Marc 9:38-48
Chers frères et soeurs
Nous
voici aujourd’hui face à un texte qui semble rassembler
des paroles éparses, ce qui est sans doute le cas d’ailleurs,
et qui se termine par une citation du prophète Esaïe, que
certains manuscrits plus récents répètent. Mais
ce n’est pas par hasard si ces textes ont été
rassemblés ici.
Jésus
après avoir annoncé ce qui l’attend, est déjà
sur le départ et le chapitre suivant indique qu’il va en
Judée. S’agissait-il de placer des éléments
laissés de côté, ou y a-t-il une intention de la
part de l’auteur-compilateur. Je le crois, même si
l’unité ne saute pas aux yeux.
Je présenterai d’abord quelques éléments trouvés dans ce texte, des points de détail apparemment mais qui éclairent un peu mieux cet ensemble et puis nous chercherons ce qu’il peut nous dire aujourd’hui pour notre vie de disciple du Christ.
“En
mon nom” : expression déjà rencontrée dans
le passage précédent. Accueillir celui qui ressemble à
un enfant au nom de Christ, c’est accueillir quelqu’un
qui appartient à Christ, c’est accueillir Christ
lui-même. Dans les versets d’aujourd’hui on trouve
encore cette formule, par trois fois, avec une variante à
chaque fois. Entre le verset 38 et le verset 39, c’est la
préposition qui change. Dans la bouche des disciples, celui
qui chasse les démons dans le nom de Jésus n’est
pas qualifié pour cela parce qu’il n’est pas avec
eux. Vous noterez qu’en français, bizarrement “en
ton nom” devient “au nom de Jésus” et pas
“dans le nom de Jésus”. Les disciples pensent
détenir la légitimité, le copyright du nom de
Jésus, la marque déposée.
Mais,
la réponse de Jésus utilise une autre préposition
: “sur mon nom”, en s’appuyant sur mon nom, et
c’est en s’appuyant sur le nom de Jésus que cet
homme fait un miracle. Le brevet est libre. En tous cas pour
l’instant, puisque l’épisode de Paul à
Chypre montre que ça ne marche pas toujours.
La
troisième occurrence n’apparaît pas dans nos
traduction. C’est au verset 41 : on pourrait traduire
approximativement : “au nom de ce que vous êtes à
Christ”. Vous portez, vous porterez le nom de Christ et c’est
pour ce nom qu’on vous donnera à boire, un verre d’eau,
au nom de cette appartenance.
Je reviens sur le mot que Jésus utilise dans le récit et qui est généralement traduit par “miracle”. Le texte ne parle pas comme souvent de “signe” mais ici d’”acte de puissance”. Et c’est un mot de la même famille, comme en français d’ailleurs, qu’il utilise pour décrire ce qui n’est pas susceptible de se passer ensuite : celui qui vient de faire un acte de puissance sur le nom de Jésus ne pourra pas, n’aura pas la puissance, le pouvoir, de parler mal de lui. D’ailleurs, le pouvoir, la puissance sont donnés par Dieu.
Dans la remarque de Jean et dans la réponse de Jésus on trouve le même mot : “empêcher”. Ce mot contient l’idée de lier, un peu comme si les disciples voulaient lier les mains à cet exorciste qui ne les suit pas. Ils veulent le rendre impuissant, incapable d’agir. Mais Jésus dit : “ne l’empêchez pas”, c’est à dire “ne le liez pas”, ne l’”entravez pas”.
Quatre fois on trouve le mot de scandale, qui est en général traduit par “causer la chute” ou “faire trébucher”. Certaines traductions interprètent alors en disant “pousser à mal agir” ou même “faire tomber dans le péché”. Sont concernés une fois “ces petits les croyants” et pour les autres fois “toi”. Bien sûr ceci nous rappelle l’épître de Paul aux Romains qui nous parle de l’attitude face aux “faibles” qu’il ne faut pas faire chuter.
Autre élément curieux et qui n’apparaît pas dans nos traductions : aux quatre scandales répond quatre fois l’expression “il est bon pour lui” ou “il est bon pour toi”, avec le même mot qu’utilise la traduction grecque des Septante pour le “Dieu vit que cela était bon” du récit de la création de Genèse 1.
Pour ces quatre scandales, on trouve des destinations alternatives, fastes et néfastes : entrer dans la vie ou entrer dans le royaume de Dieu, d’un côté, et être jeté dans la mer ou dans la géhenne. Ces trois mentions de la géhenne sont les seules de l’évangile de Marc. La géhenne, c’était ce dépôt d’ordures à côté de Jérusalem qui brûlait sans cesse, sans doute avec une mauvaise odeur, et qui servait d’illustration pour l’enfer. Le passage cité d’Esaïe est pris comme une description de cet endroit, comme une image inversée du monde nouveau.
A part celui qui a des problèmes avec une main et qui s’en va dans la géhenne, les autres y sont jetés. Mais on trouve aussi ce mot de “jeter” à deux autre endroits de ce passage et que les traductions ne montrent pas : les démons ne sont pas “chassés” par l’exorciste du début, mais ils sont “jetés dehors”, de même que l’oeil dangereux du dernier scandale.
Dimanche
dernier, Jésus demandait d’accueillir, ici il parle de
“jeter dehors”.
Mais,
“jeter dehors”, éloigner de soi, de l’autre,
est-ce si négatif ?
Ce
texte nous propose une opposition de comportements qui est pour nous
une leçon à retenir que je formulerai de deux façons
:
empêcher,
lier d’un côté et libérer, désaltérer
de l’autre,
et
puis relever, accueillir d’un côté et faire
trébucher, faire tomber de l’autre.
Celui qui jette les démons dehors est un libérateur. Il délivre d’une oppression, d’une obsession, de la même façon d’ailleurs que celui qui jette au loin l’oeil mauvais.
Avons-nous une attitude de libérateur ou une attitude d’empêcheur ? Notre comportement relève-t-il ou bien fait-il tomber ?
Parmi ces petits que l’on peut faire chuter, il y a sans doute aussi cet exorciste qui était un libérateur, sur le nom de Jésus. S’il n’est pas avec nous, il est peut-être avec lui. Pour imaginer la gravité d’une telle attitude, Jésus la compare avec le sort de celui qu’on jette à la mer avec une meule d’âne, dit le texte, ces meules de pierre qu’un âne fait rouler sur le grain en tournant autour d’un poteau. Faire trébucher, faire chuter un des ces petits qui croit, c’est grave, grave à ce point. Evitons de juger, d’empêcher celui qui ne suit pas Jésus à notre manière.
Chacun de nous connaît ses propres démons, ceux qui nous entraînent où nous ne voudrions pas aller, ceux qui nous lient, ceux qui nous font trébucher, ceux qui nous empêchent d’avancer. Je ne veux pas en proposer une liste, chacun connaît bien les siens, et la tentation existe de les nier ou de les soigner. Mais Jésus est celui qui veut les jeter dehors, au loin. Il place à côté de nous des personnes pour nous en délivrer. Laissons-nous approcher, laissons nous être délivrés. Même et surtout si nous pensons que ce doit être simple, il faut un acte de puissance de la part de Dieu pour ces démons soient jetés dehors, au loin. Que chacun reconnaisse, identifie ces démons-là, et s’en remette à notre Seigneur, au Christ.
Peut-être que l’aide viendra d’un verre d’eau reçu. Peut-être que ce sera le signe que nous ne sommes pas oubliés et que ce verre d’eau noiera le démon en nous désaltérant. Un verre d’eau, ce n’est pas grand chose. Ce n’est rien comparé à la mer, mais c’est quelque chose qui encourage, qui relève, au lieu de faire tomber. Quel est celui ou celle à qui j’ai donné ce verre d’eau ? A qui est-ce que je ne l’ai pas donné ? Quel est celui à qui je l’ai refusé ?
Et ma main ? A quoi sert ma main ? Est-elle au service d’un ou l’autre de mes démons ? Est-elle cette occasion de chute ? Qu’est-ce que ma main prend ? Qu’est-ce qu’elle fait ? Est-ce qu’elle m’aide à entrer dans la vie, ou est-ce qu’elle me conduit dans la géhenne ? Ma main, est-elle ce qui m’entrave ou ce qui me délivre et délivre aussi autour de moi ? Ma main est-elle ce qui relève, ce qui relève ces petits qui croient ? Est-elle ce qui jette les démons au loin ? Est-elle ce qui empêche, ce qui entrave les autres ? Chacun sait ce que sa main fait. Laissons nos mains être délivrées, libérées, déliées, relevées par le Seigneur. Laissons nos frères et soeurs nous donner la main, nous tenir la main, pour avancer, pour aller non pas dans la géhenne, mais bien dans la vie, la vraie, celle que Jésus nous donne, lui le Vivant.
Et mon pied, où est-ce qu’il me mène ? Où est-ce que je vais avec lui ? Est-ce qu’il me permet de marcher ou est-ce qu’il me fait tomber ? Dans quelle direction mon pas me conduit-il ? Est-ce que justement ce ne serait pas mon pied qui me rend infirme, infirme pour aller où le Seigneur voudrait que j’aille, pour aller à la rencontre de celui qu’il voudrait que je rencontre, un peu comme Jonas qui ne voulait pas aller à Ninive ? J’ai moi aussi besoin d’être libéré de l’entrave de ce pied spirituel qui ne fonctionne pas bien. L’aide d’un frère, d’une soeur peut permettre cette délivrance, me donner cet élan qui me permettra d’entrer dans la vie et d’y accompagner aussi d’autres. Celui dont le pied trébuche peut facilement tomber dans la géhenne si personne n’est là, si celui qui pourrait nous soutenir, nous rattraper en est empêché. Notre délivrance passe par la délivrance des autres, mais elle est aussi leur délivrance.
Mon oeil, est-il fou ? Que choisit-il de regarder ? Vers où s’attarde-t-il ? N’est-il pas lui aussi un de ses démons qui nous assaille, ou bien est-il à son service ? Il y a autour de nous tant de choses qui frappent le regard, qui suscitent la convoitise. Notre regard est si facilement attiré ailleurs que sur le chemin qu’il est alors facile de trébucher. Chacun sait vers où il vaut mieux éviter de maintenir son regard au risque de l’éblouissement, de la fascination. Au lieu de rester focalisé ainsi, il vaut mieux jeter notre regard au loin, au dehors, et ainsi chasser ce démon qui souhaite s’installer, un peu comme des oiseaux s’installent dans les branches d’un arbre parce qu’on ne les chasse pas. Il nous faut regarder en direction du Royaume de Dieu. Pour y entrer, c’est là qu’il faut regarder. Nous avons besoin que notre regard soit libéré.
La citation d’Esaïe décrit assez bien ce que, malgré leurs promesses, nos démons nous donneront. Un ver, ou une larve qui n’a pas de fin, pas de but, un feu qui ne s’éteint pas. Pas d’accomplissement, pas d’espérance, la brûlure de l’insatisfaction en permanence.
Alors, jettons-les dehors ! Libérons nos mains, nos pieds, nos yeux ! Offrons ces verres d’eau et marchons avec Jésus sur ce chemin qui l’a conduit vers notre salut. Réjouissons-nous de ceux qui aussi délivrent et servent au nom du Christ, même s’il ne sont pas avec nous, et faisons de même.
Amen.