Jonas 3
1 Cor 7:29-31
Marc 1:14-20
Ce matin, voilà trois textes qui nous sont proposés, trois textes que l'on ne rapprocherait pas
forcément. Un chapitre du livre de Jonas, un peu comme un épisode de feuilleton, de télévision
ou de magazine, où il semble nécessaire de connaître le début pour comprendre les lieux, les
personnages, l'action, et qui attend une suite. Trois versets d'une lettre de Paul, qui semblent
incongrus, pris hors du contexte. Et un passage de l'évangile de Marc, le moment où Jésus appelle
ses premiers disciples. Pourquoi ceux-là, pourquoi à cet endroit-là ? Là aussi, on a besoin de
connaître les épisodes précédents et la suite.
Ce n'est pourtant pas à cet aspect narratif que je vais m'arrêter,
même si j'y fais allusion.
Je vais laisser le texte de l'épître et m'attarder surtout sur
le texte du prophète Jonas.
Comme celui de Marc, il y est question d'un appel, d'une prédication,
et d'une réponse, d'une modification d'attitude qui en est la conséquence.
Nous regarderons de plus près le texte de Jonas, nous le comparerons
à celui de Marc, nous nous interrogerons sur les motifs des actions et
des comportements. Enfin nous essayerons de trouver ce qui peut nous concerner
ce matin.
La langue hébraïque est une langue dite sémitique, assez
différente des langues dites indo-européennes auxquelles nous
sommes habitués. Peut-être ceux qui parlent des langues d'autres
groupes, je pense au coréen, au hongrois, au malgache, reconnaîtront
parfois des attitudes linguistiques, ou peut-être pas du tout.
Nous autres francophones avons appris à l'école qu'une rédaction
en bon français devait éviter les répétitions de
mots, les mots de la même racine à la suite les uns des autres.
Or, cette habitude, déclarée mauvaise chez nous, est habituelle
en hébreu.
De plus, le vocabulaire hébraïque a la particularité d'être
polysémique, c'est à dire que chaque mot, chaque racine, a des
significations, qui pour nous n'ont parfois rien à voir entre elles.
Et le texte biblique joue aussi de cette propriété de la langue.
La bible fait des jeux de mots, et beaucoup plus en hébreu qu'en grec,
langue indo-européenne plus proche de nous.
Une des caractéristiques des langues comme l'hébreu est la forme
des racines, 3 lettres. Vous savez que l'hébreu ne s'écrit, pour
simplifier, qu'avec des consonnes. On y a ajouté au Moyen-âge des
voyelles, mais par exemple elles ne sont pas utilisées dans la presse
quotidienne israélienne, sauf un titre qui vise les nouveaux immigrants.
C'est la même chose pour l'arabe. Suivant les lettres qu'on ajoute avant,
après, à l'intérieur de la racine, suivant la prononciation,
c'est à dire les voyelles adjointes, on a à faire à un
verbe conjugué, à un nom, à un adjectif, etc. Il est donc
assez facile, dès qu'on connaît un peu la langue, d'identifier
les racines.
Pour préparer les prédications, je dispose aussi d'un outil informatique, dont le nom est "La Bible
online", qui permet de remonter aux mots originaux hébreux et grecs, par la fonction des
"numéros Strong". A chaque mot de la langue originale est attribué un numéro, et ce numéro est
indiqué après chaque mot de la traduction. On peut ainsi trouver quel était le mot original, ainsi
que son état grammatical. C'est qui m'a permis de constater d'abord, et que j'ai vérifié ensuite,
que le texte de Jonas joue de ces voisinages et de ces répétitions.
Le premier de ces mots se trouve mentionné sous diverses formes 5 fois
dans ce chapitre. Il s'agit du mot davor (dalet-bet-resh) dont un des
sens est "parole" dans : Ta parole est une lampe à mes pieds, du psaume
119:105. Mais ce mot veut aussi dire, comme nom : Parole, propos, mot, promesse,
ordre, chose, occurrence, langage, terme, exposé. Et comme verbe : parler,
dire, s'entretenir, faire parler, promettre, ordonner, réciter, détruire,
exterminer. Avec une autre vocalisation, il signifie : discours, parole et est
utilisé pour "les dix commandements" ou "les dix paroles".
C'est le mot hébreu qu'on associe volontiers avec le mot grec logos
et tous les sens qu'évoque pour nous le prologue de l'évangile
de Jean : Au commencement était la parole...
Dans ce passage, ce mot, ou cette racine se retrouve au verset 1 : parole, au
verset 2 : ordonne, au verset 3 : parole, au verset 6 : chose, et au verset
10 : résolu.
C'est donc à la fois la parole, ce qu'elle dit et produit, et la volonté
qui y préside.
Telle est la parole de Dieu, elle est parole, elle devient effective, elle est
volonté. Mais Dieu en reste maître. Il peut la modifier.
Le mot, la racine que je retiens ensuite est proche. C'est qaro' (qof, resh,
aleph) , dont le sens le plus courant est lire. C'est la racine qui a formé
en arabe le mot Coran. Je vous disais que les langues sont voisines. Voici donc
la liste des sens que donne mon dictionnaire : Appeler, attirer, invoquer, crier,
implorer, convoquer, assembler, inviter, publier, annoncer, proclamer, élire,
nommer, lire, réciter, arriver à quelqu'un, glorifier, chanter,
avoir recours, protester, prier, se rencontrer. Dans ce chapitre, la racine
est dans le verset 2 par deux fois : proclames et publication. On l'a aussi
dans le verset 4 : criait, dans le verset 5 : publièrent, et dans le
verset 8 : crient.
La parole de Dieu est à lire, à proclamer, à publier. Les
gens de Ninive on aussi crié, publié leur sentiment par rapport
à cette proclamation.
On trouve encore plusieurs fois une autre racine dont le sens est voisin. C'est
la racime 'amor (aleph, mem, resh). Son premier sens est simplement dire.
Voici la liste des sens donné par mon dictionnaire : Dire, parler, prononcer,
raconter, penser, s'imaginer, présumer, persuader, commander, ordonner,
proférer, articuler, exprimer, appeler, vouloir, décider, déterminer,
préparer, fournir, assigner, composer un ouvrage, se proposer, se fiancer.
Dans une des formes du verbe, il veut même dire, en hébreu moderne
: déclarer une grève, lutter.On le trouve dans notre texte au
verset 1 : mots, puis au verset 4 : disait et enfin au verset 7, deux fois qui
ne transparaissent pas dans la traduction, seulement par le mot publication.
Encore un mot assez fort, plus que simplement dire, il s'agit de prononcer,
de persuader. Ce ne sont pas des paroles en l'air que ce mot veut transmettre.
Intéressante construction de l'auteur, qui à la fois utilise des quasi-synonymes, et les répète le long
du texte.
Une autre racine est plus simple dans son sens car elle est toujours ici traduite
par le même mot : qum (qof, vav, mem), traduit par : se lever.
C'est le même mot, que l'évangile nous rapporte en araméen,
encore une langue proche, Talitha Koumi.
Dieu demande à Jonas de se lever, et enfin il se lève. Et le roi
de Ninive, quand il est informé, quand le dvr , la parole, lui
parvient, lui aussi il se lève.
Dans les derniers versets, l'auteur utilise les mêmes procédés,
mais la traduction le rend : revenir (shuv - shin, vav, bet) 3 fois,
plus une fois avec la traduction de renoncer, se repentir (nakhom - nun,
khet, mem) 2 fois.
Ce retour, ce repentir, concerne aussi bien les Ninivites que Dieu lui-même.
On pourrait se dire que le parallèle est facile à faire avec le texte de Marc : l'appel à la repentance,
et le changement de vie. Certes, mais, on trouve aussi quelques différences significatives.
Le message proclamé par Jonas n'est pas le même que celui proclamé par Jésus. Le premier est
un avertissement, un pronostic : Encore 40 jours et Ninive sera détruite. Jésus annonce
l'accomplissement des temps et appelle à la repentance. Jonas annonce une fin, Jésus un
renouvellement. Jonas profère une condamnation, Jésus une bonne nouvelle.
Les Ninivites manifestent un repentir en criant et en interrompant leur mode
de vie. Les disciples, en réponse à l'appel laissent leur outil
de travail, leurs collègues, leur famille, et suivent Jésus. Il
entamment un mouvement.
L'évangile ne décrit pas les actes de repentance, sans doute parce
qu'ils ne sont pas essentiels. Ce qui l'est, c'est la bonne nouvelle, l'appel
à la foi, l'appel à suivre Jésus.
Par contre, il y a un point commun entre Dieu chez le prophète, et Jésus
dans l'évangile : Ils voient. Verset 10 de Jonas : Dieu vit qu'il agissaient
ainsi. Et Jésus, par deux fois, vit Simon et André, puis Jacques
et Jean.
Dieu est celui qui voit. Les prophètes étaient aussi appelés
les Voyants.
On peut se poser quelques questions sur les motifs de tous ces gens-là. Pourquoi Jonas a-t-il
d'abord refusé d'aller à Ninive ? Pourquoi a-t-il finalement accepté d'y aller ? Pourquoi les
Ninivites se sont-ils repentis ? Pourquoi ont-ils relié la menace qui pesait sur la ville à leur
conduite, jugée mauvaise ? Qu'est-ce à dire que Dieu change d'avis ? Pourquoi Jésus après
l'emprisonnement de Jean se rend-il en Galilée ? Pourquoi longe-t-il la mer de Galilée. Pourquoi
aborde-t-il ces quatre pêcheurs. Pourquoi le suivent-ils en abandonnant leur vie antérieure ? On
peut relier à ces questions le texte de l'épître aux Corinthiens.
Qu'est-ce qui peut pousser ou retenir quelqu'un d'agir ? Qu'est-ce qui peut
pousser ou retenir quelqu'un de changer de vie ?
Un réflexe de survie ? La ville sera détruite !
Le risque du pas vers l'inconnu ? et pourtant les futurs apôtres partent.
Ils n'ont pas tergiversé, et ont laissé leur métier, leur
gagne-pain.
Le texte de l'épître nous explique que ce qui fait notre existence
n'en est pas l'essentiel, la vie partagée, les pleurs, la joie, le commerce,
la vie en société, tout cela n'est pas essentiel, et va passer.
L'essentiel est ailleurs. Et c'est ce qu'avaient compris les futurs apôtres.
Le chapitre suivant nous raconte que Jonas n'avait pas encore compris le message,
quand il se soucie de son ombrage.
Où peuvent être nos motifs ? La survie, la simple survie, pour
ceux qui n'en sont pas assurés.
L'image que l'on donne à des personnes qui sont importantes pour nous,
est aussi un moteur important des décisions humaines.
Il y a aussi comme moteur la recherche du plaisir, ou le refus de la souffrance.
D'ailleurs plaisir ou souffrance peuvent être apportés par la satisfaction
ou non du motif précédent, par la réaction des ces personnes
auxquelles nous nous référons.
L'objectif d'une prédication, l'objectif de la Parole que le Seigneur
place devant nous chaque semaine, chaque jour, n'est pas seulement de nous enrichir,
de nous éclairer, mais bien de conduire notre vie, de la modifier.
A quoi donc ces textes nous appellent-ils donc ? Et pourquoi changer ?
Nous pouvons correspondre ce matin à plusieurs personnages de ces textes,
et peut-être à plusieurs à la fois..
Nous pouvons être ces Ninivites, auxquels Dieu adresse une parole de menace,
non pas tant de menace de rétorsion, mais bien de menace des conséquences
de notre vie, de notre mode de vie. Je ne peux pas entrer dans le détail.
Chacun se connaît. D'ailleurs, Jonas n'a pas dit aux Ninivites: C'est
parce que... Ils ont tout de suite fait le lien. Ils tenaient à leur
vie, à leur ville, plus qu'à la vie qu'ils y menaient, qu'à
leur mauvaise voie et qu'à leur violence. N'y a-t-il pas de menace que
le Seigneur nous susure ou nous crie à l'oreille depuis quelque temps,
et que nous n'entendons pas. Il faut faire comme le roi de Ninive, se lever
de son trône, et s'humilier, et revenir du chemin qui était suivi.
Jésus ajoute à ceci des paroles d'espérance : le royaume
de Dieu est proche, il y a une bonne nouvelle à laquelle il est possible
de croire.
Nous pouvons être Jonas : Dieu nous appelle, il a une parole pour que nous la proclamions, un
appel pour que nous le publions, des mots pour que nous les lisions. Et ce ne sont pas que des
mots. La parole de Dieu, l'Evangile, ce n'est pas du virtuel, c'est la vie, la vraie vie.
Nous pouvons être les futurs apôtres.Y a-t-il une situation que nous devions laisser ? Avons-nous
un appel qui est placé devant nous. Avons-nous jamais refusé de suivre le Seigneur ?
Sommes-nous comme ces Corinthiens, à qui Paul demande de ne pas placer le centre de leur vie
dans les choses concrètes, matérielles de la vie, leur ménage, leurs pleurs et leurs joies, leur
commerce, leur situation ? N'avons-nous pas quelque chose qui nous retient dans ce monde, dont
la figure passe ? N'y aurait-il pas dans notre quelque chose qui reste une menace, et pour laquelle
une parole de dénonciation et de délivrance est portée ?
De quelle mauvaise voie nous faut-il revenir ? Que nous faut-il laisser ? Qu'est-ce qui nous
empêche de suivre le Seigneur ?
Sa parole, dont le Psalmiste disait qu'elle était une lampe à ses pieds et une lumière sur son
sentier, sommes-nous prêts à la dire, à la proclamer, à la crier, et d'abord à l'entendre ? Et pour
l'entendre, il faut la chercher, et non l'éteindre. Et la comprendre, et la mettre en pratique.
La figure de ce monde passe, et tout ce qui de ce monde pourrait nous guider dans nos choix et
nos actions passe aussi. Cherchons donc l'essentiel, dans la bonne nouvelle du royaume de Dieu
qui vient, et de la parole qu'il faut chercher et proclamer. C'est là qu'il faut trouver nos motifs de
vivre et d'agir. Nous sommes dans le monde, mais nous ne sommes pas du monde, nous rappelle
l'évangile de Jean.
Amen