Poitiers, 14 octobre 2001

2 Rois 5:14-17
2 Timothée 2:8-13
Luc 17:11-19

Une petite histoire, qui tient en neuf versets telle que nous la rapporte Luc, et que nous connaissons bien, au moins ceux qui l'ont vue durant leur école du dimanche ou durant leur lecture de la Bible.

Nous allons d'abord nous repasser cette histoire comme un petit film, plan par plan.
Plan numéro 1 : Un paysage de Palestine, quelque part entre la Samarie et la Galilée. Jésus et le groupe de ses disciples qui marchent vers Jérusalem. Un petit village, vers lequel Jésus et le groupe s'avancent.
Plan numéro 2 : Pas très loin, mais pas trop près, de l'entrée de ce village un autre groupe de 10 personnes, en haillons, et au corps apparement malades, taches, blessures. A l'approche du groupe de Jésus, ces dix crient. Ils appellent Jésus. Ils ne réclament rien de précis, seulement de la pitié. Sans doute dans leur esprit, de quoi survivre.
Plan numéro 3 : Jésus, qui marche d'abord ne les voit pas, puis ils les aperçoit et leur adresse la parole. Allez vous montrer aux sacrificateurs.
Plan numéro 4 : Les dix malades partent pour se montrer aux sacrificateurs. Le chemin est long devant eux. Ils se regardent l'un l'autre, eux-mêmes. Ils sont guéris.
Plan numéro 5 : Un des malades s'arrête. Il se regarde encore. Et encore. Il saute de joie et fait demi-tour. Il crie sa joie en chantant une louange à Dieu. Au bout de sa route, Jésus et son groupe. Il arrive jusqu'à celui-là et se jette à ses pieds. Il n'est pas comme les autres, c'est un étranger (costume, accent ?).
Plan numéro 6 : Jésus s'adressant à la foule, parlant des autres au loin, et de celui-là, ici.
Plan numéro 7 : Jésus s'adressant au Samaritain lui parle et le fait se relever. Il l'envoie.

Voyons un peu ces lèpreux. Ils sont dix, partageant leur sort peu enviable, malade d'abord, exclu de la société par dessus le marché. Eloigné de tous, ils vivent de l'aide des autres, de la nourriture qu'on veut bien leur laisser ou qu'ils se procurent.
Un groupe de pélerins en route vers Jérusalem pour la Pâque est en vue. Il va entrer dans ce village frontalier. Alors on appelle, on espère qu'ils vont leur laisser une petite part de leurs réserves. De plus, ces hommes ont sans doute entendu parlé de celui qui conduit la troupe, ce Rabbi, Jésus. Il aurait déjà fait des miracles, des guérisons.
Mais voilà que quand il les aperçoit, ils ne leur donne rien. Il leur parle. Des mots. Et pas n'importe lesquels. Ceux de la loi juive. Allez vous montrer aux sacrificateurs. C'est ce qu'il faut faire pour être réintégré dans la société en cas de guérison. Mais il savent bien qu'ils sont malades. Et il leur demande d'y aller. Alors sans plus réfléchir, ils y vont. Après tout, on dit de lui tant de choses. Ils ne les a pas approchés, pas touchés, pas prononcé de formule rituelle. Et pourtant ils y vont. Le chemin est long entre leur territoire d'infortune et le Temple et ses sacrificateurs, groupe de parias au milieu des groupes de pélerins. Et durant le voyage, voilà que l'un, puis l'autre, puis réciproquement, ils s'aperçoivent de la guérison. Effectivement, c'est le moment d'aller voir les sacrificateurs. Ils ont bien fait de se mettre en route. Ils tiennent à la reprendre cette place qu'ils avaient perdue dans la vie sociale. Ils sont guéris. Ils sont nets. Sans plus de tache.
Et pourtant, parmi eux, il y en a un qui se sépare de ses compagnons d'infortune. Il n'est pas comme eux, il n'est pas juif. Alors le Temple, en fait… Et là-bas, dans un des autres groupes qui marchent vers Jérusalem, il y a celui qui les a mis en route, celui qui est la cause de leur guérison, celui qui ne peut qu'être l'instrument de Dieu, ou plus encore. Alors il interrompt sa montée vers la ville sainte, il fait demi-tour, il part à la rencontre de Jésus. Il commence à louer Dieu, car Dieu seul peut être à l'origine de cette guérison, de cette purification.
Ça y est, il l'a trouvé. Jésus est là. Alors, il s'approche. Il est guéri, il est pur maintenant. Il se jette aux pieds de celui qui l'a relancé dans la vie, qui lui a redonné le goût de la vie, le sens de la vie. En retrouvant cette vie, il en a retrouvé le centre, Dieu.
Alors, cet homme, ce Rabbi, ce maître, lui demande de se relever, finit de le rétablir, et l'envoie. Il est non seulement guéri, il est sauvé.

Dans ce texte, on peut s'apercevoir d'un jeu entre les distances, les frontières, les proximités et les éloignements.
Nous sommes quelque part sur la frontière entre deux provinces, deux mondes, deux sociétés, la Galilée, terre de Juifs, et la Samarie, terre d'un peuple métissé, rejété. Et cette Samarie divise les deux terres peuplées de Juifs, Jérusalem et la Judée au Sud, et la Galilée au Nord. Il faut la traverser à chaque pèlerinage.
Nous voyons aussi deux sociétés qui se côtoyent, la société bien portante, pure, qui vit dans les villes et villages, qui se déplace, qui prend part au culte, qui pérégrine, et la société des exclus, des impurs, des malades de la lèpre. Cette lèpre biblique, n'est d'ailleurs pas forcément la maladie que nous appelons lèpre aujourd'hui. Mais cette société d'exclus ne connaît apparemment pas la division de l'autre, puisque dans le groupe, il y a des Juifs et au moins un Samaritain. D'ailleurs, dès qu'il est guéri, il redevient bien vite un étranger.
Mais la guérison est marquée par des rapprochements, des proximités, des promiscuités. Quand on est guéri, net, purifié, il faut se montrer aux sacrificateurs, qui examinent l'ex-malade, en détail, de près. Le Samaritain n'a pas hésité à se rapprocher de Jésus, à se jeter à ses pieds. Et les paroles d'un "lève-toi" sont en général accompagnées d'un geste expressif qui relève, d'un contact. Si Jésus le reconnaît comme étranger, il le reconnaît aussi comme guéri et sauvé, comme croyant.

La lèpre, comme exemple, comme type, de la maladie qui sépare, qui est synonyme d'impureté, de mort. La lèpre comme image du péché, qui coupe de Dieu et des hommes.
La guérison que propose Jésus, faite de mise en marche, de foi, guérison qui fait disparaître l'impureté, les taches, qui réduit et annule les distances, les séparations, qui rétablit l'homme dans ses relations avec Dieu et avec les hommes.

Essayons de voir ce qui différencie les neuf qui ont continué leur chemin vers les sacrificateurs, et le seul qui est retourné vers Jésus, celui dont on dit qu'il a loué Dieu à haute voix.
D'abord, ils ont tous été guéris. Tous se sont mis en marche à la parole de Jésus. Tous ont eu cette foi qui leur a permis le départ, la rupture, et la guérison.
Mais voilà, les uns, relativement bien au fait de la loi, ou très bien au fait de la loi, ont continué leur route pour faire valider cet acquis de pureté retrouvée, pour pouvoir réintégrer la société, la société de ceux qui se soumettent à la loi, de ceux qui respectent les textes, la société de ceux pour qui l'obéissance à Dieu et la soumission à la loi sont une seule et même chose.
Ce qui fait différence, c'est ce mot, que Jésus utilise pour celui qui est revenu, sauvé. En plus d'être guéri, il est sauvé. Il n'a pas cherché son salut dans le respect des textes, des traditions, des rites, des coutumes, mais dans la parole libératrice de Jésus, et dans la louange à Dieu, source et origine de toute guérison, de toute pureté retrouvée.
Son salut, il ne le reçoit pas du formalisme, il reçoit de la grâce de Dieu. Il ne l'attend pas du respect des rites mosaïques, il l'attend des paroles de Jésus, qui le mettent en route.
Il était perdu pour lui, pour la société. Il est sauvé, remis en marche, et prêt à servir, à vivre, à communiquer, à louer.

Voyons où nous en sommes, chacun ce matin. Jésus est là, qui passe. Est-ce que par hasard nous n'avons rien à lui crier ? Est-ce que nous n'avons pas besoin de lui ? Est-ce que nous n'aurions pas nous aussi de problèmes de frontières, de distances, d'exclusions, dont nous serions acteurs, ou victimes ? Des problèmes d'impureté, de péché, qui nous feraient tellement mal, que nous nous sentirions comme des pestiférés, même si personne ne s'en rend compte ? Est-ce que nous n'aurions pas des difficultés pour regarder tel ou tel, non comme un exclus ou un étranger, mais comme un homme, lui aussi aimé de Dieu ? Est-ce que nous n'aurions pas des problèmes d'oreille pour pouvoir entendre ces appels à l'aide autour de nous ?

Si tu te sens comme ces lèpreux, si tu veux rétablir cette relation avec Dieu, avec les hommes, avec toi-même, tu n'as pas d'autre chose à faire qu'à te confier à la parole de Jésus, qu'à te mettre en marche, qu'à laisser derrière toi ce qui te pèse, et tu verras qu'il t'attend, qu'il t'envoie, qu'il te proclame son salut et sa guérison. Tu comprendras ce qu'est la grâce de Dieu, celle qu'on n'obtient pas avec des rites, avec des obéissances, mais qu'on reçoit comme un cadeau gratuit. C'est la parole de Jésus, c'est la grâce de Dieu qui met en marche, qui rapproche, qui purifie, qui renouvelle.

Jésus a guéri des malades. Il n'a pas guéri tous les malades. Le plus important n'est pas ici la guérison de la maladie, c'est la guérison de la vie, c'est la nouveauté de la vie. C'est la vie elle-même reçue de Dieu. C'est cette vie à partager et à proclamer.

"Lève-toi, va ; ta foi t'a sauvé" a dit Jésus au Samaritain guéri. "Lève-toi, va ; ta foi t'a sauvé, nous dit-il à tous ce matin.

Amen.

(Philippe Cousson)

Retour