Poitiers, 15 août 2010

Luc 1:39-56

Chers frères et soeurs,

le 15 août, jour férié, fête catholique, s'il en est. La tentation protestante est de parler d'autre chose. Et même, en Poitou rural, il y a quelques temps, les protestants prenaient un malin plaisir à travailler ostensiblement les jours de fête catholique quand elle ne tombait pas un dimanche, des jours du style 15 août ou Toussaint. Un vieil atavisme qui reste toujours un peu.

Et pourtant, je vais vous entretenir ce matin de Marie, de ce qu'en dit le Nouveau Testament, parce que c'est ce que nous pouvons en dire, nous autres protestants, n'est-ce pas ?

Le prénom de Marie était un prénom très répandu en Palestine à cette époque. Il suffit pour s'en convaincre de lister les Marie des Evangiles, par exemple la célèbre Marie de Magadala, dont on a d'ailleurs beaucoup glosé ces dernières années.

De Marie, la mère de Jésus, le Nouveau Testament parle peu, et uniquement dans les Evangiles et un peu dans les Actes : les évangiles de la naissance et de l'enfance, en notant bien que deux évangiles seulement en proposent un récit, la noce de Cana, sa famille qui veut voir Jésus ("Voilà qui sont ma mère et mes frères !"), la chambre haute après la résurrection, et c'est tout ! C'est bien peu quand on pense à ce qui s'est fait et écrit par la suite.

Nous allons tracer un peu une sorte de profil de Marie :
Une jeune fille, une jeune femme, déjà promise en mariage. La vie est devant elle. Une vie comme la vivait la plupart des femmes de l'époque l'attend. Mais, il se passe quelque chose de particulier.
Elle est choisie par Dieu, sans raison apparente, et elle accepte. Je dis bien sans raison apparente. Nulle part le choix de Dieu n'est argumenté.
Elle élève ce fils particulier, ainsi que d'autres enfants d'ailleurs comme nous le précisent les textes évangéliques. Vie ordinaire ou presque.
Et puis, attitude curieuse, dans l'épisode de Cana, que nous rapporte l'Evangile de Jean, elle le lance, dirait-on aujourd'hui : "Faites ce qu'il vous dira". Et le ministère de Jésus démarre. Ce ministère qui l'éloignera d'elle.
Et puis c'est l'épisode de la croix, mère au pied du lieu de supplice de son fils, lieu de torture pour une mère. Et là, elle est confiée à l'un des disciples, celui que Jésus aimait, que la tradition assimile à l'évangéliste Jean.
On la retrouve dans la chambre haute après la résurrection et on peut raisonnablement le supposer à la Pentecôte, disciple parmi les disciples, sans rang particulier, sans prééminence.
Et le Nouveau Testament, c'est à dire le Saint Esprit et l'Eglise Primitive, ont jugé que cela suffisait. Nous avons avec cela assez pour comprendre ce que cette personnalité peut avoir à nous dire de Dieu, du salut, et de son témoignage.

La tradition nous dit, sous toutes réserves, qu'elle aurait fini sa vie avec Jean à Ephèse. On ne sait rien de sa mort.

Pour résumer, elle a physiquement porté Jésus, reconnu comme Fils de Dieu, Christ, et sauveur. Elle est ensuite devenue témoin parmi les disciples, l'une de ceux-ci, touchée par l'Esprit comme les autres.
On pourrait même dire qu'elle a vécu une anticipation de ce que tout croyant vit : elle a porté le Fils de Dieu, comme tout croyant devient le temple du Saint Esprit. "Ce n'est plus moi qui vit, c'est Christ qui vit en moi" a écrit Paul.

Je vais maintenant m'attacher au cantique de Marie, tel qu'il nous est rapporté, en essayant de trouver ce qui nous y est dit de Marie, mais aussi de Dieu, et même de nous.

De fait ce texte est un patchwork de passages, de petits morceaux, de l'Ancien Testament, dans leur version grecque. C'est presque un calque du cantique de Anne, la future mère de Samuel, quand l'ange lui dit qu'elle sera enfin mère, elle qu'on disait stérile. Pourtant, un élément frappant est ici manquant, qui apparaît bien dans le premier livre de Samuel : ce cri de revanche, de victoire.
Je rappelle que ni Marc, ni Jean n'ont jugé utile de rapporter la naissance et l'enfance de Jésus. Les personnages de Joseph et surtout de Marie n'ont donc dans ces évangiles pas la même aura.

Je vous ferai grâce de la totalité des citations des références des passages de l'Ancien Testament cités dans ce chant. Je reprendrai quelques éléments significatifs.

Marie présente Dieu comme son sauveur. Elle a donc besoin de Dieu comme d'un sauveur, elle a donc besoin du salut, comme tout autre être humain ordinaire, ce qu'elle est en fait.

L'ensemble du passage est une louange à Dieu, comme nous ne savons peut-être plus en faire. L'auteur connaît bien sa Bible, et s'en sert.

Il faut noter que toutes les actions de Dieu qui sont citées ici sont au passé. C'est un rappel de ce que Dieu a fait, comme un témoignage historique. Alors que dans le chant de Anne, la mère de Samuel, les actions de Dieu sont au présent. Pour Marie, la louange ne concerne pas un Dieu qui fait, ou un Dieu qui fera, mais un Dieu qui a fait. C'est ce qu'il a fait qui le décrit. Rappelons nous simplement du début des dix paroles : "Je suis le Seigneur ton Dieu, qui t'a fait sortir du pays d'Egypte".

La fin du verset 49 nous rappelle que son nom est saint, mais le verset d'origine est un peu plus long. Il se trouve dans le psaume 111, verset 9 : "son nom est saint et redoutable". Nous voyons que l'auteur ne retient pas le mot "redoutable", parce que, dans la situation de Marie, comme d'ailleurs dans toute la suite du Nouveau Testament, ce caractère de redoutable n'est pas l'essentiel de la nature de Dieu. Il est celui qui aime le monde, et la crainte de Dieu n'est pas celle d'un Dieu redoutable, mais celle d'un Dieu aimant.

Par contre le verset 50 reprend complètement la première partie du verset 17 du psaume 103 : la miséricorde, ou la bienveillance, du Seigneur sur tous ceux qui le craignent. Comme le disent les Musulmans, particulièrement ces jours ci, Dieu est le miséricordieux. Puissent-ils tous en être convaincus. Puissions-nous tous en être convaincus.

Sur le verset suivant, on peut relever une différence avec le psaume 89 au verset 11. Le psaume parle de la dispersion des ennemis, alors que le Magnificat nous parle de la dispersion des orgueilleux. Ce n'est pas vraiment la même chose. On commence là à approcher quelque chose d'essentiel dans la personnalité de Marie.

Anne chantait : le Seigneur élève et abaisse. Ici, le chant de Marie est plus explicite : Il a renversé les puissants, et il a élevé les humbles. Il ne s'agit pas de dire simplement que Dieu est celui qui élève et qui abaisse. Il est celui qui relève. Il est celui pour qui l'humilité est une valeur essentielle.

Il faut noter que si Marie est décrite comme humble, ses consoeurs dans des situations comparables, Anne, Agar ou Léa sont elles humiliées. Marie n'est pas humiliée, elle est humble. Ce n'est pas la même chose.

Et c'est là, je crois, que nous touchons à une qualité essentielle de Marie : son humilité. Cette humilité n'est pas surfaite : du style : "voyez comme je suis humble !" Elle est véritable, sincère, véridique.

Et cette humilité restera chez elle, autant que nous pouvons le savoir.
Et c'est peut-être cette caractéristique qui la rend exceptionnelle, même si elle ne se voit pas ainsi.

Ce qui n'est pas toujours notre cas. En la voyant telle qu'elle nous est décrite, nous réalisons que le chemin de la sanctification est encore long, et que le Saint Esprit a encore du travail.

Cette Marie que le Nouveau Testament nous présente par quelques textes est une femme de foi, d'espérance et d'amour : de foi en son Dieu, qu'elle décrit comme son sauveur, d'espérance dans les paroles qu'elle entend et accepte, et d'amour pour ce fils qu'elle va élever, puis perdre pour être comme nous à la fin sauvée par lui.

Elle est aussi une femme de souffrance. On peut imaginer ce qu'a été sa vie durant l'errance de ce fils si particulier et déroutant, ce qu'elle devenue à sa mort, et puis sa métamorphose à la résurrection et après la Pentecôte.

Cette femme a accueilli la présence de Dieu, plus que ne l'avait fait même Moïse. Moïse devait cacher son visage après avoir vu Dieu. Marie ne s'est pas cachée quand elle portait ce fils, puis quand elle le suivait de près et de loin, parce qu'elle n'avait pas besoin de se cacher pour rester discrète.

Elle était avant tout une femme humble, dont on dira du bien, plus tard. Mais elle ne parle pas d'elle, elle parle de Dieu, du Tout Puissant, du Saint, de son sauveur.

Dans notre louange, où est notre humilité ? Où est la miséricorde de Dieu ? Dans notre témoignage, où est notre humilité ? Où est la miséricorde de Dieu ? Notre joie est-elle en lui ?

Amen.

(Philippe Cousson)

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