Poitiers, 19 février 2006

Esaïe 43:18-25
2 Corinthiens 1:18-22
Marc 2:1-12

Chers frères et soeurs,

J'ai retenu ce matin parmi les textes proposés, les deux textes de Marc et d'Esaïe.Il n'est pas question de guérison dans le passage d'Esaïe. Il n'est pas question de culte ou de liturgie dans celui de Marc. Quoique...

Mais il est question dans les deux du pardon des péchés.
En quoi cela peut-il être intéressant de réfléchir ensemble sur le pardon des péchés. Cela fait doucement sourire ceux qui, soit par hasard, soit de notre fait, en entendent parler. On ne parle plus de cela aujourd'hui. Et pourtant...

En fait, de quoi est-il question dans ces deux textes : de guérison, de pardon, oui certes, mais pas seulement. Mais pas principalement.
Il est d'abord question de nouveau départ, de nouvelle vie.

Que nous présente Marc ? Un homme, paralysé, cloué sur son lit, son grabat, son brancard. Il ne peut se déplacer sans ses amis.
Beaucoup aimeraient en avoir des amis comme cela, des amis prêts à vous balader, à vous aider, à vous conduire.
C'est bien d'avoir de tels amis, mais dépendre d'eux, ce n'est pas vraiment la liberté.
Donc Marc nous présente un homme retenu par son lit.

Et Esaïe ? Il nous présente un peuple coupé de sa terre, un peuple qui ressasse son passé, ses échecs, un peuple qui n'arrive pas à s'en défaire.

Je vais d'abord reprendre le récit de Marc.

Jésus est à Capernaüm. Il est "à la maison". Il est entouré d'une foule, tellement importante que la maison n'y suffit pas. Il y a des gens dehors. Et Jésus leur annonçait "la parole". Que leur disait-il ? Nous ne le savons pas. Mais pour Marc, le discours de Jésus ici n'est pas le plus important.
Il y a donc beaucoup de monde, et l'accès à Jésus est rendu difficile, et même impossible pour un grabataire. Alors l'ingéniosité de ses amis, et leur dévouement, sont tels qu'ils n'hésitent pas à gravir la maison, et à en percer le toit. Ils font ensuite descendre le lit de leur ami par ce trou. Je ne suis pas sûr que le propriétaire de la maison ait été vraiment content de cette initiative. Jésus, lui, apprécie. Il reconnaît, il identifie la foi des 4 amis. Pas la foi du paralysé, mais bien la foi des amis.

Et c'est alors que la situation devient quelque peu surréaliste. Jésus semble dérailler. Il part ailleurs. C'est d'ailleurs ce que relève immédiatement les scribes qui sont présents. Car voyez-vous, il y a des scribes parmi ceux qui écoutent Jésus, qui écoutent cette parole qu'il annonce. Mais là, tout de même, il commence à déraisonner.

Au lieu de guérir le paralysé, Marc nous rapporte cette parole incongrue : Tes péchés sont pardonnés.
Là, on peut avoir deux attitudes. Une attitude moderne, pragmatique qui serait : Les péchés pardonnés, la belle affaire, si le paralysé reste paralysé. Parce que même s'il est pardonné, ses amis devront continuer à le porter. En fait, sa vie pratique ne sera guère modifiée.
Et puis, l'attitude théologique, conservatrice, des scribes, de ceux qui connaissent la loi : Mais enfin, qu'est-ce qu'il dit. Pardonner les péchés, il n'y a que Dieu qui puisse faire cela. Peu concernés par le paralysé et sa situation, il le sont par la façon de se situer dans la révélation de Dieu.

Mais Jésus va répondre aux deux réactions. En attendant, nous allons regarder de plus près le texte du prophète Esaïe. Faisons donc une pause. Un petit brin d'explication.

Ce passage est enchâssé entre deux usages du verbe "se souvenir". Voilà donc un point important pour saisir ce texte. Et en fait, d'ailleurs, il s'agit plutôt de ne pas se souvenir.

Verset 18 : comme souvent dans ce passage, le texte utilise des formules doubles avec des quasi synonymes : les choses anciennes, c'est à dire soit premières, soit antiques, il ne faut pas s'en souvenir, il ne faut pas les analyser avec l'intelligence.

Et pourquoi ça ? Parce que Dieu fait une chose nouvelle. Une chose qu'il nous faudra connaître. Il est dit aussi, et cela rappellera quelque chose au groupe d'étude biblique : cette chose nouvelle germera. C'est bien le même mot qui est utilisé aussi par le prophète Zacharie. Et d'ailleurs; vous pouvez constater que plus loin on retrouve d'autres mots utilisés par Zacharie : le roseau aromatique et l'encens.

Cette chose nouvelle que Dieu fait, qui va germer, elle touche le désert, le lieu désolé. Encore des structures dédoublées. Et répétées au verset suivant avec une petite variante : Quand le verset 19 place un chemin dans le désert, le verset suivant y place des eaux. Des eaux qui se joignent aux rivières des lieux désolés pour abreuver le peuple, le peuple de Dieu, celui qu'il a choisi.
Et entre les doubles éléments presque répétés se trouve une incise, dont on peut se demander ce qu'elle fait là : les animaux des champs, chacals et filles de l'autruche qui rendent gloire à Dieu.

Parce qu'en fait, si on continue la lecture, on constate assez vite, que si le peuple est le peuple élu, il passe assez nettement à côté de son élection : il devait raconter la louange de Dieu, mais, comme on le voit dans la suite, il n'a pas rendu le culte demandé : pas d'invocation, pas d'holocauste, pas de sacrifice, pas d'offrande, pas d'encens, pas de roseau aromatique. Heureusement qu'il y a les bêtes des champs pour glorifier Dieu et lui rendre un culte.

Et s'il n'y avait que ça ! En plus, le peuple a asservi Dieu par ses péchés, l'a fatigué par ses iniquités. On dit souvent, et avec raison, que le péché asservit celui qui le pratique, Mais ici, c'est Dieu qui est asservi, fatigué par le péché du peuple. Ces expressions peuvent sembler fortes. Pourtant rappelons nous ce qu'il arrive à des parents de dire à leurs enfants désobéissants : "Tu me fatigues". Le peuple fatigue Dieu.

Et c'est alors que le prophète présente cette nouveauté que le peuple va connaître, qui va germer : Dieu efface les transgressions, il ne se souvient pas des péchés. Et il est important de souligner deux choses : D'abord, c'est Dieu qui efface, qui ne se souvient pas. Il répète : C'est moi, c'est moi. Et puis, c'est à cause de moi, pour l'amour de moi, selon les traductions. En fait et en résumé. Le peuple n'y est pour rien. Il n'a rien fait pour et il ne l'aurait non plus pas fait pour quelque chose. Le pardon des péchés vient de Dieu, va à Dieu.
Ce peuple désobéissant, négligeant, ce peuple est pardonné, pardonné par son Dieu, par lui seul.

Revenons au texte de Marc. Cette déclaration de Jésus était effectivement, pour qui connaît les Ecritures, une provocation, un blasphème. Des mots entendus récemment. Tout le monde sait que Dieu seul pardonne.

Il faut bien sûr noter que Jésus ne relève pas ce point. Marc veut ainsi, en omettant de donner une réponse à la remarque intérieure des scribes, bien indiquer qu'effectivement Jésus est Dieu. Et qu'il est donc légitime qu'il pardonne les péchés.

Et c'est d'une autre manière que Marc choisit de fournir une réponse. Jésus déplace le problème. Si je ne peux pas pardonner les péchés, se pourrait-il que je puisse guérir. Jugez vous-mêmes ce qui relève de l'action divine.

Au début, je disais que Marc ne dit rien de la parole qu'annonce Jésus. Il ne cite que deux paroles au paralytique. Je crois que c'est ici qu'il faut chercher la parole qu'annonce Jésus.
"Tes péchés sont pardonnés", et puis "Lève-toi, prends ton lit et va dans ta maison."

Il est là l'évangile de ce texte, la bonne nouvelle, la parole à annoncer. Celui qui était empêché de vivre, qui était cloué sur son lit, et qui était aussi même si on n'en parle pas empêtré dans son péché, celui-là repart vers la vie, dans la vie, libéré de son péché, libéré de son handicap. Il repart vers sa maison, tout seul, autonome, libéré. Son passé de paralysé est maintenant du passé. Une vie nouvelle l'attend. De même que le peuple d'Israël doit laisser son passé derrière lui pour se tourner vers le salut que lui offre son Dieu.

Mais j'oublie un détail, qui relie pourtant les deux textes, et que l'on aurait pu facilement passer sous silence. Le récit de Marc se termine par une louange pour Dieu, pas pour Jésus mais pour Dieu. Le peuple qui a vu ce prodige glorifie Dieu. C'est aussi ce que Dieu attend de son peuple comme l'affirme le prophète.

Quelques uns pourraient se dire que Dieu est bien humain, à vouloir qu'on lui rende hommage, louange, gloire. Et pourtant c'est ainsi. Et c'est ce que nous faisons tous les dimanches. Et pour nous c'est justifié, parce que nous le pensons, parce que nous savons ce que nous lui devons, parce que nous savons que nos péchés sont pardonnés, que les choses anciennes sont passées, et qu'il nous a permis de repartir.

Peut-être quelqu'un est-il venu ce matin avec beaucoup de choses à traîner derrière lui, des tas de choses dont il n'arrive pas à se défaire, qui le handicapent, qui l'empêchent de vivre. La parole que nous annonçons est simple. Dieu est celui qui pardonne, qui permet de repartir à zéro. Dieu leur dit : "Ne vous souvenez pas des choses anciennes", "c'est moi qui pardonne les transgressions". Inutile de chercher quelque chose à sacrifier pour cela, ni de trouver du roseau aromatique. C'est Dieu qui pardonne, qui pardonne et guérit. La vie est là, ouverte, dans la présence de Dieu. Il est celui qui pardonne et accompagne.

Le paralysé avait 4 amis, qui l'ont accompagné vers Jésus, à la rencontre de Jésus. On ne nous parle plus d'eux ensuite.
Et pourtant ils sont importants, ces amis. C'est de leur foi dont parle Jésus. De qui sommes-nous les amis, pour les accompagner à la rencontre de Jésus ? Où sont nos amis ? Les avons-nous jamais accompagnés sur le chemin de la vie, sur le chemin de celui qui est la vie ? Avons-nous jamais escaladé pour eux des maisons, avons nous percé pour eux des toits, les avons-nous présentés à notre Seigneur dans la prière ? N'aurions-nous pas trop souvent fait comme les scribes trop de théologie et pas assez de portage ? Ou bien pensons-nous que la rencontre avec le Sauveur soit secondaire, accessoire ? Pourtant le salut que donne Jésus est total, complet, physique et spirituel, il pardonne et guérit.

Alors, mes amis, mes frères et soeurs, sachons reconnaître ceux qui sont autour de nous, ceux sont grabataires de la vie, ceux qui sont empêtrés dans les antiquités de leur vie, et sachons les accompagner à la rencontre de celui qui nous a délivrés, et dont l'amour nous permet de vivre et de chanter la gloire de Dieu.

Amen

(Philippe Cousson)

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