Poitiers, 1er juillet 2007

1 Rois 19:16-21
Galates 5:1,13-18
Luc 9:51-62

Chers frères et soeurs,

vous avez été appelés à la liberté. C'est ce que nous affirme Paul. Et pourtant les deux autres textes, qui sont aussi des textes d'appel, ressemblent plus à des textes d'appel au service, ce qui est un peu semblable à la servitude ou à l'esclavage. Ou pour le moins à ne plus être maître de son sort, ce qui dans notre monde est le contraire de la liberté. Cherchez l'erreur.

Mais, en y regardant de plus prêt, c'est aussi au service que Paul nous appelle sous couvert de liberté. Si je passe du mot service au mot esclavage et réciproquement, c'est que le mot grec utilisé ici signifie précisément esclavage. D'où l'opposition flagrante et voulue par l'auteur entre ces deux notions de liberté et d'esclavage. De plus, si vous souvenez bien, cette opposition traverse aussi tout l'Ancien Testament, où le peuple a été libéré de l'esclavage en Egypte.

La libération apportée par Jésus d'après le verset 1, avec une répétition de la racine : c'est pour la liberté que Christ nous a libéré, est bien la fin de l'esclavage. Quand l'esclave était affranchi, libéré de son état d'esclave, c'est ce mot qui était utilisé. Il était alors libre de choisir sa vie, indépendant, libre de ses décisions et responsable de lui même.

Et l'autre racine, traduite par esclavage, servitude, serviteur, est bien celle qui était utilisée pour décrire la situation de l'esclave, celui qui appartient à un maître. Rappelez-vous simplement de l'affaire d'Onésime et de Philémon. L'esclave dépend de son maître à qui il doit obéissance, et qui a sur lui droit de vie et de mort. En fait la condition de l'esclave dépendait beaucoup de l'attitude du maître.

Dans le verset 1 on trouve l'image du joug de l'esclavage. Ici on ne désigne pas le maître, mais on décrit la situation de l'esclave par cette comparaison avec le boeuf qu'on attache au joug pour lui faire faire les travaux des champs.
Jésus a aussi utilisé cette image du joug. Mon joug est facile et mon fardeau léger. Est-ce que cette parole de Jésus circulait déjà dans les églises quand Paul a écrit sa lettre. Si oui, alors l'image est encore plus frappante et amène déjà au versets 13 et 14. C'est alors une invitation à changer de joug.

Pour reprendre : Paul nous affirme que nous avons été libérés d'un esclavage, pour devenir esclave par amour. Un peu embrouillé son discours, non ?

Dans les trois versets que j'ai retenus, Paul nous conduit dans son vocabulaire, il parle d'esclavage, douleia, de liberté, eleutheria, de chair, sarx, et d'amour, agapê, et aussi dans le verset 14 de loi, nomos, de parole, logos, et d'accomplissement, plêrôma.

Christ nous a rendu la liberté. Il nous a libéré de l'esclavage. De quel esclavage ? Qui était le maître ? Si vous vous souvenez de la trame de l'épître, on pourrait penser qu'il s'agit des judéo-chrétiens qui cherchaient à faire appliquer la loi juive par les païens convertis. Mais en fait, il s'agit de quelque chose de bien plus fondamental, que ces rigoristes utilisent.
Au verset 13, Paul nous donne une clé. Attention à la chair ! C'est quoi la chair. Concrètement c'est la viande. C'est aussi ce qui fait notre nature d'homme, de créature, plantée dans notre monde réel, concret. C'est l'ensemble des aspirations qui conduisent notre existence, qu'elles soient instinctives ou culturelles. La chair, c'est la vie réelle, la vie humaine, c'est le palpable, le soi.
Et quand nous disons que Christ s'est incarné, nous disons que Christ, c'est Dieu venu parmi les hommes, c'est dire qu'il a été fait chair, qu'il a vécu dans cette contingence qui fait notre vie d'homme, qu'il a été confronté à ces aspirations, à nos aspirations, qu'il a été tenté comme nous tous. Qu'il a souffert, pleuré, ri. Mais de cette chair, il n'en est pas devenu esclave. Il n'est pas besoin de vous faire un dessin. Vous comprenez comment notre nature, notre moi, nos convoitises et envies peuvent devenir nos maîtres.
Plus loin dans le texte, au verset 19 on vous donne une liste des oeuvres de la chair, toutes résultat de la soumission à ces aspirations, à ces tentations.
Et pourtant il s'agit ici d'autre chose. Nous le verrons plus loin. Il y a d'autres façons détournées de satisfaire la chair.

S'il faut éviter le joug de l'esclavage de la chair, c'est pour devenir esclave, esclave des autres, par amour. Devenir esclave par amour. On a souvent entendu cela, dans la poésie romantique, ou l'amour pour l'être aimé est un doux esclavage. Mais ce dernier amour ne correspond pas à l'amour de l'épître, à l'amour du Nouveau Testament, de toute la Bible. L'amour romantique est naturel, il vous tombe dessus. D'ailleurs on parle de tomber amoureux. Et, de la même façon qu'il est tombé, il peut tout aussi bien s'envoler, et on est alors en pleine période contemporaine. Il ne peut pas s'agir de cet amour qui n'est pas voulu. Il ne s'agit pas de cet amour caractéristique de la chair.
Ici, et ailleurs dans les Ecritures, l'amour est un commandement. Oui, un commandement. L'amour, celui-là, n'est pas un état, c'est une volonté. Tu aimeras. Et non pas, tu aimeras quand tu ressentiras ce sentiment, mais tu aimeras, malgré même ton sentiment naturel, charnel. Tu aimeras ton prochain, les autres. Et cet amour là n'est pas l'amour de la chair, il est l'amour de l'Esprit. C'est qui se retrouve au verset 22 dans la liste des fruits de l'Esprit. Et quand on analyse un peu cette liste, on s'aperçoit que chaque élément de cette liste est tourné vers l'autre, vers les autres.
On passe donc de l'esclavage de la chair, de la nature du soi et de ses aspirations, à l'esclavage par amour des autres, du prochain, à l'esclavage voulu et accepté, librement accepté, parce que cela a été rendu possible par la libération.
C'est cela marcher par l'Esprit, c'est cela ne plus accomplir les oeuvres de la chair. Il y a incompatibilité entre les deux.

Et Paul revient au discours principal de son épître : la loi. La loi, c'était pour ces judéo-chrétiens, la Torah, la loi de Moïse, telle qu'ils la comprenait. Mais ils étaient passé à côté de quelque chose. Cette loi avait été donnée après une libération, après la fin d'un esclavage, après la sortie d'Egypte. Rappelez-cous que vous avez été esclaves en Egypte. Mais voilà que cette loi, loi de liberté, de libération, est devenue au fil des temps un esclavage subi, un catalogue de choses à faire et à ne pas faire. Il s'agissait pourtant simplement d'un guide, d'une carte, d'une trame pour conduire le croyant, le libéré, dans sa vie de libéré de l'esclavage.
Et le commandement d'amour est un des éléments de ce guide. Essentiel parce que c'est une clé pour tout comprendre et analyser. Toute la Torah est un message de libération et d'amour.

La loi, c'est pour la culture juive. Pour les Grecs, et les Juifs de culture grecque, voici la Parole, le logos. Jean a développé ce thème dans son prologue. Le logos, c'est bien la parole, mais c'est aussi la raison, la raison divine, c'est à la fois la parole et le fait, ce qu'elle fait. Dieu dit et cela est. Mais il y a aussi, et c'est important dans notre contexte, les 10 paroles, les 10 commandements comme nous disons à tord. Et ici il n'y a pas 10 paroles, mais un seule et qui les regroupe toutes.

Et même, cette parole les accomplit toutes. En totalité, complètement, pleinement. Et le résultat de cet accomplissement peut se deviner quand on comprend que le mot équivalent en hébreu, s'il signifie complet, entier, plein, est aussi de la même racine que shalom, la paix. Cette parole-là procure la paix.

Cette paix qui fait défaut à ceux qui n'ont pas compris comment fonctionne la loi. Et nous revenons au sujet principal de l'épître : les choses à faire pour...

Or voilà que cette parole n'est pas mesurable, cochable, calculable. On ne peut pas dire ce que cela recouvre concrètement, matériellement. On ne peut pas en tenir de comptabilité. Cette parole apporte la paix, mais pas les bilans. Or, ce que demandait les rigoristes, c'était des comptes, des choses tangibles, matérielles, vérifiables. Mais ces choses ne peuvent pas apporter la paix, car il en manquera toujours au moins une. C'est en cela que c'est un esclavage de la chair. Parce que la chair compte, elle calcule, elle amasse, elle accumule, en vue du plaisir, de la sécurité, en vue de résultats concrets.

Mais l'Esprit nous rappelle la grâce, le salut est donné par grâce. Le Christ a transcendé sa nature humaine en remplaçant la comptabilité par la grâce. Celui qui aime donne gratuitement, il devient volontairement esclave de l'amour qu'il a reçu gratuitement, il se donne librement, sans calcul, sans attendre de retour, de compensation, de récompense. D'ailleurs en fait tout ce qu'il a, tout ce qu'il est, il l'a reçu déjà et gratuitement, sans le mériter. Pourquoi les autres devraient-ils mériter l'amour qu'il leur porte ?

Le Christ nous a libéré de cet esclavage de la satisfaction de nos aspirations, de cet esclavage de la comptabilité de nos mérites, ou de la comptabilité de nos culpabilités, par amour pour nous, et ce depuis bien avant que nous ayons pu même l'imaginer. Et cet amour l'a conduit à la croix, sur cette croix où l'égo de l'homme cherche toujours à l'installer et à le maintenir. Il n'a pas chercher à dominer, à devenir un maître comptable ou estimé. Il est devenu un maître en devenant un serviteur, un esclave. Et tout cela pour que nous puissions recevoir cette liberté, cette libération de notre comptabilité en dettes et bénéfices.

Et cette libération, cette liberté, elle nous est donnée, non pour être retenue, thésaurisée, mais pour être transformée en esclavage d'amour pour le prochain, pour les autres.

Avant de terminer, je voudrais compléter en rappelant la dernière partie de ce commandement, de cette parole, comme toi-même.
Il ne t'est pas interdit de t'aimer toi-même. T'aimer toi-même fait partie de cette parole. Mais il s'agit pas de t'aimer comme on pourrait aimer un compte en banque ou en bourse. Il s'agit de rechercher en Christ la paix. Si Dieu a tant aimé le monde, s'il t'a aimé, toi, c'est que tu es digne d'être aimé.

C'est pour la liberté que Christ nous a libérés. Par amour soyez esclaves les uns des autres. Toute la loi est accomplie dans cette parole, celle-ci : Tu aimeras ton prochain comme toi-même.

Amen.

(Philippe Cousson)

Retour