Poitiers, 14 mars 2004

(Exode 3:1-15)
(1 Corinthiens 10:1-13)
Luc 13:1-9

Quand j'ai commencé à réfléchir sur ce texte, je ne pouvais pas imaginer qu'il serait autant d'actualité, je ne pouvais pas imaginer ce qui vient d'arriver en Espagne. Eh non, la Bible n'est pas coupée de nos réalités. La manière d'aborder la situation dans ce texte peut nous paraître abrupte et sans sentiment humain. La condoléance est présente ailleurs dans la Bible. Cependant je partirai du texte d'aujourd'hui.

Mon idée de départ était de commencer par cette phrase, entendue trop souvent, un peu blasphématoire : "Mais qu'est-ce que j'ai fait au Bon Dieu pour mériter ça ?" Le "ça" en question peut être très grave, ou beaucoup moins.
On retrouve dans cette phrase deux éléments important : la mise en cause de Dieu dans ce qui arrive, nous dédouanant nous mêmes à bon compte, et aussi l'affirmation de notre innocence : "je n'ai rien fait qui mérite ça". Ou plus exactement, en réunissant les deux : "comme ce que j'ai fait ne peux pas être la cause du malheur qui me frappe, l'auteur de mon malheur ne peut être que Dieu, directement ou indirectement".
Dans le même ordre d'idées, je voudrais relever une expression entendue très très souvent : "victimes innocentes". On ajoute l'adjectif pour préciser. Une victime qui serait coupable, ne serait plus une vraie victime. Si le malheur qui lui arrive lui est de quelque manière imputable, elle n'est plus une vraie victime, ou du moins elle n'est pas une victime innocente.
Si dans un accident de la route, la victime était au volant avec une forte alcoolémie, ou bien roulait trop vite, ou bien dépassait en sommet de côte, elle n'est plus "victime innocente", et d'une certaine manière "elle l'a bien cherché". Mais si la victime était dans la voiture qui arrivait en face, alors elle est une "victime innocente" de la violence routière.
Et je n'ai pas parlé ici des victimes des catastrophes naturelles.

Or, voici que dans notre texte, dans ce récit que nous rapporte Luc, Jésus aborde les deux situations : dans le premier cas, c'est le tyran Pilate qui a assassiné des Galiléens en prière, terrorisme d'état ; dans le deuxième cas, il s'agit d'un phénomène accidentel, à moins de mettre en cause le constructeur de la tour, s'il est toujours vivant.

Et dans chacun de ces deux cas, la réaction populaire, mis à part la douleur des proches qui n'est pas ici mentionnée, consiste à se dire que s'ils ont été victimes, c'est bien qu'ils l'ont mérité.
Par rapport à notre époque, il semble que la réaction ne soit pas la même, mais en fait, il s'agit exactement de la même réaction, seul le point de vue a changé.
Là où autrefois on se désolidarisait des victimes, en les renvoyant à leur supposée responsabilité, à leurs péchés, aujourd'hui on se solidarise avec les victimes en affirmant qu'elles sont, comme nous, innocentes, et qu'elle n'aurait par conséquents pas dû souffrir ce qu'elle ont souffert.

Mais les axiomes de base restent les mêmes :
- je suis innocent,
- seul le coupable doit souffrir.

Pour poursuivre un sur l'analyse des réactions, je relève une phrase entendue : "Ils n'avaient pas le droit".
Sous entendu, ceux qui ont tué n'auraient pas dû le faire, ou du moins pas comme ça, ou alors pas ces victimes-là. Ils ont peut-être le droit de protester autrement, mais pas comme ça. Ou encore, les victimes n'étaient pas concernées par le problème des tueurs, quels qu'ils soient. Les victimes n'avaient rien à se reprocher dans les affaires des tueurs, elles n'étaient pas responsables, elles étaient innocentes. On en revient encore au même point.

Si ces points de vue sont couramment partagés dans l'ensemble des sociétés humaines, ils ne sont pas partagés par Jésus.
Si l'Eglise se doit de partager la douleur des victimes, d'écouter, de pleurer avec ceux qui pleurent, de soutenir les survivants, elle n'a pas à cautionner ce type de discours.
Les deux parties du passage du jour nous donnent aussi deux clés pour envisager une autre parole sur de tels événements, et sur le message de l'Evangile de manière plus générale.

A la question que Jésus retourne à ceux qui lui parlaient, il fournit une réponse qui n'est pas celle que nous avons l'habitude d'entendre.
A lieu de dire : ces gens, les victimes, étaient des grands pécheurs, de plus grands pécheurs que les autres, il dit : non, c'est à dire, ils ne sont pas plus pécheurs que vous.
Je ne sais pas à quelle époque le changement s'est opéré, de la victime certainement coupable à la victime certainement innocente, mais il reste l'ensemble de la société humaine se pense parfaitement innocent, ou disons pas coupable au point de mériter ça.
Or, l'Evangile va à l'encontre de ce point de vue, en en prenant le total contrepoint : "Il n'y pas un juste, pas même un seul."
Tous sont coupables, tous sont pécheurs, moi, vous, eux, tous. Il n'y a pas de victime innocente, pas une seule. Ou plutôt si, mais alors une seule : Jésus, sur la croix. Lui, fils de Dieu, lui sans péché. Il est victime innocente, il est LA victime innocente.

Il y a aussi la deuxième partie de ce texte, cette petite histoire de figuier. Cet arbre qui ne donne pas de fruit, mais que le jardinier échappe de la hache pour encore une année d'espérance.
Le NON de Jésus dans la première partie pourrait paraître enlever complètement l'espoir. Tous sont pécheurs, c'est irrémédiable, et les sort des victimes sera le sort commun. Or, voilà qu'un délai est donné. A celui qui entend, à celui qui écoute. Il est encore temps de se repentir. Il est encore temps de se reconnaître pas si innocent que ça, pas innocent du tout, de se reconnaître pécheur. Il est encore temps de se placer sous la grâce de Dieu. Il est encore temps de devenir capable par cette grâce de Dieu, de porter du fruit. Et cela est rendu possible par la grâce de Dieu, et par la seule vraie victime innocente, Jésus sur la croix.
Il ne m'appartient pas à moi, il n'appartient à personne, hormis à Dieu lui-même, de dire pourquoi ce délai m'est donné à moi qui écoute, et qu'il aurait peut-être pu être refusé à certains. La seule chose importante à considérer est que ce délai est là devant chacun d'entre nous aujourd'hui, maintenant. Qu'il se trouve un jardinier pour dire : pas maintenant, laisse-le, laisse-la encore. Et même, il nous faut comprendre que nous chrétiens, nous avons aussi à être ces jardiniers, qui demandent le délai, et qui profitent de ce délai pour creuser, pour amender, pour parler de grâce et de repentance.

Je voudrais, avant de reprendre sur ce texte, que nous réfléchissions sur ce que nous sommes, nous rassemblés ici ce matin, nous autres chrétiens, nous autres croyants. Qui sommes-nous, que sommes-nous ? Des purs ? Des parfaits ? Non, mille fois non. Et j'ose dire que celui qui le croît s'illusionne beaucoup. Nous sommes avant tout des pécheurs. Notre nature n'est pas différente du reste de l'humanité. Nous sommes des pécheurs. Mais, si nous sommes des pécheurs, nous sommes des pécheurs pardonnés. Nous savons que par la grâce de Dieu nos péchés sont effacés. Je dis bien : par la grâce de Dieu. C'est à dire que nous n'avons jamais rien fait pour mériter ça. S'il y a ici quelqu'un qui pense mériter son salut, il se trompe lui-même. Nous sommes des pécheurs pardonnés, et nous sommes au courant, nous le savons. Nous le savons, et nous l'avons accepté.
Et il faut bien préciser que ce salut est acquis dès qu'il est accepté. Il ne s'agit pas d'un salut futur, d'un pardon à venir. Le croyant, par la foi, EST sauvé, il EST pardonné, et non pas il SERA pardonné.

Autour de nous, il y en a qui pensent que leur péché est tel, qu'il est impardonnable. A ceux-là, il est difficile de faire comprendre que, mais si, le pardon, la grâce de Dieu, sont aussi pour lui, pour elle. Il y en a qui disent qu'ils ne veulent rien devoir à personne, et qu'ils peuvent racheter leurs fautes, payer, expier, et repartir la tête haute. A ceux-là, il est difficile de dire que, définitivement, ils ne peuvent pas se racheter par eux-mêmes, que rien ne peut contrebalancer leur péché, qu'il n'y a que la grâce offerte de Dieu, le salut gratuit, qui puisse leur rendre la vie vivable, digne d'être vécue.

Venons-en maintenant à ce mot, si fréquent dans la Bible, et sur lequel insiste notre texte, c'est à dire le mot "repentance".
"Si vous ne vous repentez", "si vous ne changez pas de vie", "si vous ne vous convertissez pas", "si vous ne changez pas de conduite", "si vous ne changez pas de comportement", suivant diverses versions françaises du texte.
Qu'est ce qui est attendu ? Plusieurs choses, consécutives ou simultanées, immédiates ou progressives.
La prise de conscience du péché, des échecs, des ratages, des petites ou grandes catastrophes provoquées, du mal qui nous enveloppe si facilement, la prise de conscience de notre non-innocence, de notre culpabilité réelle et pas seulement imaginaire, maladive ou fictive.
La volonté d'y mettre fin, de tourner le dos au péché et au mal, de se retourner vers une toute autre direction, de regarder ailleurs.
La confiance placée dans la grâce de Dieu, dans cette grâce qui seule peut rendre possible une vie nouvelle, différente, qui partira dans une nouvelle direction, qui rendra possible un nouveau départ.

Et ce qui rend possible cette repentance, c'est qu'il y a eu une vraie victime innocente, Jésus mort sur une croix, sans péché.
Qui que ce soit qui réclame un prix à payer pour le péché, pour l'horreur, que ce soit Dieu ou l'âme humaine, ou la justice humaine, ce prix a été payé.
Et même, combien de fois n'avons-nous pas, en fait, cloué nous mêmes Jésus sur la croix, en voulant l'écarter de notre vie, parce qu'alors il nous gênait. Mais son amour est resté, et reste toujours là, envers nous.

Et alors, nous porterons du fruit digne de la repentance. Non, ce fruit ne nous servira de rien pour nous justifier. Nous ne pourrons pas nous en glorifier de quelque manière que ce soit. Nous lui devons tout, notre vie, notre salut, ce délai qui nous a permis de comprendre son amour, et de nous mettre à porter ce fruit, qu'il souhaite que nous portions. Que ce fruit soit une attitude, une action ou un témoignage, il est et reste le fruit de l'action de la grâce de Dieu, de son Esprit Saint en nous.
Nous devons en permanence nous rendre disponible à cet amour et à ce témoignage. Il nous faut rester auprès de nos contemporains, pour leur témoigner de l'amour de Dieu, de ce Dieu qui n'est pas l'aveugle destructeur qu'ils pourraient penser dans leur colère, mais bien celui qui les aime et les attend, celui qui leur donne du temps pour le regarder, pour regarder à la croix.

Je voudrais vous laisser ce verset qui est pour moi au coeur de ma foi, et aussi de celle de notre église, je veux dire jean 3:16 : Car Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son fils unique afin que quiconque croit en lui ne périsse pas mais qu'il ait la vie éternelle.

Amen.

(Philippe Cousson)

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