Poitiers (Beaulieu), 20 septembre 2015

Marc 9:30-37

Chers frères et soeurs,

que nous soyons ou ayons été enseignants ou étudiants ou les deux, nous avons quelques idées sur la bonne façon d’enseigner, de transmettre un message.

Nous avons affaire ici à un maître et à des disciples dans une tradition à la fois juive et antique. Ce qui n’est pas forcément la façon indienne ou chinoise, ni notre façon contemporaine.

Jésus nous fait ici une démonstration. Jésus ou plutôt le ou les auteurs de ce texte. Et apparemment le succès n’est pas là tout de suite. Les disciples ne comprennent rien, ne posent pas de question et sont muets après une question pressante de Jésus. Alors, celui-ci met en scène le message.

D’ailleurs, il n’y a pas que cette image de Jésus avec l’enfant que Jésus met devant tout le monde. Ce texte est un peu comme une bande dessinée.

D’abord, il y a cette traversée de la Galilée en cachette qu’on peut imaginer dans des chemins creux, un peu comme les déplacements des huguenots et des prédicants à l’époque des dragonnades. Et c’est dans ces circonstances que Jésus leur répète son annonce de sa Passion prochaine, alors qu’il se dirige maintenant vers Jérusalem après avoir exercé son ministère en Galilée et sur les terres païennes alentour.
Mais la méthode confidentielle ne semble pas efficace. Les disciples ne comprennent vraiment rien à rien. Et en plus, ils ne posent aucune question. Est-ce que la réponse de Jésus à la remarque de Pierre il y a quelque temps les a refroidis ? En tous cas, il y a problème de communication, de transmission.

Image suivante : Ils sont en chemin vers Capernaüm (ou Capharnaüm). Jésus marche sans doute devant, en tous cas à part d’eux. Et eux sont en train de discuter, de discuter intensément, de se disputer, tout en marchant. Ce devait être très important pour eux.

Image suivante : Ils sont dans la maison. Et là, Jésus les interroge. C’est une question ou une réprimande ? On ne sait pas. D’habitude dans les groupe de rabbis et de disciples, ce sont les disciples qui posent les questions. Mais, ici, c’est Jésus. Et le texte laisse entendre que Jésus savait la réponse mais qu’il voulait leur entendre la dire. Et penauds, ils sont silencieux. La question que Jésus leur a posée leur fait comprendre l’énormité de leur débats. Ils en ont maintenant honte. Mais durant les minutes précédentes c’était important. Et puis l’attitude de Jésus rétablit la bonne échelle de valeurs.

Voilà maintenant l’image classique de Jésus avec l’enfant. Voyons un peu ce que ce geste-parole peut vouloir dire. C’est une méthode qu’utilisaient par les prophètes.

Voyons les mots utilisés par le texte : premier, dernier, serviteur, accueillir, envoyer.

Notez bien que Jésus a modifié le mot que le texte attribue aux apôtres : le premier au lieu du plus grand. Ce n’est pas la même chose. Effectivement, à Qumran, un classement parmi les membres était de coutume tous les ans. Voulaient-ils faire de même ?
En tous cas, Jésus veut renverser la perspective. “Qui est le plus digne ?” est une question indigne de disciples de Jésus.
En fait la réponse de Jésus a deux facettes. Celui qui veut être premier, qu’il soit le dernier et le serviteur de tous. Servir au lieu d’être servi. C’est ce que Jésus a montré tout le long de son ministère. Mais aussi, et surtout, et c’est le sens premier que veut donner Jésus à son geste. Ce qu’il faut faire pour être un disciple, un grand disciple, c’est accueillir. Et pour montrer le sens de cet accueil, Jésus montre un enfant. A l’époque, l’enfant n’avait pas le statut de quasi-roi qu’il a aujourd’hui. L’enfant était une personne mineure, dépendante, sans voix au chapitre, juste au-dessus de l’esclave, exclu de toute décision, marginalisée. Et Jésus demande d’accueillir justement de telles personnes. Et il affirme alors que c’est lui-même qui est accueilli, et encore plus, que c’est son Père qui est accueilli.
On trouve aussi une expression qu’il ne faut pas comprendre de travers : “en mon nom”. Il ne s’agit pas de vouloir agir comme si nous étions Jésus, comme si nous portions un badge avec “au nom de Jésus” ou comme si nous prétendions détenir une légitimité ou une puissance qui viendrait de lui. Cela signifie simplement, et ce n’est pas rien, qu’ils sont accueillis parce qu’ils appartiennent à Jésus, ceux que nous accueillons. Jésus, ainsi que son Père, les aime, ceux qu’ils nous faut accueillir, quelque soit leur statut, même marginaux, même exclus.

Dans le texte de l’évangile de Marc, chaque annonce de la Passion de Jésus est suivie d’un enseignement. Voilà donc celui d’aujourd’hui.

Décentrez-vous de vous mêmes. Au lieu de vous préoccuper de votre position, vous feriez mieux de vous préoccuper de celle des autres, des plus petits, des plus humbles, des sans-statut, des exclus. Au lieu de vous tracasser de votre dignité, vous feriez mieux de vous occuper de ceux qui sont jugés indignes, qui se pensent indignes.

Si la grandeur que nous désirons, c’est la grandeur spirituelle, cela signifie que ce que nous désirons, c’est une position de service aux autres. C’est le choix délibéré d’une position plus humble, une position d’accueil.
Notre grandeur ne dépend pas de nous, mais de celui que nous servons, de celui qui nous a envoyé. Notre statut ne dépend que de celui qui nous a envoyé, comme celui de Jésus dépend de celui qui l’a envoyé, le Père. C’est ainsi qu’il faut regarder Jésus. C’est ainsi qu’il nous faut nous considérer, des envoyés, des serviteurs, appelés à l’accueil, à l’accueil de tous, à l’accueil des sans-voix, de ceux qui sont humiliés.

Mais il ne nous faut pas oublier ce qui précède l’enseignement de Jésus, c’est à dire l’annonce de sa Passion. Il y a dans Marc trois de ces annonces. Sans cette Passion, le ministère de Jésus n’aurait pas eu de sens, pas de perspective, pas de finalité. Le coeur de l’Evangile est là, Jésus a été livré, il a été tué par les hommes et il s’est relevé le troisième jour. C’est un point sur lequel Paul insiste régulièrement, “si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine”. Mais cela, les disciples ne l’entendent pas, ne le comprennent pas, pas encore. La forme passive “il va être livré” sous-entend celui qui va le livrer. Puisque personne n’est indiqué, il s’agit de Dieu. Jésus est venu sur la terre comme un commando non pour tuer mais pour être tué. Voilà ce qui tranche avec la biographie de beaucoup de fondateurs de religions ou de philosophies. Jésus a été victorieux parce qu’il s’est donné lui-même. Il a accueilli et porté toute l’humanité jusqu’à la croix.

Nous sommes tous serviteurs de quelque chose ou de quelqu’un. C’est à nous de choisir de quoi ou de qui nous voulons être serviteurs. Et nous devons penser à la raison qui nous pousse à un tel choix. On nous parle beaucoup aujourd’hui des valeurs, les valeurs qui sont supposer conduire la société, celles que nous sommes supposés suivre, celles qu’il faut enseigner à nos enfants dans les écoles et les familles, mais aussi à l’université ou dans les entreprises.

Mais, je vais renverser le point de vue avec ce que dénonce en creux ce texte. Parmi les moteurs qui font agir nos contemporains, nous y compris, se trouvent ces trois-là, qui sont mentionnés ici, la peur, la honte et le rejet.
Les disciples avaient peur d’interroger Jésus. C’est vrai qu’il avait parfois des réactions fortes. Avaient-ils peur de perdre cette relation au maître ? Ils avaient pourtant déjà laissé beaucoup de choses derrière eux. De quoi avons-nous peur ? Qu’avons-nous peur de perdre ? Et pourtant, Jésus c’est celui qui dit : “N’ayez pas peur”.
Les disciples n’ont pas voulu, pas osé répondre à la question dérangeante de Jésus : “De quoi parliez-vous en chemin ?” Ils n’étaient pas à l’aise avec ça, parce qu’ils sentaient que quelque chose n’allait pas. En fait, ils avaient honte de cette discussion forte qu’ils avaient eue. La honte est aussi un important moteur de nos actions. Combien de gestes, de paroles, n’aurions-nous jamais voulu avoir fait, avoir dites ? Trop sans doute. Et nous préférons garder le silence. Nous préférons cacher cette honte. Quelle est l’image de nous qui pourrait être détruite ? A quel endroit plaçons nous l’honneur ? Notre honneur est en Jésus, c’est lui qui nous rétablit. Notre honte n’a plus de raison d’être. Ni celle de l’autre.
Jésus demande d’accueillir l’exclu, le marginal, le petit, celui que nous n’honorerions pas. Ce petit enfant ne comptait pas pour les disciples, ni pour personne à l’époque d’ailleurs. Sauf pour Jésus. Jésus ne rejette pas le petit, l’exclu, l’humble. Qui rejetons-nous ? Quel est celui que nous ne voulons pas accueillir ? Mais, Jésus nous a bien accueillis, nous qui ne méritions rien. Parce que si vous pensez que Jésus vous a accueilli parce que vous le méritiez, vous vous trompez complètement. “Celui qui dit qu’il n’a pas de péché se trompe lui-même et le vérité n’est pas en lui”.

Pour reprendre ce qui me semble important dans cette leçon inaugurale de Jésus, prononcée au moment où selon l’évangile de Marc il entame sa montée vers Jérusalem et vers la croix, je vois trois choses à retenir : la croix, la prière et l’action.
1. La croix : la vie de disciple est une conséquence de l’obéissance de Jésus, le fruit de sa mort sur la croix, le résultat de sa résurrection. Sans la Passion et la résurrection, pas de christianisme, pas de vie chrétienne et pas de vie éternelle, entamée dès maintenant.
2. La prière. Je vois ici l’importance de la communication du disciple avec son Seigneur, l’importance de la prière. Le disciple doit écouter ce que dit Jésus, ce que dit Dieu, se mettre à l’écoute de sa Parole, oser interroger, répondre à ses demandes et accepter de se remettre en cause.
3. L’action : Le disciple est aussi celui auquel on demande d’agir, d’accueillir, de rencontrer et d’accueillir l’autre, le petit, l’exclu, parce qu’il est aussi aimé de Dieu, parce que l’accueillir c’est aussi accueillir Jésus, c’est aussi accueillir Dieu le Père.

Dans ce qui fait notre vie à chacun, la marque du disciple c’est d’être celui qui écoute son Maître et qui lui parle, qui accueille et rencontre, même l’exclu. Nous sommes aussi envoyés pour cela.

Amen.

(Philippe Cousson)

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