Poitiers, 20 août 1995

Jer 38:1-13
Heb 12:1-4
Luc 12:49-53

Ce n'est pas parce que le passage de Luc parait difficile que je ne l'ai pas pris pour ce matin, mais parce que le texte de Jérémie m'a semblé plus intéressant.
En fait il m'a rappelé un passage d'un livre dont j'ai oublié le titre, et que j'ai dû prêter à quelqu'un qui l'aura gardé. Son auteur, si mes souvenirs sont exacts, est congolais. Il raconte qu'il était étudiant à Paris, quand il a été appelé dans la rue pour aller au chevet d'un étudiant malgache, mourant, me semble-t-il. Celui-ci voulait voir un malgache, mais on n'avait trouvé qu'un congolais. Ce fut comme une séance de confessionnal. Le jeune malgache, élevé strictement dans une famille luthérienne était arrivé en France pour ses études, un peu perdu. Il avait rencontré une française. Ils s'étaient plus. Et alors qu'ils s'apprêtaient à faire plus intimement connaissance, notre malgache se leva soudain et pris la Bible qui était sur la commode, et la mit dans un tiroir, qu'il ferma. Pour être plus libre, il avait enfermé Dieu dans le tiroir.

Faire taire Dieu, faire taire sa Parole, l'enfermer dans un tiroir, ou ailleurs : à qui cela n'est-il vraiment jamais arrivé ? Notre foi, notre éducation religieuse, notre culture chrétienne nous ont sans doute souvent dérangé. Et parfois, n'est-ce pas, nous sommes passé outre la ligne que nous pensions qu'il ne fallait pas franchir. Il arrive que notre foi nous arrange, mais il arrive aussi qu'elle soit le hiatus qui limite notre prétendue liberté (ou qui nous évite les esclavages, c'est une question de point de vue).

Nous sommes dans Jérusalem assiégée. Sédécias est roi. Il est un des fils de Josias, le dernier bon roi de Juda. Il a été placé sur le trône par le roi de Babylone, Néboukadnetsar, à la place de Yehoyakin, son neveu, qui s'était rendu. Les Chaldéens sont à nouveau revenus à l'assaut de la ville. Le siège des villes n'est rien de nouveau. Mais voilà, contrairement à son neveu, contrairement à ce que demande Dieu par la voix de Jérémie le prophète, le roi Sédécias refuse de se rendre. Attendait-il un secours de l'Egypte, alors affaiblie ?
Et voilà que des princes, ou des ministres, ou des chefs de guerre, en tous cas un groupe de pression, un lobby suffisamment puissant, capturèrent Jérémie, et voulaient le faire taire, à jamais.
Car enfin, ce message que Jérémie délivrait au nom de Dieu était inacceptable. Se rendre, jamais. Plutôt... D'ailleurs c'est ce qui allait leur arriver. Jérémie leur a bien dit : ceux qui se rendent conserveront au moins leur vie. Mais non, Jérémie était celui qui risquait de démoraliser le peuple et les soldats. Il fallait le faire taire. Pour le bien du peuple. Qui prenait le mieux soin du peuple, ceux qui le menait à la mort, ou celui qui voulait qu'il vive ? Alors donc, comme le message de Dieu est refusé, comme on ne veut se soumettre ni à Dieu, ni à Néboukadnetsar, on jette le messager de Dieu dans une citerne. Comme ça, plus de message. Comme ça, on reste maître de la situation. Folie des hommes qui pensent tout maîtriser.

Jérémie jeté dans une citerne... ça ne vous rappelle vraiment rien, pas un autre personnage biblique ? Mais oui, Joseph. Ce frère prétentieux, qui se croit béni de Dieu. On va voir ce qu'on va voir. On l'enferme dans une citerne, puis on le vend comme esclave. Débarrassé, parti, disparu, celui qui nous empêchait de vivre à notre guise.
Jérémie, Joseph, c'est toujours la même chose. On cherche à se débarrasser de Dieu, de son message, de ses messagers. Quand Dieu, ce qu'il dit, ce que l'on croit qu'il dit, ce que l'on pense qu'il pourrait penser, nous empêche de vivre notre vie, alors on le fait taire en nous, on refuse les avertissements, on refuse sa Parole, on refuse Dieu.

Il y a aussi un autre moyen plus subtil de faire taire la voix de Dieu. C'est le moyen qu'utilise le serpent au jardin d'Eden. " Dieu a-t-il vraiment dit ? " Ça c'est fort. Quand le message divin nous dérange, alors on dit qu'il ne dit pas tout à fait ça, qu'il faut le comprendre autrement, dans un sens qui nous arrange, bien entendu. Notez bien que je ne rejette pas toute interprétation non littérale de la Bible. Il est des tas d'éléments bibliques dont le caractère historique et culturel est évident. Il est vrai qu'en toute chose il faut rechercher l'esprit et non la lettre. Mais, faisons bien attention, quand nous abordons la Bible, à ne pas lui faire dire ce qui nous arrange, ce que nous souhaitons entendre. Attention à bien faire de l'éxégèse, c'est à dire à tirer le sens à partir du texte, et non pas à lui attribuer une signification extérieure, à ne pas lui apporter son sens.
Nous sommes ici à un noeud de la théologie, le statut du texte biblique. Il nous faut éviter deux pièges à la fois. Soit, considérer l'ensemble du texte, à la virgule près, comme sacré, au premier degré, réglementaire en toute chose ; soit, considérer que ce n'est en tout que parole humaine, témoignage de la foi de certains, et que Dieu n'a directement rien à nous y dire.
Dans sa déclaration de foi, notre église " affirme l'autorité souveraine des Saintes Ecritures, telle que la fonde le témoignage intérieur du Saint Esprit, et reconnaît en elles la règle de la foi et de la vie. "
Assurément, le texte biblique est parole de Dieu, quand le croyant se met à l'écoute.
Revenons à Jérémie et Sédécias. L'attitude du roi est assez ambiguë. D'un côté, il fait sortir Jérémie de sa citerne, après s'être effacé devant les princes et notables, sur la demande d'un simple serviteur. Ensuite, il l'interroge, il veut savoir ce que Dieu dit. Mais alors, il n'en tient aucun compte. A quoi bon ? Sans doute est-il tout simplement un faible, incapable de décider par lui-même, incapable aussi de reconnaître où est la véritable autorité. Le Nouveau Testament parle quelque part de ceux qui sont emportés à tout vent de doctrine.

Si nous savons nous approcher du message de Dieu, de sa Parole, savons-nous en tirer profit ? Comment réagissons-nous quand nous comprenons ce qu'il veut nous dire ? Sommes-nous de ceux qui mettent le messager dans la citerne, qui mettent le message dans le tiroir, qui refusent la Parole, parole d'avertissement, parole de salut ?
Sommes-nous comme Sédécias, de ceux qui écoutent le message, qui interrogent la Parole, et puis qui n'en tiennent aucun compte, qui agissent à leur guise, ou qui se contentent de prendre le vent ?
Ou alors sommes de ceux qui écoutent et qui mettent en pratique ? Sommes-nous de ceux qui tiennent, dans les choix que la vie place devant eux, compte de la Parole de Dieu, de son message ? Sommes-nous de ceux dont les décisions quotidiennes sont éclairées par l'Evangile ? Peut-être pas systématiquement, malheureusement, mais tout du moins c'est notre objectif.
Que le Saint-Esprit nous soit en aide.

Amen.

(Philippe Cousson)

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