Poitiers, 18 avril 2010

Jean 21:1-19

Chers frères et soeurs,

Ce chapitre 21 de l'évangile de Jean présente une particularité. Il apparaît comme un ajout à l'évangile, qui avait une conclusion bien construite à la fin du chapitre 20.
Le fait qu'un des personnages principaux du dernier chapitre soit Pierre a fait dire, en particulier aux commentateurs catholiques, qu'il s'agissait pour les rédacteurs du texte de ramener Pierre dans la partie, et d'instituer son rôle, tel que le conçoivent nos frères séparés.

Aucun des évangiles n'est explicitement signé, comme le sont par exemple des épîtres ou l'Apocalypse. Seule la tradition des débuts de l'Eglise les a attribués aux 4 évangélistes que nous connaissons.
Quant à savoir à qui nous devons le 4e évangile, les théologiens ont beaucoup supposé, depuis ceux qui défendent la plume du seul Jean, l'apôtre, frère de Jacques, à ceux qui l'attribuent à une école dite johannique qui serait bien tardive. A part Jean l'apôtre, certains parlent de celui que l'évangile désigne par "le disciple que Jésus aimait", et même d'un autre, celui qu'une épître appelle "l'ancien".
La vérité est certainement quelque part aux environs de cela, avec plusieurs compositions successives, qui se seraient complétées, au gré des circonstances.

Parce que, pour pouvoir étudier et méditer un texte biblique, il faut se poser les bonnes questions, si on reconnaît la marque de l'Esprit Saint dans tout ce processus : qu'est-ce que les auteurs ou rédacteurs ont voulu dire à leurs contemporains, qu'est-ce qu'ils disent directement ou indirectement des circonstances de leur temps, qu'est-ce que l'Esprit Saint qui nous a fait parvenir ces textes a à nous dire aujourd'hui de Dieu, de nous et de notre monde pour comprendre et pour agir ?

L'évangile de Jean, ou plutôt selon Jean, situe les événements qu'il rapporte principalement en trois endroits : Jérusalem et la Judée, la Samarie et la Galilée.
Ici nous sommes en Galilée, et les références culturelles sont elles aussi galiléennes : la pêche sur le lac, les bergers et les moutons, les repas de pain et de poissons. Ce sont des références que l'on retrouve ailleurs dans cet évangile. Le repas des noces de Cana, le pain de vie, la multiplication des pains et des poissons, et divers épisodes autour du lac.

Le premier verset de notre chapitre pose Jésus comme le personnage principal de l'épisode. C'est lui qui se montre, qui se manifeste, une manifestation de plus après la résurrection. Même si le mot est différent, c'est un peu comme le début de l'Apocalypse : Révélation de Jésus-Christ.

Et puis, quand le texte avance, on a plutôt l'impression que le personnage principal est Simon Pierre.

Je vais vous proposer un découpage comme un scénario de court métrage :
En prologue, Pierre suggère à ses 6 compagnons d'aller pêcher. Il y sont restés toute la nuit et n'on rien pris.

Scène 1 : Cadre : plage au petit matin avec vue en direction de la mer : un homme se tient sur le rivage, et un bateau de pêcheurs rentre.
L'homme : Vous n'avez rien à manger ?
Quelqu'un du bateau : Non
L'homme : Jetez le filet à droite.
Ils jettent le filet à droite.

Scène 2 : Cadre : sur le bateau, l'homme et la plage en arrière-plan. Le filet ne peut être retiré, il y a trop de poissons.
Un des disciples : c'est le Seigneur !
Alors Simon Pierre se rhabille (vêtement et ceinture) et se jette à l'eau
Les autres ramènent la barque et le filet à terre.

Scène 3 : Cadre : A nouveau la plage, avec le bateau en arrière. L'homme est là, un feu est allumé avec du poisson qui grille et il y a du pain.
L'homme : apportez des poissons
Simon Pierre remonte dans le bateau et tire le filet à terre (beaucoup de gros poissons)
L'homme : Venez manger
L'homme distribue pain et poisson.

Fin de la manifestation de Jésus, marquée au verset 14.

Après ce repas, il y a un dialogue entre les deux protagonistes : Jésus et Simon. Ce dialogue commence par : M'aimes-tu ? et se termine par Suis-moi !

Quelques éléments à noter dans ce dialogue tel qu'il est rapporté :
Quand il dialogue avec lui, Jésus s'adresse à l'apôtre en l'appelant Simon, fils de Jonas, ou de Jean suivant les traductions. Durant ce dialogue, il n'est plus Pierre. Plus question de rocher où bâtir quoi que ce soit.

Jésus pose sa question par trois fois comme pour rappeler le triple reniement de Pierre.

Une autre allusion à cet épisode certainement douloureux dans la mémoire de Pierre et marquant pour l'église naissante : dans les deux circonstances, il y a un feu de braises. C'est le même mot qui est employé pour parler du feu qui réchauffe les personnes dans la cour du Grand Prêtre et du feu qui cuit les poissons sur la plage.

On voit Pierre sur le bateau qui se rhabille et remet sa ceinture. Jésus, qui avait mis son vêtement en ceinture pour leur laver les pieds, dit à Simon à la fin du dialogue selon le texte, que quelqu'un d'autre, plus tard, lui mettra sa ceinture pour le conduire où il ne voudra pas. Le texte est même plus explicite et mentionne sa mort. Très certainement parce que Pierre avait déjà été martyrisé au moment de la rédaction de ce passage et que le rédacteur le savait.

Pour conclure cette partie je dirai que Pierre a été restauré, dans les deux sens du mot, il a à la fois été remis debout, remis en place comme apôtre, c'est à dire comme envoyé, comme témoin, et il a été nourri, physiquement et spirituellement.

Et nous, aurions-nous aussi besoin d'être restaurés, remis sur pied et nourris ?

Ne sommes-nous pas comme ces disciples en Galilée, qui après avoir vécu quelque chose avec le Seigneur, il y a plus ou moins longtemps, n'ont plus rien à faire, plus rien à faire de spécial, d'extraordinaire, rien que du quotidien, aller chercher à manger : on va pêcher.
Et c'est un échec. Un échec n'est pas toujours facile à vivre, à dépasser. Il n'est pas toujours évident de rebondir.

Pour notre vie personnelle, on peut distinguer deux plans : notre vie ordinaire, appelons-la civile, qui petit à petit, subrepticement, s'est séparée de notre vie spirituelle, au point qu'il y a un lien à rétablir, à restaurer. Et puis il y a notre vie spirituelle, ou ce qu'il en reste, qui en même temps s'est coupée fil après fil de sa source, totalement ou par intermittences. Elle aussi a besoin d'être rétablie, d'être restaurée.

Et il en est peut-être ainsi aussi de notre vie d'église. Combien de fois n'avons nous pas décidé d'aller pêcher, et ne sommes-nous rentrés bredouilles ? Si nous sommes seulement sortis. Notre vie communautaire a sans doute aussi besoin d'être restaurée.

Comme signe de cette restauration promise, le Seigneur a placé devant nous la Cène. C'est là qu'il nous restaure et qu'il nous rétablit, qu'il se manifeste à nous et par nous au monde.

Pour que Jésus puisse se manifester à nous, à chacun de nous et à nous comme communauté, nous avons besoin de l'écouter un tant soit peu et de nous laisser rétablir par lui.

Nous avons besoin de le laisser nous dire de quel côté jeter le filet, et à quel moment.
Nous avons besoin d'accepter qu'il nous nourrisse, en y joignant le fruit de cette pêche miraculeuse qui est la sienne.
Nous avons besoin de lui redire notre amour. Nous avons besoin de recevoir de lui cette responsabilité du témoin, chargé de le manifester au monde, et d'en accepter les conséquences possibles.

Autant le feu de braises symbolisait la défaite, l'échec, autant maintenant il marque la restauration de nos vies, de nos âmes et de notre foi à chacun et à tous.

Le Seigneur nous demande : Avez-vous quelque chose à manger ?
Le Seigneur demande à chacun : M'aimes-tu ?
Et puis, une fois restaurés, le Seigneur nous dit, te dit, me dit : Suis-moi.

Amen.

(Philippe Cousson)

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