Poitiers, 18 mai 2003

Actes 9:26-31
1 Jean 3:18-24
Jean 15:1-17

Voici un texte que nous connaissons bien : "Je suis le cep, vous êtes les sarments". Nous pourrions même le réciter par coeur, au moins en partie. Et il en est de ce texte connu comme de tous les textes connus : nous ne savons plus toujours en retirer quelque chose pour notre vie, quelque chose de neuf, de vivant. Et pour celui qui est chargé de prêcher, qu'est-ce qu'il peut bien dire qui n'ait pas déjà été dit ?

Nous voilà donc face à ce texte. D'ailleurs, nos listes limitaient ce texte aux 8 premiers versets. J'y ai ajouté les suivants, car les deux morceaux me semblent former un tout.

Je commencerai par faire quelques remarques, un peu style étude biblique, puis j'essaierai de dégager une ou des pistes pour notre vie personnelle et d'Eglise.

Un certains nombres de mots reviennent dans ce texte : le cep, le Père, le sarment, le fruit, la parole et le commandement, le verbe demeurer, le verbe aimer. Ce texte fournit aussi quelques caractéristiques du Père et du disciple.

Tout d'abord, dans les versets 2 et 3, l'auteur a usé d'un jeu de mots en grec, que les traductions ne rendent pas bien. La version de Darby a essayé. Voici : le sarment stérile est ôté ou retranché, le sarment fertile est émondé, nettoyé, et les disciples sont déjà purs, nets. Or ces trois mots se ressemblent. Le premier est airô , faire disparaître, le second mot est kathairô , nettoyer, purifier, et semble formé sur le précédent avec un préfixe, le préfixe kata très utilisé, et qui peut signifier "en bas". Enfin le troisième mot est l'adjectif katharos , dérivé du précédent, qui signifie "pur, propre", "net" a traduit Darby.

Autre remarque de vocabulaire. Je n'ai pas pu le vérifier, mais je crois que trois mots utilisés dans ce texte, trois mots grecs donc, sont des équivalents d'un seul mot hébreu d'une importance capitale. Les deux premiers sont traduits de la même façon en français par "parole", ce sont les mots logos (verset 3) et rêma (verset 7), qui peuvent désigner une parole, un mot, un discours ou leur contenu. Le troisième a été traduit uniformément par commandement et le verbe commander rend un mot de la même famille. Il s'agit du mot entolê , qui signifie commandement, mais aussi parole. Ces trois mots correspondraient au mot hébreu davar, parole, commandement, chose.

Je vais relever quelques caractéristiques du Père : il est le vigneron, ou le cultivateur au verset 1. Il est glorifié au verset 8. Il aime, au verset 9. Il commande au verset 10. Il enseigne au verset 15. Il répond aux demandes au verset 16.

Et quelques caractéristique du disciple, par la série des "vous êtes". Vous êtes purs, verset 3. Vous êtes les sarments, verset 5. Vous serez mes disciples, verset 8. Vous êtes mes amis, verset 14. De plus ils sont choisis et établis par Jésus au verset 16.

Et pour terminer ces premières remarques, je vais reprendre deux des verbes, en en cherchant qui fait quoi pour qui.

Aimer : verset 9 : Le Père a aimé Jésus. Jésus a aimé ses disciples.
Verset 12 : Les disciples doivent s'aimer les uns les autres. Jésus a aimé les disciples.
Verset 17 : Les disciples doivent d'aimer les uns les autres.

Demeurer : les disciples doivent demeurer en Jésus, Jésus demeure en eux (versets 4, 5, 6, 7). Le sarment doit demeurer attaché au cep (verset 4). Les paroles de Jésus doivent demeurer dans les disciples (verset 7). Les disciples demeurent dans l'amour de Jésus, quand il gardent ses commandements. Jésus demeure dans l'amour de son Père, et il garde ses commandements (verset 10). Le fruit du disciple doit demeurer (verset 16).

Je vais maintenant essayer de lier tout ceci. On pourrait même essayer de schématiser ceci. Jésus est le cep de la vigne, le pied de la vigne.
Dans l'Ancien Testament, jusqu'à certaines paraboles de Jésus, la vigne, celle dont s'occupe Dieu, c'était Israël. Mais ici, la vigne c'est le Messie lui-même, c'est Jésus. Si on reprend les différents reproches que Dieu a faits à son peuple, et que Jésus rappelle, l'essentiel est la désobéissance aux commandements. Mais Jésus est celui qui obéit, qui accomplit les commandements, les paroles de Dieu. Il est et demeure dans l'amour du Père. Il est à la racine de l'Eglise, et de la vie de tout chrétien. Et sa relation d'obéissance et d'amour avec le Père est aussi à la racine de la vie du chrétien, et de l'Eglise.

Attachés à ce cep, à ce pied de vigne, il y a les sarments, les branches. Parmi ces sarments, ces branches, il y en a qui sont stériles, qui ne portent pas de fruit, et il y en a qui sont fertiles, qui portent du fruit. Il est à mon avis important de noter que ce discours s'adresse aux disciples, et non pas à l'ensemble de l'humanité. Et c'est à ses disciples, qu'il déclare : tout sarment qui est en moi, et qui ne porte pas de fruit, le Père le retranche. Judas n'avait pas encore trahi, mais est-ce sage de limiter la portée de ces mots à Judas le traître ? Ne sommes-nous pas du tout concernés ? Je laisse la question.
Parmi ces sarments, parmi ces branches, il y a celles qui portent du fruit, et qui une fois émondées en portent encore plus. Et de plus ce fruit est appelé à demeurer. Et le Père sera glorifié, et le Père donnera ce qui lui sera demandé.
On a beaucoup cherché à savoir ce qu'était ce fruit, karpos. Plusieurs hypothèses ont été fournies, plusieurs explications données. Rappelons-nous le passage de Paul, qui nous décrit les fruits de l'esprit, dans Galates 5, en nous donnant une liste de vertus, qui se termine par ces mots : "la loi n'est pas contre ces choses" et qui s'oppose aux "oeuvres de la chair". Voilà donc ce fruit, le signe extérieur d'un action de l'Esprit Saint dans une vie. Mais on parle aussi du fruit de la vie de témoignage comme étant ceux qui sont alors devenus chrétiens, les "fruits de la mission". On parle aussi de la sanctification comme du fruit d'une vie spirituelle. Que chacun cherche s'il trouve dans sa vie trace d'une des formes de ce fruit, tout en sachant bien qu'il ne s'agit nullement de partir à la cueillette de ces fruits, de les produire absolument. Il est de la nature du sarment, de la branche de porter du fruit, ce n'est pas son objectif. La branche ne se dit pas "je dois porter du fruit", elle le porte, c'est tout.

Quel est alors ce sarment qui porte du fruit ? Quelle est cette branche qui porte du fruit ? Jésus le dit : C'est celui qui demeure en lui, et en qui il demeure. Bien, et on fait comment pour demeurer en Jésus ? Il ne serait pas en tous ?
Qui est celui qui demeure en lui ? C'est celui qui garde ses commandements. C'est celui en qui ses paroles demeurent. Et que sont ses commandements ? Vous vous souvenez tous de ce texte souvent lu dans les liturgies : Il n'est pas au-delà de la mer, mais il est dans ton coeur. Le passage nous donne ce commandement, et il est assez simple dans sa formulation : "Aimez-vous les uns les autres", et Jésus ajoute, "comme je vous ai aimés". Un autre passage des évangiles ajoute même "et tous reconnaîtront que vous êtes mes disciples."

Le voilà donc ce commandement qui à la fois permet de demeurer en Jésus et est signe de cette appartenance. Il est aussi là le mystère. Cet amour les uns pour les autres est à la fois une obéissance et un signe de l'amour de Dieu. Le commandement c'est d'aimer. Aimer est le fruit. C'est peu le serpent qui se mord la queue. C'est comme un cercle vertueux, quand on est dedans, le système s'autoalimente. Les liens entre le Père et Jésus, entre Jésus et le disciple, entre le disciple et Jésus, entre Jésus et le Père, et aussi entre le Père et le disciple, qui voit ses demandes exhaussées, sont les liens qui lient le pied de vigne à ses branches, le cep aux sarments.

Et pourtant, il peut rester pour certains un malaise. Le commandement de Jésus ici ne concerne que ses disciples, c'est à dire les chrétiens. Eh bien oui. Ici, seul l'amour entre les chrétiens est concerné. Et nous en sommes plus à l'aise pour ça ? Parce que vous croyez que nous nous aimons effectivement les uns les autres ? Je pourrais vous demander à chacun de vous tourner vers vos voisins, à droite, à gauche, devant derrière, et de leur dire : mon frère, ma soeur, je t'aime. Cela ne devrait pas être trop compliqué. Mais voilà, il y a aussi des chrétiens ailleurs dans la ville, à qui nous ne pourrions pas facilement dire ces mots pour telle ou telle raison. Il y a des chrétiens dans le monde, à qui ne aurions toutes les peines du monde à faire cette déclaration. Et pourtant, le commandement de Jésus est clair : Aimez-vous les uns les autres. Certains tourneraient la difficulté en disant : oui, mais celui-là, il n'est pas vraiment chrétien. Qui sommes-nous pour dire que un tel n'est pas un des disciples de Jésus ? Je vous rassure, aimer un autre disciple de Jésus, ne signifie pas l'approuver, ni s'interdire de lui dire ce qui doit lui être dit. Mais le commandement d'amour est là, incontournable. Parce que le pied de vigne, le cep est là, incontournable.

Et puis, le reste du monde ? Il ne faudrait pas l'aimer, lui ? Attendez. Ce n'est pas ce que j'ai dit. Ce que j'ai dit, c'est que le commandement, c'est de nous aimer les uns les autres. Que c'est là le signe de l'attachement à la vigne. Maintenant, il ne faut pas oublier le verset de ce même évangile, chapître 3 verset 16 : Car Dieu a tant aimé le monde. Si Dieu aime le monde, pourrions-nous haïr ces hommes que Dieu aime, au point d'avoir envoyé son Fils ? Bien sûr que non. Je dirait que cet amour pour l'humanité, reflet de l'amour de Dieu, peut, doit, se manifester de deux façons, connaître, comprendre et aider d'une part, mais aussi d'autre part témoigner de cet amour qui nous fait vivre, et appeler à rejoindre ce cep, ce pied de vigne. Comment notre amour pour les hommes et les femmes qui nous entourent pourrait-il faire l'économie de cela ? Si nous aimons vraiment ceux que nous voulons aider, nous ne pouvons pas les laisser à côté du pied de vigne. Je reprend le verset "Car Dieu a tant aimé le monde, qu'il a donné son Fils unique, afin que quiconque croit en lui ne périsse point mais qu'il ait la vie éternelle."

Les deux autres passages lus ce matin complètent le texte de l'évangile.
1 Jean 3:23 : Son commandement, c'est que nous croyions au nom de son Fils Jésus Christ, et que nous aimions les uns les autres.
Actes 9:31 : L'Eglise s'édifiait, marchait dans la crainte du Seigneur, et s'accroissait par l'assistance du Saint Esprit.

Partons à nouveau à la recherche de ce fruit, du fruit du sarment, de la branche qui demeure attachée au cep, parce qu'elle garde le commandement, ce commandement d'amour les uns pour les autres. Ce peut donc être cette relation nouvelle, différente, entre les disciples, c'est aussi les vertus développées par celui qui se laisse transformer, c'est aussi l'amour que Dieu porte à l'humanité posé en actes par les disciples, et c'est aussi les disciples que l'Esprit ajoute à l'Eglise, si bien sûr nous le laissons faire, en nous et autour de nous. Mais je le rappelle, notre objectif ne doit pas être le fruit, mais bien de demeurer attaché au cep, au pied de la vigne, c'est à dire obéir au commandement qui nous est donné : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.

Amen.


(Philippe Cousson)

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