété, une sorte de testament de Jésus.
On retrouve tout au long de cette partie de discours trois personnages : Jésus, le Père, et les disciples, et un lieu-personnage, le monde.
Jésus va quitter le monde pour rejoindre son Père. Les disciples sont dans le monde, et y restent. Ils ont reçu la parole, qui est la vérité, et ils sont envoyés.

Les chrétiens dans le monde, voilà un sujet dont on a beaucoup parlé. La présence des chrétiens dans le monde, la présence de l'Eglise au monde. Entre le moine ermite qui se retire du monde, et le chrétien, voire le prêtre, qui participe au gouvernement, quel fossé de compréhension et d'action !

Mais enfin, de quel monde parlons-nous ? De quel monde ne sommes-nous pas tout nous y trouvant ?
La notion de monde a varié suivant les philosophies et les cultures. Le mot grec utilisé, kosmos, signifie ce qui est ordonné, agencé, organisé, et donc par extension ce que nous comprenons comme monde, univers, cosmos. En hébreu ancien, il n'y a même pas de mot pour ça. Quand on insiste sur le rôle de Dieu, on parle de la Création, comme l'ensemble de ce qui a été créé. Ce qui fait que dans les trois grandes religions monothéistes, judaïsme, christianisme et islam, le monde est quelque chose de disctinct du créateur, de distinct de Dieu. Ce qui n'est pas le cas des philosophies orientales, où on peut quasiment dire que Dieu est le tout, que chaque partie est un élément de ce tout, et où le monde n'est donc pas distinct de la divinité. Ces idées sont souvent reprises dans des philosophies modernes qui tournent autour du Nouvel Age.
De quel monde les disciples ne sont-ils pas, tout en s'y trouvant ? Manifestement, notre monde matériel, physique, celui que nos sens appréhendent. Celui que les hommes habitent, peuplent, gèrent et exploitent. Celui qui est habité, empli de leur valeurs, de leurs espoirs, de leurs motivations, de leurs mythes, de leurs cultures. Les disciples vivent dans ce monde. Il sont entourés par ce monde, par ses habitants, par son esprit, par l'esprit de ce monde. Et l'habitant, ils en sont ausi dépendants. Dépendants, mais non soumis, parce qu'ils en sont gardés. Parce qu'ils ont besoin d'en être gardés, car en étant étrangers. Ils ne sont pas de ce monde, parce que l'esprit qui les meut n'est pas l'esprit de ce monde, c'est l'esprit de Dieu, c'est sa parole de vérité, celle qui les sanctifie, qui les met à part.

Mais alors, puisqu'ils ne sont pas du monde, faut-il qu'ils s'en désinteressent ? Dieu se désinteresse-t-il du monde ? Que nenni ! Rappelez-vous Jean 3:16 : Car Dieu a tant aimé le monde... D'ailleurs Il envoie ses disciples dans le monde. S'il s'en désinteressait, pourquoi le ferait-il ?

Notre monde est création de Dieu. L'humanité est création de Dieu. Et Dieu vit que cela était très bon.
Alors, est-il juste de dire que Dieu conduit le monde ? Est-il juste de dire que Dieu conduit l'histoire ? Que faire de la liberté laissée aux hommes ? Nous savons ce qu'ils en ont fait, et ce qu'ils en font encore, avec toutes les conséquences. Nous connaissons tous la rébellion des hommes envers Dieu, le refus d'écouter, bref, le péché. C'est quelque chose que chacun de nous connait. Y aurait-il un "sens de l'histoire", comme le disent les marxistes ? Vers le progrès de l'humanité, bien entendu ! Le péché peut-il conduire au progès ? Il faut en convenir, même si cela peut heurter, mais notre monde est bien conduit, avec ses valeurs actuelles, non par le Prince de la Paix, mais par le Prince de ce monde : A l'éden : Vous serez comme des dieux. Devant la tour de babel : Faisons-nous un nom. Etc etc.
Alors, face à ce que les hommes ont fait de leur liberté, Dieu ne cesse d'intervenir dans l'histoire. S'il lui arrive d'intervenir de manière exceptionnelle, il le fait surtout en envoyant des hommes. Depuis Noé, Abraham, Moïse, David, les prophètes et d'autres avant d'envoyer son Fils, jusqu'aux apôtres et à ceux qui leur ont succédé depuis. Et en fait, pour bon nombre de "progrès" de l'humanité, si on cherche l'étincelle qui les ont déclenchés, on trouve des disciples, des croyants, qui en témoins de la parole de vérité, ont perturbé l'ordre établi du monde organisé hors de Dieu.

Les disciples sont donc envoyés dans le monde. S'ils sont dans le monde, c'est qu'ils y sont envoyés. Mais pour quoi faire ? Seraient-ils des élus qui devraient diriger le monde, le conduire, car ils connaissent la vérité ? Nous savons tous que telle n'est pas leur mission. Peut-être simplement parce qu'ils ne sont pas du monde. Il n'y a sans doute pas de meilleur moyen de se conformer au monde que de vouloir le diriger.
Les disciples sont-ils envoyés dans le monde pour servir le monde ? Ont-ils à se mettre au service du monde, de son fonctionnement, de ses principes, de ses lois "naturelles" ? Vous comprendrez que ma réponse est non. Il ne s'agit pas non plus d'apporter aux hommes ce qu'ils souhaitent pour eux-mêmes. Tout ceci ne serait que se conformer au monde et à ses exigences.
Bien souvent, l'engagement des disciples rencontre l'engagement de quelques hommes. Il se trouve des points communs, qu'il ne faut pas négliger, sur lesquels il faut s'appuyer. Mais il ne s'agit surtout pas de se soumettre, d'entrer dans un système qui serait basé sur des considérations uniquement humaines, sur des principes du monde. Partir des problèmes du monde comme le fait la théologie de la libération est légitime. Mais à condition que le fondement reste la parole de vérité, que le fondement reste la grâce, que le fondement reste Dieu.
Le service des disciples, le service de l'Eglise peut être appelé service des hommes, mais uniquement s'il ne s'appuie pas sur la logique du monde, s'il est partage de la grâce. C'est un service des hommes qui doit savoir dire : Non ! C'est un service qui doit être prophétique. Il doit soulager et avertir, soigner et prévenir.
Les disciples sont envoyés dans le monde comme des témoins de Dieu, des témoins de Dieu dans le monde, devant le monde. Si ce témoignage est fait de sanctification, de mise à part, s'il est conduit par la parole de Vérité, il se manifeste en paroles et en actes, pas en paroles seules, pas en actes seuls, mais en paroles et en actes. Bien sûr que ce témoignage, lorsqu'il est manifesté en actes, est un service aux hommes, mais conduit par la parole de vérité, pas par la demande des hommes. Il est des situations où l'homme crie à Dieu, et les disciples refuseraient d'être dans ces cas les témoins de l'amour de Dieu...?

Mais Dieu a aussi un cri envers l'humanité. Mais la plupart du temps, celle-ce refuse de l'entendre. Et voilà pourquoi le monde a de la haine pour ceux qui porte cet appel de Dieu. La parole que Dieu destine à l'homme est rejetée par lui. Il lui préfère les ténèbres. Mais Dieu aime l'homme. Alors il répète son message, insiste. Dieu est un Dieu qui espère, non pas en l'homme tel qu'il est, mais en l'homme tel qu'il serait s'il se laissait transformer par la parole et le salut.
Le simple fait de la présence, de la parole, des actes des disciples est pour le monde une provocation. Ce sont des anormaux, des asociaux, qui vivent hors de la logique, hors du système généralement admis. Leur simple existence est déjà une mise en cause du système.

Ou devrais-je plutôt dire devrait l'être. Apparaissons-nous comme les enpêcheurs de tourner en rond ? Où en est notre témoignage en parole et en actes ? Où en est notre prise de conscience de notre mission, de notre envoi ? Est-ce que nous nous considérons comme des envoyés de Dieu, que nous sommes ?
Les clés nous sont données dans les trois derniers versets de ce passage. Avec l'envoi, Jésus demande la sanctification de ses disciples. Sanctifier, c'est mettre à part. le péché nous a tous atteint, nous atteint tous. Mais la grâce est là. Nous n'avons plus à vivre avec ce poids. Il nous faut maintenant, et la grâce nous le permet, nous tourner vers Dieu et vivre son amour. La sanctification n'est pas instantanée. Elle est un phénomène évolutif, où le plus grand rôle est joué par le Saint Esprit. Quand on y réfléchit, il est possible de mesurer le travail qu'il a accompli en nous, mais aussi de mesurer le chemin qui reste à parcourir.
Pourquoi cette sanctification, cette mise à part, par le moyen de la vérité, de la parole ? Mais bien parce que nous sommes envoyés dans le monde. Si Dieu a tant aimé le monde qu'il a donné son Fils, il l'aime encore, et nous envoie porter ce message d'amour, de grâce.
La relation que Dieu veut établir avec chaque homme, et avec l'humanité, n'est pas une relation de jugement, de condamnation, mais une relation de grâce, d'amour. La vérité de Dieu, si elle apporte la lumière et révèle bien des choses, n'est pas là pour condamner, mais pour donner la vie. Et la mort est là, et la haine est là, quand cette lumière est refusée, quand la grâce est refusée, quand l'amour est refusé.

Et pourtant, nous sommes mis à part et envoyés pour être les témoins de cet amour.

Amen.

(Philippe Cousson)

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