Marc 9:30-37
Chers frères et soeurs,
que nous soyons ou ayons été enseignants ou étudiants ou les deux, nous avons quelques idées sur la bonne façon d’enseigner, de transmettre un message.
Nous avons affaire ici à un maître et à des disciples dans une tradition à la fois juive et antique. Ce qui n’est pas forcément la façon indienne ou chinoise, ni notre façon contemporaine.
Jésus nous fait ici une démonstration. Jésus ou plutôt le ou les auteurs de ce texte. Et apparemment le succès n’est pas là tout de suite. Les disciples ne comprennent rien, ne posent pas de question et sont muets après une question pressante de Jésus. Alors, celui-ci met en scène le message.
D’ailleurs, il n’y a pas que cette image de Jésus avec l’enfant que Jésus met devant tout le monde. Ce texte est un peu comme une bande dessinée.
D’abord,
il y a cette traversée de la Galilée en cachette qu’on
peut imaginer dans des chemins creux, un peu comme les déplacements
des huguenots et des prédicants à l’époque
des dragonnades. Et c’est dans ces circonstances que Jésus
leur répète son annonce de sa Passion prochaine, alors
qu’il se dirige maintenant vers Jérusalem après
avoir exercé son ministère en Galilée et sur les
terres païennes alentour.
Mais
la méthode confidentielle ne semble pas efficace. Les
disciples ne comprennent vraiment rien à rien. Et en plus, ils
ne posent aucune question. Est-ce que la réponse de Jésus
à la remarque de Pierre il y a quelque temps les a refroidis ?
En tous cas, il y a problème de communication, de
transmission.
Image suivante : Ils sont en chemin vers Capernaüm (ou Capharnaüm). Jésus marche sans doute devant, en tous cas à part d’eux. Et eux sont en train de discuter, de discuter intensément, de se disputer, tout en marchant. Ce devait être très important pour eux.
Image suivante : Ils sont dans la maison. Et là, Jésus les interroge. C’est une question ou une réprimande ? On ne sait pas. D’habitude dans les groupe de rabbis et de disciples, ce sont les disciples qui posent les questions. Mais, ici, c’est Jésus. Et le texte laisse entendre que Jésus savait la réponse mais qu’il voulait leur entendre la dire. Et penauds, ils sont silencieux. La question que Jésus leur a posée leur fait comprendre l’énormité de leur débats. Ils en ont maintenant honte. Mais durant les minutes précédentes c’était important. Et puis l’attitude de Jésus rétablit la bonne échelle de valeurs.
Voilà maintenant l’image classique de Jésus avec l’enfant. Voyons un peu ce que ce geste-parole peut vouloir dire. C’est une méthode qu’utilisaient par les prophètes.
Voyons les mots utilisés par le texte : premier, dernier, serviteur, accueillir, envoyer.
Notez
bien que Jésus a modifié le mot que le texte attribue
aux apôtres : le premier au lieu du plus grand. Ce n’est
pas la même chose. Effectivement, à Qumran, un
classement parmi les membres était de coutume tous les ans.
Voulaient-ils faire de même ?
En
tous cas, Jésus veut renverser la perspective. “Qui est
le plus digne ?” est une question indigne de disciples de
Jésus.
En
fait la réponse de Jésus a deux facettes. Celui qui
veut être premier, qu’il soit le dernier et le serviteur
de tous. Servir au lieu d’être servi. C’est ce que
Jésus a montré tout le long de son ministère.
Mais aussi, et surtout, et c’est le sens premier que veut
donner Jésus à son geste. Ce qu’il faut faire
pour être un disciple, un grand disciple, c’est
accueillir. Et pour montrer le sens de cet accueil, Jésus
montre un enfant. A l’époque, l’enfant n’avait
pas le statut de quasi-roi qu’il a aujourd’hui. L’enfant
était une personne mineure, dépendante, sans voix au
chapitre, juste au-dessus de l’esclave, exclu de toute
décision, marginalisée. Et Jésus demande
d’accueillir justement de telles personnes. Et il affirme alors
que c’est lui-même qui est accueilli, et encore plus, que
c’est son Père qui est accueilli.
On
trouve aussi une expression qu’il ne faut pas comprendre de
travers : “en mon nom”. Il ne s’agit pas de vouloir
agir comme si nous étions Jésus, comme si nous portions
un badge avec “au nom de Jésus” ou comme si nous
prétendions détenir une légitimité ou une
puissance qui viendrait de lui. Cela signifie simplement, et ce n’est
pas rien, qu’ils sont accueillis parce qu’ils
appartiennent à Jésus, ceux que nous accueillons.
Jésus, ainsi que son Père, les aime, ceux qu’ils
nous faut accueillir, quelque soit leur statut, même marginaux,
même exclus.
Dans le texte de l’évangile de Marc, chaque annonce de la Passion de Jésus est suivie d’un enseignement. Voilà donc celui d’aujourd’hui.
Décentrez-vous de vous mêmes. Au lieu de vous préoccuper de votre position, vous feriez mieux de vous préoccuper de celle des autres, des plus petits, des plus humbles, des sans-statut, des exclus. Au lieu de vous tracasser de votre dignité, vous feriez mieux de vous occuper de ceux qui sont jugés indignes, qui se pensent indignes.
Si
la grandeur que nous désirons, c’est la grandeur
spirituelle, cela signifie que ce que nous désirons, c’est
une position de service aux autres. C’est le choix délibéré
d’une position plus humble, une position d’accueil.
Notre
grandeur ne dépend pas de nous, mais de celui que nous
servons, de celui qui nous a envoyé. Notre statut ne dépend
que de celui qui nous a envoyé, comme celui de Jésus
dépend de celui qui l’a envoyé, le Père.
C’est ainsi qu’il faut regarder Jésus. C’est
ainsi qu’il nous faut nous considérer, des envoyés,
des serviteurs, appelés à l’accueil, à
l’accueil de tous, à l’accueil des sans-voix, de
ceux qui sont humiliés.
Mais il ne nous faut pas oublier ce qui précède l’enseignement de Jésus, c’est à dire l’annonce de sa Passion. Il y a dans Marc trois de ces annonces. Sans cette Passion, le ministère de Jésus n’aurait pas eu de sens, pas de perspective, pas de finalité. Le coeur de l’Evangile est là, Jésus a été livré, il a été tué par les hommes et il s’est relevé le troisième jour. C’est un point sur lequel Paul insiste régulièrement, “si Christ n’est pas ressuscité, votre foi est vaine”. Mais cela, les disciples ne l’entendent pas, ne le comprennent pas, pas encore. La forme passive “il va être livré” sous-entend celui qui va le livrer. Puisque personne n’est indiqué, il s’agit de Dieu. Jésus est venu sur la terre comme un commando non pour tuer mais pour être tué. Voilà ce qui tranche avec la biographie de beaucoup de fondateurs de religions ou de philosophies. Jésus a été victorieux parce qu’il s’est donné lui-même. Il a accueilli et porté toute l’humanité jusqu’à la croix.
Nous sommes tous serviteurs de quelque chose ou de quelqu’un. C’est à nous de choisir de quoi ou de qui nous voulons être serviteurs. Et nous devons penser à la raison qui nous pousse à un tel choix. On nous parle beaucoup aujourd’hui des valeurs, les valeurs qui sont supposer conduire la société, celles que nous sommes supposés suivre, celles qu’il faut enseigner à nos enfants dans les écoles et les familles, mais aussi à l’université ou dans les entreprises.
Mais,
je vais renverser le point de vue avec ce que dénonce en creux
ce texte. Parmi les moteurs qui font agir nos contemporains, nous y
compris, se trouvent ces trois-là, qui sont mentionnés
ici, la peur, la honte et le rejet.
Les
disciples avaient peur d’interroger Jésus. C’est
vrai qu’il avait parfois des réactions fortes.
Avaient-ils peur de perdre cette relation au maître ? Ils
avaient pourtant déjà laissé beaucoup de choses
derrière eux. De quoi avons-nous peur ? Qu’avons-nous
peur de perdre ? Et pourtant, Jésus c’est celui qui dit
: “N’ayez pas peur”.
Les
disciples n’ont pas voulu, pas osé répondre à
la question dérangeante de Jésus : “De quoi
parliez-vous en chemin ?” Ils n’étaient pas à
l’aise avec ça, parce qu’ils sentaient que quelque
chose n’allait pas. En fait, ils avaient honte de cette
discussion forte qu’ils avaient eue. La honte est aussi un
important moteur de nos actions. Combien de gestes, de paroles,
n’aurions-nous jamais voulu avoir fait, avoir dites ? Trop sans
doute. Et nous préférons garder le silence. Nous
préférons cacher cette honte. Quelle est l’image
de nous qui pourrait être détruite ? A quel endroit
plaçons nous l’honneur ? Notre honneur est en Jésus,
c’est lui qui nous rétablit. Notre honte n’a plus
de raison d’être. Ni celle de l’autre.
Jésus
demande d’accueillir l’exclu, le marginal, le petit,
celui que nous n’honorerions pas. Ce petit enfant ne comptait
pas pour les disciples, ni pour personne à l’époque
d’ailleurs. Sauf pour Jésus. Jésus ne rejette pas
le petit, l’exclu, l’humble. Qui rejetons-nous ? Quel est
celui que nous ne voulons pas accueillir ? Mais, Jésus nous a
bien accueillis, nous qui ne méritions rien. Parce que si vous
pensez que Jésus vous a accueilli parce que vous le méritiez,
vous vous trompez complètement. “Celui qui dit qu’il
n’a pas de péché se trompe lui-même et le
vérité n’est pas en lui”.
Pour
reprendre ce qui me semble important dans cette leçon
inaugurale de Jésus, prononcée au moment où
selon l’évangile de Marc il entame sa montée vers
Jérusalem et vers la croix, je vois trois choses à
retenir : la croix, la prière et l’action.
1.
La croix : la vie de disciple est une conséquence de
l’obéissance de Jésus, le fruit de sa mort sur la
croix, le résultat de sa résurrection. Sans la Passion
et la résurrection, pas de christianisme, pas de vie
chrétienne et pas de vie éternelle, entamée dès
maintenant.
2.
La prière. Je vois ici l’importance de la communication
du disciple avec son Seigneur, l’importance de la prière.
Le disciple doit écouter ce que dit Jésus, ce que dit
Dieu, se mettre à l’écoute de sa Parole, oser
interroger, répondre à ses demandes et accepter de se
remettre en cause.
3.
L’action : Le disciple est aussi celui auquel on demande
d’agir, d’accueillir, de rencontrer et d’accueillir
l’autre, le petit, l’exclu, parce qu’il est aussi
aimé de Dieu, parce que l’accueillir c’est aussi
accueillir Jésus, c’est aussi accueillir Dieu le Père.
Dans ce qui fait notre vie à chacun, la marque du disciple c’est d’être celui qui écoute son Maître et qui lui parle, qui accueille et rencontre, même l’exclu. Nous sommes aussi envoyés pour cela.
Amen.