Poitiers, 10 septembre 2006

Esaïe 35:4-7
Jacques 2:1-13
Marc 7:31-37

Chers frères et soeurs,

Notre monde est plein de bruits et de fureurs, de cris et de guerres, de crimes et de racisme, de mensonges et de violences. Notre monde réclame la justice et la paix, la fraternité et la sécurité, sans se demander d'ailleurs si la demande de fraternité était compatible avec la demande de sécurité. .

Je vais essayer de voir ce que les deux textes de Jacques et d'Esaïe ont à nous dire de la justice, de la justice de Dieu.

Si beaucoup ressentent un manque de justice, c'est parce qu'ils ont un profond sentiment d'injustice, injustice vis à vis des personnes extérieures victimes, dont on entend parler au loin, ou que l'on connaît, mais aussi injustice vis à vis d'eux mêmes. C'est souvent ce dernier sentiment qui domine, et qui est d'ailleurs utilisé par ceux que l'on appelle démagogue ou populiste pour ce qui est du domaine de la politique.

Ce petit passage de l'épître de Jacques fait allusion à plusieurs manifestation de cette injustice, contre laquelle les croyants sont appelés à lutter en eux-mêmes.
La première concerne l'acception de personnes, c'est à dire le favoritisme, ou son complément l'exclusion. Comment une communauté chrétienne accueillerait-elle quelqu'un de bien habillé, de visiblement nanti, d'aucuns diraient béni, beaucoup mieux que quelqu'un de pauvre, de mal habillé, de quelconque ? Et pourtant c'est sans doute ce qui se passaient parfois, sinon Jacques ne l'aurait pas mentionné, même comme hypothèse. Et s'il ne s'agissait que de l'accueil dans la communauté, mais cet accueil révèle bien autre chose, le comportement dans la société, dans la vie sociale, où ce comportement de distinction, de mise à l'écart ou à l'honneur est dénoncé par l'apôtre, tant parmi les chrétiens que parmi les autres hommes. Juger sur les apparences est une injustice que la plupart de nos contemporains reconnaissent comme telle, en général, surtout quand ils en sont les victimes.

Mais cette dénonciation en appelle une autre, qui est récurrente dans son épître, la dénonciation de la richesse. Si la richesse est affaire d'argent, elle est aussi ailleurs. Elle est partout où la perte de quelque chose devient inacceptable, insupportable. La parole évangélique résume bien cette situation, qui dit : "Où est ton trésor, là sera ton coeur." Bien sûr Jacques nous parle des riches, comme d'ailleurs le récit évangélique du jeune homme riche, parce que les liens de l'argent sont très puissants, mais c'est aussi applicable à d'autres formes de richesse. Le riche tient à conserver sa richesse, voire à l'amplifier, et tous les moyens sont bons, par exemple écraser le pauvre, par le procès ou la violence, ou ceux qui défendent les pauvres, ou ceux qui dénoncent les injustices.

Mais il est possible, avec cette notion de trésor personnel, de relier tout ceci avec une notion qui reviendra plus loin, celle de la peur. Le riche veut rester riche, par convoitise, par âpreté au gain, par cupidité, mais aussi par inquiétude de l'avenir. Le système du favoritisme et du rejet est aussi un système qui fonctionne grâce à la peur de l'autre et à la menace qu'il représenterait. En fait la cupidité, les préjugés, le favoritisme, et même le fanatisme sont des signes de la faiblesse de l'homme et de son absence d'espérance. Toutes ces choses n'ont pas lieu d'être dans la communauté des croyants.

Un croyant est aussi tenté par une autre erreur, celle de la propre justice. Et là, la dénonciation est très forte. Elle rejoint d'ailleurs celle de Paul. Une seule transgression de la loi de Dieu, sur un petit point, minime, minuscule, et c'est toute la loi qui est transgressée.

Avant de terminer par la conclusion de ce passage de Jacques, je voudrais aborder celui d'Esaïe. Mais avant, regardons un peu comment est couramment comprise la notion de justice à rendre, comment elle est comprise dans notre société, comment on la prétend chrétienne avant de voir ce qu'est en réalité la justice de Dieu.

Le jugement, la justice, la morale amènent nos contemporains à l'idée qu'il y a nécessité de se racheter s'il y a eu transgression de la loi, péché. Le coupable doit payer. Ce peut être par une peine, une punition. Ce peut être par une b.a. Il s'agit de toute façon de compenser. Par un acte méritoire, qu'il soit humanitaire ou rituel, pénible ou infamant. De toutes façons, il faudra payer. C'est ainsi que la justice passera. Voilà un point de vue généralement partagé, et revendiqué même par un grand nombre de croyants.
Autre aspect du jugement, vue cette fois-ci non plus du côté du coupable, mais du côté de la victime : il faut une vengeance. Il ne s'agit plus ici de rattraper, mais bien de faire souffrir. Il ne s'agit plus de compenser, mais presque de jouir de cette souffrance. La vengeance peut être personnelle, familiale ou clanique. Elle peut aussi être laissée à Dieu, dit-on. Il s'agit encore de payer, mais sans aucun avantage pour le coupable, uniquement pour la victime.
Notre système judiciaire fonctionne encore sur ce modèle, disons sur la première partie de la description, quoiqu'en entendant certaines interviews de victimes, ou prétendues telles, on entendrait plutôt la seconde partie de la description.

Quelle est dans tout ça la justice de Dieu ?Ce passage d'Esaïe nous éclairera d'une façon un peu surprenante.

J'ai au début de ma prédication parler de peur, de menace, de crainte. Et voici que le passage d'Esaïe proposé aujourd'hui commence par : Dites à ceux qui ont le coeur troublé, prenez courage, ne craignez point. Le pape précédent avait dit : Non habiate paura. N'ayez pas peur. Esaïe dit la même chose.
Placez votre crainte, votre souci, votre trésor au bon endroit. Le reste est à Dieu.
Vous vouliez vous occuper de vengeance, de rétribution, de salut. Laissez cela à Dieu. Il viendra lui-même. Sa rétribution, sa vengeance.

Bien, mais alors, qu'elle est-elle cette vengeance, cette rétribution, ce salut ?
La suite nous répond, que je résumerait par un mot de Jacques : la miséricorde.

Esaïe mentionne deux conséquences du péché, deux malheurs, l'un pour l'homme, l'autre pour la création : pour l'homme le handicap, pour la nature la sécheresse.

Il faut bien sûr laisser à ces exemples leur valeur de symbole. Par le péché qu'il commet ou qui le frappe, ou les deux, l'homme est devenu comme aveugle, boiteux et sourd. Il ne voit plus, il n'entend plus, il ne peut plus avancer sur son chemin. Par le péché qui atteint aussi la création, la sécheresse atteint le monde. L'eau de la vie est devenue frelatée ou bien a tout simplement disparu. Il ne reste que désert, solitude et sécheresse dans notre monde.

L'injustice et le malheur sont décrits, résumés. Et le salut de Dieu aussi. Il n'y a là rien à payer, rien à faire, personne à frapper.

Dieu vient, et sauve. Alors l'aveugle voit, le boiteux saute et le muet éclate de joie. L'eau revient et la vie avec elle.
La justice de Dieu c'est le don de la vie, le don gratuit.

En passant, ces versets ont aussi un clin d'oeil, ou peut-être plus, pour les croyants : occupez-vous des handicapés de la vie, occupez-vous des problèmes de répartition de l'eau dans notre monde.

En fait, ce salut n'a pas à être notre souci, notre crainte, notre peur. Dieu vient. Ce salut est acquis. Nous avons à penser à autre chose. C'est ce que nous disent les deux derniers versets du passage de Jacques.

Notre conduite ne doit pas être guidée par une peur, une obsession de l'obéissance à une loi, mais par une loi de liberté. Et cette loi de liberté, c'est celle de l'amour, de l'amour sans distinction, sans calculs, sans crainte. Et c'est alors, comme dit Esaïe, que le salut de Dieu, en fait se manifestera, parce que les croyants le mettront en pratique.

Celui qui vit de la miséricorde de Dieu ne peut qu'exercer la miséricorde, sinon il n'a pas compris la miséricorde de Dieu, sinon c'est qu'elle ne fonde pas sa vie. La miséricorde triomphe du jugement, parce qu'en fait elle le dépasse. Le jugement sans miséricorde empêche la miséricorde, et par là même le salut et la guérison, contrairement à ce que beaucoup pensent. Non, la punition n'est pas nécessaire pour que la victime se reconstruise. Seule la miséricorde le peut. Dieu veut la miséricorde et non le sacrifice.

Cette vie selon la loi de la liberté est une vie selon la loi de l'amour. Tu aimeras le Seigneur ton Dieu, tu aimeras ton prochain, comme toi-même. Et comme nous le rappelle l'ensemble de l'épître de Jacques, cette loi de liberté, c'est l'exigence d'une vie cohérente avec sa foi. Le verset 12 commence par ce double impératif : parlez et agissez. Le dire et le faire. Tout y est. Vous n'agissez pas par crainte, vous n'agissez pas pour un jugement, vous agissez à cause de l'amour de Dieu, de celui que le Christ a manifesté sur la croix, payant alors pour nos péchés et nos souffrances, à cause de cet amour que vous portez, que vous reportez maintenant sur les autres hommes, et sur cette création que Dieu aime aussi mais qui souffre aussi.

Et je terminerai par ce verset du prophète Ezéchiel, au chapitre 33 verset 11 : Ce que je désire, ce n'est pas que le méchant meure, c'est qu'il change de conduite et qu'il vive.
Le salut de Dieu c'est un nouveau départ, c'est la possibilité d'un nouveau départ. Ne restons pas dans les craintes attachés au passé, la loi de liberté, le salut de Dieu nous ouvre une vie nouvelle, qui n'aura plus de limite. La miséricorde triomphe du jugement et le salut de Dieu viendra. Il est déjà venu en Jésus Christ, pour chacun de nous, et pour ceux qui nous entourent, et pour les autres. Même s'ils l'ignorent, même s'ils le refusent, Dieu existe et les aime et les attend. Il n'est pas le Dieu vengeur qu'ils se représentent parfois, et que souvent les chrétiens leur ont présenté, il est le Dieu créateur et sauveur. Il est celui dont la justice est miséricorde, la seule justice qui permette de reconstruire, et le coupable et la victime, parce que Jésus qui n'était pas coupable est devenu coupable et victime. Aucun amour n'est plu grand. Aucune liberté n'est plus grande.
Ne craignez pas, votre Dieu est venu, il vous a sauvé. Que son salut, sa miséricorde vous conduise dans son amour et dans la vie de liberté que donne la miséricorde.

Amen.

(Philippe Cousson)

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